Avec Le Château solitaire dans le miroir, Keiichi Hara explore un sujet qui le touche et qu’il avait déjà exploré : la dépression. Comme dans Colorful, il n’hésite pas à évoquer le suicide chez l’adolescent, le fantastique ouvrant la possibilité d’une catharsis.
514 élèves se sont suicidés au Japon l’an dernier. C’est ainsi que Keiichi Hara a introduit la projection de son film au festival d’Annecy. L’air grave et les sourcils froncés, il faisait donc de son film une œuvre militante, dans l’espoir d’éveiller les consciences mais aussi de rendre espoir aux jeunes concernés. En conférence de presse, on comprend que le sujet le touche personnellement et le met en colère. Il y voit le signe de l’exacerbation des violences dans la société japonaise et notamment chez les adolescents, mais il est difficile pour nous de ne pas y voir aussi le reflet de la société française, tant les parcours racontés font écho à ce que traversent les jeunes français (cf l’affaire Lindsay).
Sans connaître Keiichi Hara, nous aurions pu craindre que le film soit moralisateur, didactique, ou encore qu’il n’utilise le genre fantastique qu’à des fins opportunistes. Mais Keiichi Hara n’est pas tombé dans ce travers ; en outre, il est sûrement l’un des réalisateurs qui accorde le plus d’importance au respect des livres qu’il adapte (ici, le roman éponyme). Ainsi, il soigne le récit cadre et ne le fait pas ployer sous la pression de son engagement moral et politique.
Le Château solitaire dans le miroir : maîtrise du genre
Le film réussit donc tous les paradoxes : le château est moins présent dans l’histoire qu’on n’aurait pu l’imaginer, pourtant, le récit fantastique n’est pas superfétatoire. Il ne s’agit pas d’un prétexte fallacieux pour soutenir une vague métaphore, non, le fil rouge se tient et jamais nous ne doutons des règles du jeu. Le château et la malédiction qui enserrent les enfants sont bien réels et le film n’utilise pas la magie à de seules fins utilitaires, ce qui frustre toujours les amateurs du genre que nous sommes. Aussi, le film n’évoque jamais ses enjeux de manière lourde et verbeuse. On comprend très rapidement, très intuitivement, que la jeune héroïne souffre de phobie scolaire et subit du harcèlement. Plus tard, on peut considérer le loup comme la projection de la dépression adolescente, les pulsions de suicide qui dévorent les jeunes qui ne perçoivent plus d’issue à leur situation, mais tout est toujours suggéré, comme s’il fallait que cela reste de l’ordre de l’indicible. Keiichi Hara parvient à faire ressentir sans expliquer, à montrer sans expliquer, à être éloquent mais jamais didactique.
Le Château solitaire dans le miroir : justesse psychologique
Les enfants du groupe sont tous mis à l’écart de la société, ils ont presque tous subi du harcèlement – par leurs pairs ou leurs pères – mais ne sont pas pour autant des agneaux. Eux aussi perpétuent des dynamiques de groupes qui oppriment. Réunis, ils trouvent bien vite un souffre-douleur, le “p’tit gros”. En le moquant, ils reproduisent ce qu’ils ont subi, et ainsi, passent de la position de proie à la position de dominant. L’héroïne est mal-à-l’aise quand il est rabroué mais ne dit mot, par peur de ne plus être appréciée, elle qui découvre à peine ce que cela fait d’être populaire auprès d’autres adolescents. Il y a ceux qui se moquent légèrement, ceux qui rient, ceux qui sont gênés mais qui se taisent. Le récit réussit donc à nous focaliser sur leur point de vue des harcelés tout en nous faisant comprendre comment nous participons chacun à des dynamiques de groupe sclérosantes.
Château, miroir… le Moi symbolisé
Subtile aussi est la fonction du château pour les adolescents : on peut y voir le lieu de la paix retrouvée, un sanatorium qui permet aux héros de refaire surface. Les adolescents peuvent utiliser leur imaginaire pour échapper au réel, c’est parfois une planche de salut – mais un séjour trop long au château risque de les voir renoncer au réel. Cela montre une compréhension assez remarquable des troubles psychiques. Les psychologues préconisent le recours à la sophrologie et à la méditation pour traverser des moments trop anxiogènes, cela implique pour le patient de se visualiser dans des lieux apaisants. Le château correspond au lieu intérieur de paix dans lequel nous trouvons refuge pour faire abstraction d’un environnement dangereux. Mais c’est un périlleux équilibre car les praticiens déconseillent d’entrer dans une logique d’évitement, l’évitement systématique de situations anxiogènes menant à la phobie (phobie sociale, phobie scolaire, etc). Cela, le film le met parfaitement en scène, imaginant même une issue fatale pour quiconque resterait dans le château au-delà des heures prescrites. En sous-texte, on lit la peur d’une dérive : celle des hikikomori qui se cloîtrent dans leurs chambres à cause de phobies sociales, leurs chambres sont à la fois des refuges et des prisons. De même dans Le Château solitaire dans le miroir où chaque personne trouve dans sa chambre de quoi assouvir ses passions (lecture, musique, jeux vidéo). Les passions artistiques sont perçues comme un moyen de retrouver du plaisir et construire son identité mais peuvent aussi catalyser les logiques d’évitement.
Enfin, certains symboles (lieux ou objets) mettent en scène le développement du Moi. Le symbole du miroir est intéressant car il convoque déjà l’imaginaire du rêve, c’est le voyage vers l’inconscient d’Alice au pays des merveilles. Ensuite, on se reflète dans un miroir, c’est-à-dire qu’il nous révèle à nous-même. Or, les adolescents harcelés développent une mauvaise image d’eux-mêmes, la seule perception que leur renvoient les autres est une perception négative. Le château leur propose un reflet mélioratif. Mais à la fin du film, les miroirs se brisent ; la mort survient quand le Moi se morcelle. Or, c’est bien le travail collectif qui permet de littéralement “recoller les morceaux”. Sans être portés par le collectif, les héros n’auraient pas pu sauver leur peau, ce qui laisse imaginer que le miroir n’est pas que l’outil pour se trouver soi-même mais un pont vers les autres. Sous ce prisme, le regard des autres est perçu comme un pilier de la construction identitaire. Last but not least, le château cristallise aussi un certain nombre de contradictions. Son îlot rocheux paraît protégé du monde extérieur mais est aussi aride et infertile. L’espace est un lieu de rencontre mais les personnages y semblent esseulés, souvent dans l’attente qu’un camarade arrive. La pièce à vivre est chaleureuse et confortable mais se métamorphose rapidement en décor de film d’horreur quand la situation tourne au vinaigre…
Alors Le Château solitaire dans le miroir signe-t-il le grand retour de Keiichi Hara ? Mille fois oui, mais il faut tout de même prendre note de sa structure singulière : les enjeux sont posés lentement et les péripéties sont peu nombreuses. Le spectateur expérimente l’attente (voire l’errance des personnages) qui ne trouvent pas le dénouement de l’intrigue proposée par leur hôte. Le spectateur lui-même s’impatiente, mais ayez confiance : les dernières minutes répondent aux attentes. La fin assure la catharsis tant promise, celle qui soigne et apaise les âmes blessées… Merci Keiichi Hara.
Le film sera en salles le 13 septembre au cinéma et c’est encore Eurozoom que nous pouvons remercier !