Vagues, de Ahmed Nour
Bien que soit fatalement qualifiée comme telle une œuvre proposant à peine plus de cinq minutes de passages animés sur les soixante-dix qui le composent. Mais qu’à cela ne tienne. Réalisé par l’égyptien Ahmed Nour, ancien assistant-réalisateur qui signe ici son premier long, Vagues est un documentaire prenant la révolution égyptienne de 2011 comme toile de fond pour évoquer la ville de Suez, ses habitants et les événements auxquels ils ont dû faire face durant le règne de Hosni Moubarak. C’est du moins ce que le film propose dans une première moitié ayant recours à une symbolique purement cinématographique (surimpression d’images évocatrices, utilisation de motifs sonores, l’animation …) qui offre au film une atmosphère lourde en parfaite adéquation avec le terrible état des lieux qui nous est présenté. Et ce en dépit d’une volonté d’insister sur celle-ci, notamment par le temps qui lui est accordée, pourtant imparable à l’aune de la colère qui en émane (l’eau potable ou l’emploi sont refusés au peuple, police corrompue, médias sous contrôle…).
Dommage alors que Vagues délaisse toute ambition visuelle dans une dernière demi-heure moins captivante laissant place à des procédés documentaires plus classiques – les témoignages face caméra se succèdent -, malgré une volonté évidente de questionner une génération par le prisme d’un réalisateur s’offrant une place au cœur du récit. Une démarche introspective, voire cathartique par instants, qui éloigne le docu du « simple » constat centré sur les tenants, aboutissants et conséquences d’un conflit. Et Vagues de remettre en question les démons du présents à l’aune de ceux du passé, d’interroger leur nature profonde pour mieux évoquer la situation actuelle d’une ville, d’un pays n’ayant toujours aucune perspective d’évolution.
Last hijack, de Tommy Pallotta et Femke Wolting
Et le festival de se poursuivre avec une certaine cohérence. Présenté en compétition officielle, Last hijack est en effet, à l’instar du film d’Ahmed Nour, un documentaire hybride faisant aussi bien usage de l’animation que des prises de vue réelles. Si ce n’est qu’à l’inverse de celui-ci, l’utilisation du medium faite par Tommy Pallotta et Femke Wolting se montre en apparence plus intelligente et porteuse de sens. Sous couvert d’une plongée dans le quotidien de Mohamed, somalien ayant investit la piraterie, le docu convoque donc la fiction au gré de scènes animées plongeant le spectateur dans la psyché du pirate. Ces dernières se posent ainsi comme autant de réponses aux séquences live, plus traditionnelles (mais fabriquées avec un vrai soin apporté à l’image – inserts, jeu sur les focales… -) qui empile les instants du quotidien et les témoignages des proches permettant d’apprendre à connaître le pirate et les raisons qui l’ont poussé à devenir pirate. Hélas, si l’animation offre clairement au film ses meilleurs instants (élaborés avec une illusion de réalisme qui contraste avec la volonté, faussement paradoxale, d’en appuyer l’aspect factice), ceux-ci ne font jamais oublier que Last hijack est avant tout assez laborieux dans le lien qu’il tente d’instaurer entre fiction et réalité, et guère passionnant quand il dépeint cette dernière.
Isolés dans le récit entre les problématiques et thématiques sociétales abordées par Pallotta et Wolting, les passages animés s’intègrent mal à une narration qui bride leur portée émotionnelle. Un souci d’ordre structurel, dans la mesure où le symbole et le réel se côtoient plus qu’ils ne se répondent l’un l’autre : chaque phase (documentaire et animée) semble avoir été pensée indépendamment, abolissant toute unicité d’un documentaire qui en manque cruellement. D’où l’impossibilité pour le spectateur de ressentir les émotions traduites par l’image pour appréhender pleinement le parcours du pirate et son évolution. Le résultat est donc un film où l’imaginaire ne semble pas avoir sa place, en partie parce qu’écrasé par le poids du réel. L’idée formelle est forte et en parfaite cohérence avec son sujet. Sa mise en oeuvre, elle, est juste frustrante.