[Annecy 2020] Les « Work in progress »

► My Love Affair With Mariage

Si la mise en ligne des « Work in progress » (WIP) a permis un accès plus large à cette sélection si prisée, il faut avouer que l’absence de contact humain direct se fait quelque peu sentir. Cette contrainte de la distance est notamment le cas pour My Love Affair With Mariage. Malgré tout, la réalisatrice Signe Baumane qui assure une grande partie de la présentation se montre très chaleureuse et laisse paraître la joie qu’elle a de partager son travail. Souriante, elle nous fait un récapitulatif agréable sur la fabrication de son film qui n’est pourtant pas totalement aisée. Son œuvre raconte l’histoire d’une jeune femme dans la société de l’Union Soviétique. Du récit découlera une réflexion féministe entre ce que la société impose comme normes à son héroïne et ce que lui dicte son Moi (représenté par un personnage incarnant sa biologique). Cette dichotomie se retrouve illustrée par le style graphique du film. Les décors sont ainsi des miniatures où évolueront des personnages en 2D. La réalisatrice et son équipe détaillent chacune des étapes visant à assurer la cohérence du mélange au travers de la gestion des interactions et des couleurs. Il s’agit là d’un gros travail qui donne très envie de voir l’ensemble finalisé. Pour ne rien gâcher, la présentation se termine par un extrait mi-glaçant mi-drôle qui renforce l’attente.

► Inu-Oh

Un autre souci de l’édition en ligne tiendrait du format très aléatoire des WIP et le fait qu’ils n’aillent pas forcément autant dans le détail qu’on le souhaiterait. Certes, c’est un risque déjà existant dans les éditions traditionnelles du festival mais qui s’affirme encore plus avec cette version en ligne. On regrette ainsi un peu que le WIP du très attendu d’Inu-Oh ne dure qu’un petit quart d’heure, d’autant plus qu’une partie du temps est pris par un montage (certes plaisant) des réalisations de Masaaki Yuasa sur ces quinze dernières années. Néanmoins, il en faut peu pour l’immense cinéaste afin de générer d’hautes espérances quant à son prochain long-métrage. Masaaki Yuasa confirme toujours son désir d’explorer de nouveaux territoires et de ne jamais se contenter de conventions. A l’instar de Rémy Chayé avec Calamity Jane, il entend donc profiter du manque de documentation sur l’acteur de théâtre du titre afin de créer sa propre version du personnage. Pour Yuasa, le cœur du projet est là. De son point de vue, l’Histoire est moins une ligne droite qu’un arbre avec des branches avançant dans plusieurs directions. Il veut ainsi investir certains embranchements oubliés pour les faire redécouvrir. En ces temps où la connaissance et l’acceptation de l’Histoire constitue un enjeu sociétal important, le sujet tombe à pic et Yuasa est le genre d’artiste capable de nourrir véritablement la réflexion.

Il ne faut donc pas espérer un film historique banal et solennel. Au contraire, Yuasa veut restituer à son audience contemporaine ce qui fut la modernité d’une époque. Là où le théâtre est aujourd’hui souvent pratiqué selon une méthode aux gestes ralentis, il veut remettre en avant à quel point celui de l’époque était plus vivant et en lien avec un public populaire. Il rappelle ainsi le statut d’équivalent de pop star des artistes en les comparant entre autres aux Beatles. On voit clairement se profiler une énergie folle ne refusant pas des choix que beaucoup jugeraient inappropriés (à l’instar de Keiichi Hara utilisant de la musique rock dans Miss Hokusai). En l’état, la proposition du film centré sur des artistes populaires et oubliés offre de magnifiques perspectives et les quelques images montrent que Masaaki Yuasa sera assurément à la hauteur du sujet. Comme si on en doutait.

