N’ayant pu voir en ligne les films de la compétition, nous nous sommes arrêtés cette année sur la sélection Annecy Classics pour plonger dans le passé de l’animation.
Claydream
Tout au long de l’Histoire du cinéma, beaucoup de personnes ont essayé de se poser en nouveau Walt Disney mais aucun n’a réussi. Le destin de Will Vinton est de ceux-là. Le documentaire Claydream brosse le portrait de cet artiste et d’une carrière qui fut un enchaînement de succès et d’échecs. Il rappelle ainsi l’irrémédiable difficulté à se situer entre la folie créatrice et le cadre entrepreneurial. C’est après tout cet équilibre qui fait encore aujourd’hui de Walt Disney un cas unique. Dans la première partie du documentaire, Vinton pose d’ailleurs la base du paradoxe en disant qu’il n’est pas un raconteur d’histoire mais qu’il est passionné par le pouvoir de raconter des histoires. Dans l’ambiance libre des années 60, il commença à laisser s’exprimer sa fascination pour l’image et les possibilités de l’animation en pâte à modeler. Avec son comparse Bob Gardiner, il partira ainsi dans des expérimentations à tout va et remportera même un oscar au passage pour un de leurs court-métrages. La violente rupture entre les deux amis nous renvoie à la problématique initiale. Là où Gardiner voudra continuer de travailler dans un cadre libre quitte à s’éparpiller, Vinton cherchera à construire une structure plus productive.
Le documentaire dépeint un parcours où rien n’est simple au regard de cette question de la création et du profit. Favorable à l’expérimentation qui fera la renommée de son studio, Vinton se heurtera plusieurs fois à son manque de compréhension commerciale. Tel est le cas avec l’échec de son long-métrage The Adventures Of Mark Twain dont le caractère fou le rendait inapproprié pour les enfants auxquels il fut vendu. A l’inverse, il se reposera parfois trop sur ses acquis. C’est ainsi qu’en saturant le marché de ses publicités en stop-motion, il créera une lassitude auprès des annonceurs. A l’heure où le cinéma se fait de plus en plus industrialisé, sa trajectoire montre la nécessité d’une innovation créatrice pour réussir à se renouveler et survivre. Cela est d’autant plus nécessaire pour quelqu’un avec une fibre artistique qui s’exprime surtout avec ses œuvres. Qualifié de très secret, Vinton parlait de lui à travers ses personnages. Il lui permettait parfois d’exorciser ses mauvais côtés. C’était le cas du cochon Wilshire, entrepreneur qui cherche à créer un parc d’attraction pour s’enrichir mais échoue en permanence. On y trouve aussi un côté imposteur puisqu’en tant que chef d’entreprise, il se retrouvait souvent à récupérer les mérites de son équipe. La position s’inverse en ce sens dans le dernier acte, exposant comment l’investisseur Phil Knight l’éjectera de son studio et bâtira sur ses ruines le studio Laika pour son fils Travis. Avec le recul, Vinton accueille avec philosophie toute la situation en s’enthousiasmant pour les films créés par Laika pendant qu’il développe désormais sans pression ses propres projets. Bien structuré entre archives et extraits des œuvres, Claydream est un passionnant tour d’horizon d’un parcours qui n’a malheureusement rien d’unique en Amérique.
Bubble Bath
Bubble Bath de György Kovasznai n’est pas sans évoquer les comédies musicales de Jacques Demy. Tout comme le réalisateur des Parapluies De Cherbourg, Kovasznai use de la comédie musicale pour chanter sur la vie ordinaire. Sur moins de quatre-vingts minutes, il établit ainsi un postulat sentimental assez simple. Un homme est en pleine crise avant son mariage et demande à une amie de sa future femme de l’appeler pour annuler la cérémonie. L’utilisation des chansons renvoie alors au train-train des personnages, leur rapport à l’engagement et leur incapacité à les tenir. Bien qu’un peu répétitive, l’animation avant-gardiste à l’œuvre est ainsi au service de leur failles. Elle embrasse leurs déchirements internes entre le désir de suivre le chemin qui paraît juste et leurs angoisses à le prendre effectivement. Les corps se tordent et sont inconstants, à l’image du monde même. Tout ceci amène la sensibilité amère du film où le bonheur des personnages ne pourra jamais être tout à fait complet. La vie domestique rangée et l’ambition professionnelle peuvent rendre chacune heureuse. Mais leur admiration réciproque rend envieux et engendre donc un sentiment de manque. Aussi infime soit-elle, la trace du regret demeure ineffaçable.
Le Fils de la jument blanche
Le bijou de cette sélection est assurément Le Fils De La Jument Blanche de Marcell Jankovics. Sur le papier, nous avons affaire à un conte traditionnel tiré du folklore hongrois. Dans un monde où le mal a été libéré, un héros doit s’allier avec ses deux frères pour libérer trois princesses prisonnières de trois châteaux gardés par trois dragons. On note bien sûr cette utilisation assumée des trois répétitions typiques de la structure des contes avec les variations autour d’une même épreuve. La puissance du long-métrage est d’assumer le caractère fondamental de son histoire et de se concentrer à l’exprimer avec la plus grande ardeur. Cela donne une animation expérimental hallucinatoire alignant une idée à la seconde. Par-là, il se dégage une surpuissance permanente de ces personnages et leur incommensurable force élémentaire. Cette animation transformiste lie allégorie et narration dans un étourdissement sans répit. C’est un fascinant objet que le festival nous a offert.