La projection en séance événement à Annecy de Have a Nice Day de Jian Liu sonne comme une douce vengeance. Sélectionné en compétition, le film fut déprogrammé en précipitation officiellement pour une question de visa. Une mésaventure qui a d’autant plus excité le public à la perspective de découvrir ce long-métrage que les autorités chinoises voulaient lui cacher. Mais à l’instar d’un Terry Gilliam qui accouche de L’Homme Qui Tua Don Quichotte après vingt ans de gestation, ce genre de parcours du combattant pousse à avoir des attentes disproportionnées par rapport à la réalité de l’œuvre. Le long-métrage de Jian Liu le prouve en affichant une nature bien plus modeste que le brûlot social fantasmé. Ce qui évidemment ne veut pas dire que le film est un ratage, loin de là. L’introduction dénote en ce sens un minimum de compétence pour raconter un récit choral classique où tout le monde court après un sac plein de billets pour s’acheter une nouvelle vie.
Jian Liu débute ainsi son film sur une citation de Tolstoï rappelant que même dans les villes, le printemps reste le printemps. La décrépitude d’une ville ne peut donc rien face au désir de renaissance des hommes. Le réalisateur s’attache à ce principe qu’on ne peut entamer ce besoin de changement et d’accéder à des jours meilleurs. Quand bien même la valeur de ces rêves est nulle. Comme si l’état perpétuellement en construction de la cité les contaminait, les aspirations exposées par les personnages paraissent condamner à l’impasse. Monter une start-up ou ouvrir un restaurant sont des projets imaginés sans pour autant être accompagné d’une vocation ou juste de motivation. Ce sont des rêves creux qui ne mènent nulle part, uniquement portés par des sentiments qui sont des réflexes plus qu’autre chose. Ce que traduit le rythme très posé (pour ne pas dire statique) de la mise en scène.
Certes, ce choix est dû aussi à des contraintes économiques et une animation on ne peut plus limitée l’atteste. Mais ces obstacles sont détournés par la mise en œuvre d’une certaine inventivité. Occupant plusieurs postes techniques en plus du fauteuil de réalisateur, Jian Liu fait ainsi preuve d’habileté au vu des moyens à disposition. Cela se sent notamment dans un découpage précis et participant activement à l’atmosphère de piège sans issue inhérente à l’histoire. La fatalité de celle-ci se nourrit de son misérabilisme et vice-versa. Nul doute que c’est cela qui a motivé le retrait du film l’année dernière, plus qu’une question de visa. Et il faut considérer la réaction exagéré au vu de ce qui demeure une peinture en filigrane au service d’une intrigue traditionnelle. Ce qui est assez pour donner à cette dernière un peu de saveur mais insuffisant pour bousculer les mentalités.
Ça n’est pas la même ambiance qui gouvernera une autre séance événement, celle de l’avant-première d’Hôtel Transylvanie 3 : Des Vacances Monstrueuses. Malgré tout l’amour que l’on porte envers Genndy Tartakovsky, on pouvait se demander s’il était raisonnable de rempiler pour un troisième épisode. Au-delà d’un concept attrayant pour tous fans de monstres, la franchise fonctionne seulement grâce au talent de son réalisateur. Ce qui se traduit par une animation virtuose et un timing de la comédie atteignant la perfection. En prenant en compte cela, Tartakovsky avait-il encore quelque chose à proposer sur cet univers ? Sur bien des aspects, il faut considérer qu’Hôtel Transylvanie 3 ne change pas la donne. Le génie de Tartakovsky pour mettre en scène un gag et élaborer une dynamique d’animation originale reste le grand atout du film. Il s’ajoute néanmoins une nuance. Cette fois-ci, Tartakovsky prend également en charge le scénario.
On peut comprendre une telle décision de sa part. Hôtel Transylvanie 2 souffrait d’un scénario plus éparpillé que le premier film (projet lui-même sauvé à la dernière minute par Tartakovsky). En dépit d’un test extrêmement prometteur, son Popeye a été purement et simplement annulé. Tout ceci ne motive pas le bonhomme à mettre encore en boîte un véhicule pour Adam Sandler et ses copains. En lui accordant un peu plus de maîtrise, Hôtel Transylvanie 3 évite ainsi de reproduire l’aspect disloqué de son prédécesseur et retrouve une ligne narrative plus claire. Cependant, cela n’éloigne pas forcément la série de ses acquis. Il s’agit toujours de piocher dans le folklore des films de monstre (la grande nouveauté vient ici du fameux chasseur de créature Abraham Van Helsing) au bénéfice de l’abattage comique. L’histoire ne supporte que des thématiques classiques sur la famille, se contente d’enjeux superficiels (il faut recaser papy Drac) et va même minimiser le peu d’échos sociaux des films antérieurs (l’acceptation de la différence).
Peut-être que l’intérêt de Tartakovsky est justement de se détacher de tout cela pour laisser plus de champ à ce qu’il souhaite. En l’occurrence, il s’agit de cette atmosphère de délire cartoonesque laissant libre cours à tous les excès. Là-dessus, il faut admettre qu’avec un dosage du rythme ultra-soutenu sans être gavant, Hôtel Transylvanie 3 se montre incroyable. L’exploitation des composantes des personnages reste d’une inventivité remarquable et constamment surprenante (le couple de loup-garou enfin délivré de leurs rejetons, Blobby et son fils). Mais le plus de cet épisode est donc l’envie de Tartakovsky de pousser un cran plus loin cette folie, offrant quelques passages dont l’humour se fait plus mordant et féroce par rapport aux standards de la franchise (la séquence des gremlins). Le prix à payer d’une telle qualité et quantité de gags absurdes et géniaux est inévitablement de voir certaines choses l’emporter sur d’autres. Par exemple, la séduction à double-tranchant entre Dracula et Ericka bénéficiera de plus de développement que la suspicion naturelle mais avérée de Mavis envers sa potentielle belle-mère. Mais cela ne suffit pas à ruiner la dimension terriblement fun de ce nouvel épisode !