► L’Île

Autre artiste peu porté sur les conventions, Anca Damian dévoilait avec le WIP de L’Île ce qui s’annonce comme une sacrée expérience. Le projet en lui-même est pour le moins particulier. Tiré d’un concert, il réinterprète Robinson Crusoé en remettant en avant ses composantes politiques (notamment la question du colonialisme). Afin de s’emparer de l’œuvre, Damian ne va faire que suivre cette voie hybride. Rien d’étonnant cela dit quand on a déjà gouté à l’un de ses films (dont le dernier L’Extraordinaire Voyage De Marona fut projeté à Annecy l’année dernière). En l’occurrence, la réalisatrice ne se départit pas de son approche très visuelle. Après un premier jet du scénario, il lui faudra ainsi avancer sur le story-board pour réussir à finaliser l’écriture de la seconde version du script. L’alliance d’une approche fortement musicale (les musiciens originels ont réenregistré et arrangé le concert spécifiquement pour les besoins du film) tend à promettre une expérience sensorielle assez remarquable. Les quelques images montrées charment par leur étrangeté (Robinson partage son île avec des animaux mutants) et un mariage de technique assez hallucinant où l‘animation 3D côtoie des photographies et la rotoscopie pourtant si honnisse par les animateurs. Cela annonce le genre de film fou qui sait nous sortir de notre zone de confort.

► The Cuphead Show

En comparaison, le WIP de The Cuphead Show apparaît bien peu informatif. Un moindre mal puisque nous sommes déjà séduits par le projet, adaptation en série du jeu vidéo éponyme dont le style visuel s’inspirait des dessins animés des années 30. L’équipe évoque la joie de s’aventurer dans cet esthétisme caoutchouteux où le moindre objet peut se transformer sans prévenir. Toutefois, on ne rentre pas dans le détail de la fabrication de la série destinée à Netflix. La présentation n’a pas particulièrement vocation à nous rendre compte de sa conception. Elle semble surtout là pour laisser à l’équipe l’opportunité de relâcher la pression. Tourné en plein confinement, la vidéo permet à l’équipe de s’amuser à présenter leur quotidien et leur espace de travail. Le tout non sans un grain de folie. Il faut avouer que c’est assez divertissant et nous amène à considérer que la série n’est donc pas entre de mauvaises mains.

► Sirocco Et Le Royaume Des Courants D’Air

En l’état, ces WIP s’adressait surtout au public. Ça n’est pas forcément le cas du très bref WIP de Sirocco Et Le Royaume Des Courants D’Air qui paraît surtout vouloir convaincre des investisseurs. Néanmoins, il remplit son office quant à susciter de la curiosité pour le film de Benoît Chieux. Son univers fantastique s’annonce magnifique par ses couleurs et son style tout en rondeur. Cette envergue esthétique ne sera pas de trop pour une animation qui devra traiter cette puissance immatérielle qu’est le vent. Cela dit, les quelques images mettent en confiance. La plus grande crainte viendrait du scénario qui devra motiver le tout. Honnête, la présentation avoue que le film fut initié avant tout autour d’idées visuelles et que l’histoire s’est construite dessus. Présenté sur la première moitié de la vidéo, celle-ci s’annonce très classique avec ses enfants pénétrant un monde fantastique qui n’est pas tout à fait ce qu’il semble être. On espère que la trame sera moins convenue que ce qui est exposée. En attendant on reste attentif à ce qui est une proposition alléchante pour notre cinéma hexagonal.

► Len Y El Canto De La Ballenas

L’encore plus court WIP de Len Y El Canto De La Ballenas de Manuel Victoria et Joan Manuel Millan Torres suit le même chemin. La vidéo de quelques minutes n’a véritablement d’autre but que d’attirer d’éventuels partenaires dans l’aventure. La présentation n’a donc pas suffisamment de matière pour sauter au plafond mais on espère néanmoins de tout cœur que l’équipe réussira à attirer des personnes et à mener à terme son projet. Car il y a là de bonnes intentions dans cette histoire baignant dans la culture colombienne avec ses ambitions écologiques. Le peu d’images montre une animation 3D tentant de s’approcher d’un rendu 2D pas forcément totalement convaincant mais cela n’enlève pourtant rien à la beauté de certaines images.

