Commencer le festival d’Annecy par les courts-métrages, c’est non seulement la promesse d’être étonné mais aussi de constater la richesse intellectuelle des réalisateurs, jeunes comme plus expérimentés. Il aura bien sûr fallu faire un choix, alors voici quelques réflexions sur ceux qui nous auront le plus interpellés.
Journal animé, de Donato Sansone
Le titre dit tout du concept de ce court-métrage. Ce qu’il tait, c’est son ton cynique qui grandit pour mener à un climat puissamment anxiogène. Pour Donato Sansone, il ne s’agit pas seulement d’animer des titres de journaux mais aussi de les subvertir. On reconnaît bien là l’esprit originel de Canal + qui a financé le court-métrage. Nadine Morano est repeinte en noir, horrifiée, elle hurlera en voyant son reflet dans un miroir. Ainsi, les sujets politiques les plus courants se révèlent sous le jour d’un extrémisme grandissant. Les crayonnés s’étendent en ombres qui rappellent au spectateur l’imagerie fasciste. Tous les symboles de la culture médiatique actuelle sont perçus comme des signes oppressifs. Le film engagé a été réalisé en deux mois, il s’agissait pour le réalisateur d’improviser chaque jour à partir de titres réels de journaux qu’il scannait, et ce, sans aucun échappatoire. Il avait initialement prévu de terminer son travail le 15 novembre 2015, date qu’il laissa inchangée malgré les attentats du 13. Puisqu’il n’évite rien de l’actualité contemporaine, le film n’évite donc aucune cruauté et figure des soldats de Daesh, en dépersonnifiant ces terroristes qui deviennent des menaces sans âme. La nausée nous gagne. Un des courts-métrages les plus marquants, si ce n’est l’un des plus traumatisants.
Celui qui a deux âmes, de Fabrice Luang-Vija
Ce court-métrage a déjà été couronné par le Prix du meilleur court-métrage d’animation au Flickerfest 2016. Un joli conte où les personnages n’aspirent qu’à sortir des cases qu’on leur destine depuis la naissance. Lors du premier petit dej’ du court, le réalisateur l’a confié : il aime les histoires où les personnages ne sont « jamais tranchés, toujours sur le fil ». Amateur de conte, il avait depuis quelque temps l’idée d’en utiliser un comme support à un court-métrage, au fil de ses écoutes, il a fini par tomber amoureux de Celui qui a deux âmes, conté par Néfissa Bénouniche. Très vite, il prend contact avec elle pour réaliser ce film qui narre l’histoire d’un jeune inuit androgyne se plaisant à coudre autant qu’à chasser, androgyne qui ne sait s’il doit choisir un homme ou une femme comme compagne. Le récit nous fera justement rencontrer une veuve dont le passé a été étoffé par Fabrice Luang-Vija et ce, afin de densifier l’incarnation du personnage. Quand le personnage se découvre un talent certain pour la pêche, cela fait écho au refus de choisir un rôle par notre mystérieux homme aux deux âmes. Ainsi, cela donne naissance à un couple hors-normes et aux rôles interchangeables, permettant de voir s’épanouir une relation sensuelle où les âmes se répondent et où les corps se mêlent. Pour le réalisateur, la poésie repose essentiellement sur des effets de répétition, ce n’est pas un hasard s’il a développé autant d’affinité avec le conte mais cette poésie émane surtout des lignes qui se frôlent avant de s’épouser langoureusement. On retiendra plusieurs scènes d’amour, si graphiques qu’elles nous donneraient presque l’impression que c’est notre peau qu’on effleure. Un réalisateur à suivre absolument !
« Parade » de Satie, de Kôji Yamamura et Erlkönig, de Georges Schwizgebel
On nous propose deux courts-métrages qui parlent à notre culture musicale et littéraire. L’un nous présente « Parade » de Satie, une œuvre triptyque puisqu’elle est formée non seulement de sa musique mais aussi d’un poème de Jean Cocteau et des décors et costumes de Picasso. L’autre court-métrage prend pour source les transcriptions musicales de Schubert et Liszt du célèbre poème de Goethe. Dans le premier, Koji Yamamura joue le pari ambitieux de faire renaître par l’animation la représentation scénique faite en 1917 du ballet mais dont on n’a gardé aucune trace ; l’univers forain situe donc des figures qui auraient été présentes à l’époque. On le devine au visionnage : le réalisateur maîtrise son sujet, érudit, il resitue avec précision les querelles qui animent les mouvements artistiques du début du siècle et met en mouvement des peintures qui réfèrent aux courants de l’époque, bien sûr au cubisme de Picasso mais peut-être aussi au dadaïsme. Il confiera à Marcel Jean lors du premier petit déjeuner du court qu’il écoute effectivement Satie depuis plus de 20 ans et a imaginé Parade suite à une exposition qui s’est tenue au Japon. C’est cohérent, on ressent l’envie du réalisateur de nous immerger dans cette époque d’ébullition culturelle particulièrement forte dans les années 1910/1920 mais c’est bien là le souci de l’œuvre qui est noyée dans cette envie de retranscription réaliste et qui perd la notion de cinéma. Koji Yamamura ne présente finalement rien d’autre que des peintures en mouvement, sans s’intéresser aux mouvements de caméra.
Le Roi des aulnes fait tout l’inverse puisqu’il nous emporte dans un véritable tourbillon de couleurs, mais pas un tourbillon filmé par une caméra fixe, non, c’est bien le mouvement de caméra qui crée dans l’œil du spectateur cette symphonie visuelle. Les angles de la caméra contribuent également à la folie générale du morceau, sans même connaître le poème originel de Goethe, on ressent son caractère hautement anxiogène.
Finalement, quand le premier court se fait trop intellectuel, comme s’il exhibait ses références artistiques, le second donne réellement vie à la musique et permet donc une compréhension intuitive du poème de Goethe sans qu’aucun mot ne soit utile.