Après le rendez-vous manqué de 2020, cette édition du festival d’Annecy fut l’opportunité de célébrer l’animation africaine. Nous vous proposons de faire le point ici sur quelques films et séances spéciales proposés à cette occasion.
On commence avec le documentaire Moustapha Alassane, Cinéaste Du Possible. Bien qu’assez conventionnel et surtout daté (il fut réalisé en 2009), il brosse un portrait intéressant de ce pionnier du cinéma nigérien décédé en 2015. Il y a inévitablement une fascination pour un travail qui nous renvoie aux propres débuts rudimentaires du cinéma occidental. Soit un commencement où tout est à faire, tout est à comprendre et développer. C’était le terrain idéal pour un homme passionné par l’art de raconter des histoires. Dès son enfance, il développait des spectacles en ombres chinoises. Lorsque d’autres enfants se sont mis à l’imiter, il est parti chercher d’autres moyens d’expression. Cette qualité infatigable l’accompagnera tout le long de sa carrière. On sent aussi chez lui cette fascination pour le rêve que représente le cinéma, tout en étant très conscient de ce que celui-ci représente. Dans son court-métrage Le Retour De L’Aventurier, des adolescents en révolte revêtent l’apparence de cow-boys. Dans FVVA : Femme, Villa, Voiture, Argent, il montre des individus embrassant à l’excès un mode de vie occidental. Il se crée une interrogation sur l’identité véhiculée par l’imaginaire et en conséquence ce que doit être le cinéma nigérien. En dépit de ces inclinations sociales, le cinéaste se définit pourtant comme peureux dans sa dimension politique. Il est cité sa décision de couper la fin d’un de ses court-métrages animés abordant comiquement mais frontalement l’instabilité politique en Afrique. Cela dit, on peut aisément comprendre cette crainte au regard des instances culturelles du gouvernement qui ont toujours délaissé la question du cinéma. Alassane note avec amertume que des pays comme la France l’ont plus soutenu financièrement que son propre pays. Le manque d’essor du cinéma nigérien est également attribué à des cinéastes trop égoïstes et préoccupés par leurs propres thèses. En ce sens, il est relevé la persistance d’Alassane qui continue de réaliser en totale indépendance (l’acquisition d’un hôtel l’a mis financièrement à l’abri). Il se pose comme un pilier dont la seule présence démontre la possibilité de créer. Dans ces dernières années, il prendra ce rôle de façon plus pratique en essayant de développer des outils numériques accessibles aux nouvelles générations. Bref, une figure humble et infatigable dont les œuvres sont indéniablement à redécouvrir.
Premier long-métrage du nigérian Adebisi Adetayo, Lady Buckit & The Motley Mopsters n’est malheureusement pas ce qu’on peut appeler la naissance d’une nouvelle voix. Les reproches pourraient difficilement se tourner vers une facture technique assez archaïque car de toute évidence, la production ne roule pas sous l’or. Cela vaut quantité de limitation dans l’animation 3D entre gestuelle rigide et textures de qualités très variables. Adetayo arrive parfois à contourner ses restrictions. C’est le cas lors de passages oniriques et de flashbacks où il retire volontairement les textures de ses modèles 3D ou utilise directement ses artworks en compensation. Néanmoins, la maigreur du budget apparaît moins volontaire dans d’autres moments. On sent un certain désespoir dans une conclusion qui n’est plus constituée que d’images fixes. A ses problèmes visuels se rajoutent des soucis dans le mixage sonore entre interprétations vocales peu inspirés, bruitages cartoonesques au milieu de blancs de silence, son étouffé et chansons placées maladroitement.
Cela nous amène à ce qui fait vraiment le ratage de Lady Buckit & The Motley Mopsters. On pardonnerait tout à fait au long-métrage ses problèmes techniques si tout ceci était au service d’une histoire investie ou porteuse d’une authentique ambition. Or le film ressemble à une accumulation de conventions éculées, tentant de rentrer dans un moule très disneyen mais avec un traitement sévèrement illogique. Le film a un message simple sur le fait qu’il faut tenir ses promesses mais l’amène avec une foule de cliché mal empilé. Pour avoir involontairement entraînée la fermeture de la boulangerie de son père, une fille est transformée en seau et transportée dans le futur. Outre la vision plus cauchemardesque que charmante du character design, le long-métrage se retrouve bien incapable de suivre clairement une voie toute tracée. Il rajoute constamment des éléments qui ne font que grignoter la cohérence déjà relative de l’histoire. Finalement, il ne reste qu’un film se noyant dans la masse des insipides productions au rabais destinées aux enfants.
Série produite pour Disney+ et prévue pour 2023, Iwaju affiche comme une priorité ce désir d’être à la hauteur de ses ambitions. Il s’agira d’une collaboration entre la firme à la souris et Kugali, un studio panafricain de comics. S’étant fait connaître il y a quelques années suite à une interview de la BBC, la société nigériane entend vouloir améliorer la narration africaine et surtout lui donner un rayonnement plus international en se fixant un niveau de qualité pas seulement satisfaisant par rapport aux standards locaux. Bien que taclant légèrement Disney dans cette interview, Kugali a logiquement accepté l’offre de partenariat du groupe. Si Jennifer Lee se pâme à quel point Disney aime s’entourer des gens les plus talentueux du monde et les laisser raconter leurs histoires, on se doute bien que l’intérêt du groupe hégémonique tient plus se donner une apparence progressive derrière ses convictions conservatrices (la liberté d’expression ne devant pas trop déborder des petites cases autorisées). Les fondateurs de Kugali ont sans nul doute pesé le pour et le contre avant de se lancer dans l’aventure et on peut espérer qu’elle se passera au mieux. Évidemment, la présentation ne montre que des visages ravis par ce projet qui d’une anthologie de court-métrage est devenue une authentique série.
Reste à savoir ce que donnera cette œuvre afrofuturiste qu’on nous promet visuellement comme unique. La série étant très loin d’être terminée et la règle du secret régnant en maître chez Disney, la présentation restera succincte sur le contenu de l’œuvre. On apprend surtout que l’action se déroulera au Lagos dont la représentation sera extrapolée par rapport à sa situation actuelle. Désireuse de parler d’inégalités sociales, la série exploitera la géographie particulière de la ville qui se partage entre le continent où se trouve les classes sociales les plus pauvres et une île où sont les classes aisées. Cela nous renvoie à un schéma assez classique mais que les auteurs entendent vouloir nuancer. Il en va de même de l’aspect science-fiction qui convoque des technologies déjà connes dans le genre avec de la réalité augmentée, des voitures volantes et des exosquelettes. Les auteurs pointent quelques utilisations originales comme la présence de roues sphériques sur les voitures facilitant leurs déplacements dans une ville surpeuplée ou l’emploi des exosquelettes par des vendeurs ambulants pour suivre les voitures volantes. On espère que la série en aura suffisamment sous le coude pour réussir à nous emmener bel et bien vers des territoires inédits.