À Annecy, les coups de cœur savent nous faire oublier les rendez-vous déçus et les potentiels gâtés. Et comme souvent, on épouse l’avis du jury…
Avec son titre à rallonge qui écorche la langue, on ne peut pas dire que Accidental Luxuriance Of The Translucent Watery Rebus (ouf !) ment sur la marchandise. On tient sans nul doute le film le plus étrange du festival d’Annecy 2020. Mais est-ce une bonne chose ? Pour les aficionados de cinématographie atypique, probablement. Pour les autres, ça n’est pas gagné. Il n’y a aucun doute que le réalisateur Dalibor Baric est très fier de son petit trip personnel. Il allie joyeusement extraits de film live passés à la rotoscopie et images fixes avec le plaisir de se refuser à toutes conventions narratives traditionnelles. Cependant, ce déballage totalement abstrait n’est jamais tout à fait apte à séduire. Car pour être honnête, on se sent presque devant une parodie de film expérimental. Le long-métrage flirte avec la caricature de cinéma d’auteur se croyant au-dessus du lot alors que ses images assemblées sur des voix-offs tiennent surtout de l’élucubration dépressive à propos du triste état du monde. Si le travail sur la couleur peut momentanément hypnotiser, c’est l’ennui qui l’emporte par son ton péremptoire. Triste résultat pour une œuvre dont la supposée supériorité intellectuelle n’est qu’une façade.
A contrario, on plébiscitera le très beau classicisme de The Shaman Sorceress. On ne sera pas étonné que le jury lui ait octroyé une mention puisqu’il constitue avec My Favorite War le meilleur film de la section Contrechamp. Le réalisateur Jae Hunn-Ahn fait ainsi preuve d’un sens cinématographique très plaisant. Car si son film veut évoquer les évolutions de la société coréenne où les traditions bouddhistes font face à l’arrivée du christianisme, il n’omet aucunement d’y apposer un cœur émotionnel. En ce sens, on trouve ici une forme d’expression de ce que Ron Clements et John Musker prônaient dans leur masterclass. Soit le besoin de créer un film capable d’établir une connexion avec son audience et qui n’oublie pas de profiter de la stylisation liée à l’animation. En l’occurrence, The Shaman Sorceress construit son drame en mettant habilement à contribution la spiritualité de ses personnages. Au-delà d’évoquer les mutations de la société, leurs rapports se construisent autour de ce besoin de croire et la nécessité de se raccrocher à quelque chose pour pouvoir avancer dans la vie. Et la réalisation le traduit non sans un certain panache. Le film fait ainsi des merveilles dans son utilisation du format cinémascope et présente un splendide travail sur la composition des couleurs. Même l’approche musicale hautement casse-gueule fonctionne, faisant avancer l’histoire par l’emphase qu’elle met sur les sentiments des protagonistes. On est presque étonné de retrouver ce style évoquant les Disney les plus influencés par Broadway. Le savoir-faire dans son utilisation montre bien à quel point The Shaman Sorceress est une œuvre d’un gout remarquable.
True North affiche de son côté des intentions plus que louables, appelant à la force du cinéma pour marquer les esprits. Bien que nié par le gouvernement nord-coréen, on connaît très bien l’existence de ses tristement célèbres camps politiques. Toutefois, il y a un gouffre entre tout ce qui est dit dessus et le voir. En l’occurrence, le réalisateur Eiji Han Shimizu use de tout le poids des images pour mettre son spectateur face à cette réalité. Il faut reconnaître qu’il tente de soigner l’expérience malgré un budget de toute évidence limité. L’animation est donc loin d’être exemplaire et certaines séquences impliquant des effets complexes comme un éboulement font figure de désastre visuel. Il se rachète bien volontiers par quelques idées de mise en scène bienvenues et surtout un traitement de la lumière qui ajoute un surplus d’âme à ses polygones. Malheureusement, le scénario suit tout aussi difficilement ses ambitions. En introduction, le narrateur dit vouloir présenter avant tout son histoire et non pas simplement un état des lieux politique. Or cela se perd un peu en route. On sent le film alimenté par ses témoignages et en conséquence trop respectueux pour oser travestir la parole donnée. Cela conduit les personnages à trop se raccrocher à leurs caractères élémentaires et fonctionnels. Le triomphe de la solidarité sur la tyrannie manque alors étrangement de chaleur humaine et tombe un peu hâtivement dans le tire-larmes. Bref, l’intérêt du film reste certain mais sa valeur artistique est bien moindre.