► New Gods : Nezha Reborn

Pratiquement terminé quant à lui, New Gods : Nezha Reborn s’offre un WIP plus proche de la featurette promotionnelle. Light Chaser Animation repousse ici ses ambitions de dépoussiérer la mythologie chinoise à grand coup d’animation 3D. On l’avait constaté l’année dernière avec White Snake déjà réalisé par Ji Zhao. Cependant si ce dernier restait une relecture attachée à son côté film en costume, Nezha Reborn s’en éloigne complètement. Si le film proposera une séquence d’époque avec un rendu en 2D, le reste du long-métrage prendra place dans un contexte moderne. En effet, le traitement se réclame celui d’un film de super héros. On pourrait s’amuser de la tentative de justification de la démarche opportuniste en avançant la nature rebelle de sa divinité. Mais le moins que l’on puisse dire c’est que le studio n’a pas fait les choses à moitié dans cette optique. Les quelques minutes montrées font dans l’over-the-top, partant dans de l’action insensée avec une mise en scène ultra-fluide. Ça ne sent pas le grand cinéma mais le potentiel jouissif du spectacle est là.

► Interdit Aux Chiens Et Aux Italiens


Tout aussi professionnel mais moins promotionnel, le WIP d’Interdit Aux Chiens Et Aux Italiens méritait bien qu’on lui prête attention. La présentation constitue un solide tour d’horizon de la fabrication du film et celui-ci se montre très séduisant. Séduisant déjà par l’investissement du réalisateur Alain Ughetto. Ce dernier a voulu replonger dans ses racines en racontant l’histoire de son grand-père immigré. On le sent très concerné dans cette démarche à faire parler son âme italienne. Cela donne au long-métrage une orientation de farce où la gravité des situations s’accompagne d’une drôlerie assez désarmante. Ce charme se prolonge dans l’approche de la stop motion. Au-delà de la méticulosité, on est surpris par son caractère organique. Le réalisateur utilise ainsi des produits ramenés du pays comme du charbon, des châtaignes ou des citrouilles qui s’intègrent dans les décors. Cela donne une patine très vivante au film et lui ajoute la sensibilité nécessaire à ce genre d’histoire. Bref, la vidéo étale des arguments qui en font un film à attendre de pied ferme.

► Lamya’s Poem

On n’en dira pas autant du WIP de Lamya’s Poem d’Alexander Kronemer. La présentation se perd définitivement dans un ton extrêmement promotionnel où tout le monde est beau, tout le monde est génial, tout le monde est formidable. Au-delà de l’aspect crispant de la chose, il faut dire que le projet n’est guère encourageant en lui-même. Pourtant, on pourrait accorder une certaine attention à un film d’animation évoquant la vie d’une adolescente en Syrie. Sauf qu’il y aura également un entrecroisement avec une autre intrigue dans le passé comportant des éléments fantastiques. Et là on a un gros effet de déjà-vu. En effet, la mécanique et le contexte d’une jeunesse sous l’oppression évoque méchamment Parvana de Nora Twomey. Le dispositif sent méchamment la redite et le rendu de l’animation 3D guère convaincant ne freine pas ce sentiment de sous-produit. On peut clairement dire que l’opération de séduction est un échec.

► Maman Pleut Des Cordes

C’est tout l’inverse du conséquent WIP pour Maman Pleut Des Cordes d’Hugo de Faucompret. Pendant une demi-heure, l’équipe fait un compte-rendu très complet de la production. On va donc de la difficulté à financer le projet de court-métrage à la composition de la musique en passant par l’apport d’un point de vue féminin sur le scénario. Ce qu’on retient tout particulièrement, c’est le travail sur les décors qui a été effectué à la peinture ; la technique est très contraignante, tout d’abord pour les peintres eux-mêmes qui n’ont guère de possibilité de rattraper une erreur commise et ensuite pour les animateurs qui doivent redoubler de précaution pour assurer l’incrustation des personnages. Mais les efforts sont payants puisque le résultat est splendide. Accordé à la délicatesse d’un thème sur la dépression du point de vue de l’enfant, on guettera la diffusion télé du programme qui sera assurée par Canal+ et France Télévision.

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