Au Cœur des ténèbres… transposé au Brésil actuel
Lors de la séquence de questions/réponses à la fin du WIP (Work In Progress) d’Au Cœur des ténèbres, un spectateur n’a pas pu s’empêcher de poser la question qui traversait la tête de tout le monde : le réalisateur Rogério Nunes a-t-il revu le chef d’œuvre Apocalypse Now avant de se lancer dans son adaptation du roman de Joseph Conrad ? Naturellement, Nunes va botter en touche et nous rappeler qu’il a surtout cherché à développer sa propre histoire. Et après tout, c’est ce que Francis Ford Coppola a fait pour son monstrueux classique. En transposant l’histoire pendant la guerre du Vietnam, il voulait profiter de toute la force et les réflexions du livre pour parler de l’homme et de son époque. Nunes va avoir un même cheminement similaire : au début des années 2000, le roman de Conrad tombe dans le domaine public, le réalisateur est chargé d’illustrer une nouvelle édition. A la lecture du livre, il se rend compte que son histoire est parfaitement transposable dans le Brésil actuel.
Il décide ainsi de déplacer l’histoire de l’Afrique subsaharienne de la fin du XIXème siècle au Rio de Janeiro du XXIème siècle. Pour Nunes, la ville est totalement appropriée pour l’histoire en raison de la dichotomie entre sa luxueuse partie touristique et la pauvreté des favelas. Le personnage principal Charles Marlow devient ainsi un flic naïf qui a une vision du monde en noir et blanc. Le Kurtz qu’il doit aller chercher en remontant le fleuve devient un flic aux états de service exemplaires qui semble s’être rallier aux trafiquants de drogue. Comme dans le livre, Marlow fera plusieurs rencontres l’enfonçant de plus en plus dans la noirceur de l’humanité avant de se confronter à la folie de Kurtz qui achèvera ses candides convictions. Nunes affirme que l’animatique terminé possède une durée d’environ soixante-dix minutes. Il faudra voir si cette durée réduite rendra bien justice à la puissance de l’histoire.
Toutefois, les extraits présentés ont tendance à rassurer par rapport à cela. Le film plongera des personnages en 2D dans des décors peints en 3D et le résultat fonctionne admirablement bien. Mais surtout le contenu de ces scènes a l’air de servir parfaitement le degré de violence et de folie du récit. Le premier extrait a l’air d’être la séquence d’introduction et son ambiance agressive fait très fort. Le montage ultradynamique nous mélange descente de flics, confrontation nerveuse avec les trafiquants de drogues et ciel chargé de drones mitraillant à tout va. En comparaison les autres scènes paraissent très calmes mais reste chargées d’une certaine folie par ses rencontres étranges avec des personnages qui semblent avoir lâché prise avec la normalité. On note également une séquence de rave party particulièrement déchainée.
Des difficultés de production pour le projet de Rogério Nunes
Au-delà de ça, la présentation a surtout mis en avant les difficultés de la production. La mise en chantier effective du projet a débuté au début des années 2010 mais a dû se confronter à des gouvernements successifs se détournant de la culture et coupant les vannes de financement pour le cinéma. Certainement qu’ils ne voyaient pas non plus d’intérêt dans un film d’animation destiné aux adolescents et adultes. En ce sens, ce rejet ne faisait que renforcer la nécessité de porter à l’écran l’histoire de Conrad et la critique des institutions qu’elle contient. Finalement, l’équipe brésilienne trouvera de l’aide dans notre belle France et le reste de la présentation détailla la coordination de la production entre les deux pays. A l’heure actuelle, 10% du film est achevé et le film devrait être terminé en mai 2024. On espère donc voir le résultat final à Annecy l’année prochaine. Au pire, on se rendra plus tard dans les salles de cinéma françaises puisqu’Eurozoom a déjà la charge de sa distribution.