Dans la sélection des Work in Progress (WIP) de cette édition du Festival d’Annecy, nous avons eu la chance que deux des plus fournis portent sur des œuvres particulièrement attendues. Retour sur deux œuvres qui méritent toute notre attention.
Pour le moins conséquent, le WIP du Sommet Des Dieux arrive à mettre en confiance. Certes, la présentation n’entre pas dans le détail au niveau de l’adaptation qui a dû réclamer un conséquent travail. En effet, le manga de Jiro Taniguchi et Baku Yumemakura possède une narration sur le long terme. Là se trouve l’attrait de l’œuvre qui traduit dans un enchevêtrement de mystères l’irrépressible attrait pour la montagne. Cela n’a donc rien d’aisé de condenser cette histoire sur un long-métrage. On peut se demander comment la scénariste Magali Pouzol (Funan) a relevé le défi et de manière générale, comment le réalisateur Patrick Imbert (Le Grand Méchant Renard Et Autres Contes) a approché l’histoire. L’interrogation se pose d’autant plus à la lumière des quelques extraits. Si le film va devoir faire preuve de synthèse, les segments dévoilés ne se refusent pas pour autant à recourir à un côté posé. On a pu ainsi voir comment la mise en scène ménage le rythme pour des raisons de tension ou de fascination. Ces choix sont tout à fait adéquats par rapport aux émotions des scènes en question mais il faudra voir comment ils réussiront à s’inscrire dans le tableau général. On sait d’ailleurs que ces passages muets ne traduiront pas toute l’atmosphère du film puisqu’on nous indique au détour du processus de doublage qu’une voix-off accompagnera le film. En conséquence, on est curieux de voir la façon dont le contemplatif et l’explicatif cohabiteront. Tout le cœur du projet tient justement à trouver un délicat équilibre.
Le style graphique du film se doit ainsi de traduire au mieux le style de Jirō Taniguchi. Influencé par la ligne claire, le plus européen des mangakas pratique en effet un dessin très recherché et documenté. Cela constitue un challenge particulier pour un film d’animation qui ne bénéficie pas d’un budget colossal. Pour tous les artistes impliqués, la crainte serait d’abîmer l’âme du manga. Cela implique une quête de conciliation du réalisme et de la simplicité. Au regard des images proposées, la recherche a été fructueuse et montre un rendu visuel prometteur. De la présentation, on retient notamment le travail sur la couleur. Absente du manga, celle-ci jouera un grand rôle dans cette gestion de la stylisation. Reste cependant à savoir si le résultat final concrétisera toute cette ambition.
Car la production se heurte à la lutte contre le temps. Certains diront que c’est une contrainte habituelle et acceptée. Mais elle devient particulièrement problématique face à la nécessité de trouver le précieux juste milieu. Comme indiqué dans la vidéo, il n’est pas souvent anormal que le processus d’animation commence sans avoir un story-board définitif. Or cela peut s’avérer un obstacle dans l’accomplissement artistique du film. En ce sens, le WIP présente une session où les artistes discutent sur une scène à propos de la manière pour synthétiser le déroulement de l’histoire sans sacrifier ni son sens ni son intérêt. Au travers de ces échanges passionnés, on voit comment la façon d’amener l’histoire peut être bousculée et remodelée. On n’est donc pas forcément totalement rassuré lorsque le réalisateur confit que le story-board n’est pas totalement défini au moment de l’entrée en vigueur du confinement. Ce dernier n’arrange évidemment rien puisque même avec le télétravail, la production s’en retrouve ralentie. Devant le talent et l’investissement à l’œuvre, on espère que ces conditions n’influenceront pas négativement le long-métrage et que celui-ci saura servir au mieux les intérêts du manga.
Le WIP de Wolfwalkers représentait également une grande attente et le moins que l’on puisse dire c’est que l’on n’a pas été déçu. Pendant une demi-heure, Tomm Moore et son équipe ont étalé devant nos yeux une grande quantité d’artworks et de tests d’animation. Connaissant le travail du réalisateur de Brendan Et Le Secret De Kells et Le Chant De La Mer, on se doutait de la beauté de son dernier effort. Pourtant, cela ne nous a pas préparé à la magnificence des images. Si Wolfwalkers s’inscrit d’emblée visuellement dans la lignée des précédentes œuvres de Tomm Moore, il en va de même de son histoire. De nouveau, il prend à cœur de revenir à des légendes qui ont été délaissées et déformées avec le temps. C’est ici le cas du loup-garou dont il s’écarte des commodités devenues habituelles et caricaturales. Pour autant, la trame exposée reste fort classique. Elle joue sur une opposition entre la nature et la ville, auquel s’ajoute l’animosité entre anglais et irlandais ainsi que la montée du puritanisme. C’est dans ce contexte que deux filles se lient d’amitié. Somme toute rien d’exceptionnel, à l’exception d’un traitement graphique qui en fait ressortir toute la splendeur.
L’opposition des deux mondes passe ainsi surtout par des choix esthétiques. Les lignes sont très strictes et géométriques dans la ville, alors que la forêt laisse s’exprimer des formes plus rondes et fluides. Rien de très innovant en soit mais Moore et son équipe poussent l’idée dans ses retranchements. L’ampleur des designs le dispute à une approche très sensorielle. Baignant dans des teintes vertes et oranges, il se construit une habile confrontation des styles. Wolfwalkers prend en référence le chef d’œuvre d’Isao Takahata Le Conte De La Princesse Kaguya. Il refuse en conséquence l’idée de propreté et de stabilité de l’animation. Moore ne veut pas d’une animation qui recherche le réel dans le sens qu’elle donne l’impression qu’une caméra se trouve juste à côté des acteurs. Il veut pouvoir tordre le réel à ses impératifs émotionnels. C’est ainsi que les traits des personnages peuvent évoluer en fonction de leurs émotions. Ça sera notamment le cas de l’héroïne. Si elle commencera l’aventure avec une allure droite conforme à la ville, son design gagne en rondeur lorsqu’elle se rapprochera de la forêt. Histoire de bien établir la force de la démarche, le WIP se conclut sur une scène de course nocturne d’une grande puissance hypnotique. L’énergie dégagée y est incroyable en explorant de façon accessible et innovante la découverte des sens pour le personnage. Ainsi qu’importe le classicisme de la proposition, il s’établit déjà que Wolfwalkers sera une inratable expérience immersive.