REALISATION : Hiromasa Yonebayashi
PRODUCTION : Ghibli
AVEC : Mirai Shida, Ryunosuke Kamiki, Tomokazu Miura, Kirin Kiki…
SCENARIO : Hayao Miyazaki, Keiko Niwa
PHOTOGRAPHIE : Atsushi Okui
MONTAGE : Rie Matsuhara
BANDE ORIGINALE : Cécile Corbel
TITRE ORIGINAL : Kari-gurashi no Arietti
ORIGINE : Japon
GENRE : Animation, Anime, Drame, Enfance
ANNEE DE SORTIE : 12 janvier 2011
DUREE : 1h34
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Dans la banlieue de Tokyo, sous le plancher d’une vieille maison perdue au cœur d’un immense jardin, la minuscule Arrietty vit en secret avec sa famille. Ce sont des Chapardeurs. Arrietty connaît les règles : on n’emprunte que ce dont on a besoin, en tellement petite quantité que les habitants de la maison ne s’en aperçoivent pas. Plus important encore, on se méfie du chat, des rats, et interdiction absolue d’être vus par les humains sous peine d’être obligés de déménager et de perdre cet univers miniature fascinant fait d’objets détournés. Arrietty sait tout cela. Pourtant, lorsqu’un jeune garçon, Sho, arrive à la maison pour se reposer avant une grave opération, elle sent que tout sera différent. Entre la jeune fille et celui qu’elle voit comme un géant, commence une aventure et une amitié que personne ne pourra oublier…
Article rédigé dans le cadre de notre Semaine Ghibli
Lorsqu’il évoque les difficultés qui ont émaillé l’adaptation de la série littéraire de Mary Norton, Les chapardeurs, Hiromasa Yonebayashi se remémore une anecdote concernant l’un de ses premiers dessins. Celui-ci représentait Arrietty, souriante et allongée dans la paume de la main de Shô. De fait, le néo-réalisateur voyait ici un problème de traitement en ce qui concerne la problématique d’équilibre constituant l’essence même de la relation entre les deux adolescents. Il y avait dans cette approche un souci de représentation lié à une sorte de supériorité du jeune garçon à l’égard de celle qui est censée être une alter-égo, d’un point de vue moral. Arrietty n’est pas censée être apprivoisée, tout comme elle n’a pas à se sentir en sécurité auprès de Shô, deux notions qu’un tel dessin pouvait évoquer. Dans Arrietty, le petit monde des chapardeurs, les rapports qui nourrissent cette histoire d’amitié sont de l’ordre de la complémentarité entretenue dans la différence, chose avec laquelle les idées de soumission et de domination ne peuvent cohabiter. La thématique n’est d’ailleurs pas nouvelle dans l’univers de Hayao Miyazaki, qui scénarise ici. Déjà à l’époque de Nausicaä de la vallée du vent, le cinéaste donnait à entendre qu’en dépit de ce qui les caractérisait, nature et civilisation pouvaient (et se devaient de) cohabiter. Plus tôt encore, dans sa série télévisée Conan, fils du futur, la technologie la plus pointue pouvait, si utilisée au mieux, servir de support au plus fondamental des impératifs, la survie. Relation, compréhension, compréhension des relations : les propos de Miyazaki ont toujours été faits de ces idées depuis ses débuts. Est-il alors aussi agréablement surprenant que prévisible de découvrir un Arrietty aux deux visages, la forte personnalité artistique de l’un devant cohabiter avec la vision du monde extrêmement familière du maître qui en est le porte-parole.
Projet de longue date, puisque Miyazaki avait eu l’intention d’adapter les livres en série animée dans les années 70, Arrietty, le petit monde des chapardeurs est en effet la résultante de deux points de vue. En transposant la diégèse de l’Angleterre du début du XXème siècle au Japon contemporain, Hayao Miyazaki se donne l’occasion d’intéresser la jeunesse de son pays (laquelle n’aurait aucune curiosité envers un mode de vie plus ancien, selon lui) autant que d’approfondir les thématiques qui lui sont chères et connues de tous. Le court prologue va en ce sens : on y découvre une vieille dame accompagner son neveu chez elle, en voiture, traversant la ville et ses immenses bâtiments pour arriver dans une villa relativement coupée du monde. Une idée maligne puisqu’elle permettra à elle seule de créer un certain suspense en fin de film (l’arrivée tardive de dératiseurs qui ne trouvent pas la maison, permettant à Shô de pouvoir aider Arrietty), tout en mettant en place l’habituelle dichotomie entre nature et civilisation. Lui semble être attaché à un milieu urbain (il vient chez sa tante pour être au calme), et tout naturellement, Arrietty est d’emblée rattachée à l’environnement fleuri dans lequel on la découvre, tout à fait à l’aise et sûre d’elle dans la manière de s’y aventurer. L’écran-titre symbolise ce « monde à part », en restreignant la vie de la chapardeuse à l’intérieur de cette grande baraque. Arrietty sera donc un film où la cohabitation tiendra un rôle central, ce que Yonebayashi exprime visuellement par une simple mise au point sur une coccinelle. La thématique centrale du récit est mise en place en moins de cinq minutes, le tout avec une économie de dialogues autorisant une poésie que la musique de Cécile Corbel et la mise en images de Yonebayashi ne se gênent pas à instaurer.
Et pour que tout soit raccord, quitte à ce que cela passe pour une absence de renouvellement thématique, la complémentarité future ne s’en retrouve que plus profonde à l’aune des différences entre les protagonistes. En dehors de leur taille, Shô et Arrietty ne se ressemblent pour ainsi dire pas du tout. Lui est forcé à prendre du repos, à lire dans son lit, à s’allonger sur l’herbe et contempler le ciel. Sa mobilité réduite contraste avec le goût d’Arrietty pour l’aventure, elle qui n’a pas peur du danger (elle prend sa première chaparde avec légèreté, prend du temps pour se faire belle sans guère s’inquiéter d’éventuelles menaces), quitte à traverser le jardin qui borde leur petite maison pour offrir une feuille à sa mère à l’occasion de son anniversaire. De plus, la solide cellule familiale de l’adolescente est enviée par Shô, lui qui souffre de l’absence de temps passé avec un père qu’il ne voit que très peu et une mère qui travaille constamment. Littéralement même, puisque si l’on ne connaît pas la nature exacte de sa maladie cardiaque, c’est pour mieux faire ressortir l’aspect symbolique de celle-ci. « Tu es devenue une partie de mon cœur » dira-t-il même suite au départ d’Arrietty. À ce titre, la survie du jeune homme, si elle est laissée en suspens, semble inévitable du point de vue symbolique. De même, sa première intervention dans le film se fait au détour d’une réplique sous-entendant le temps qui a passé depuis sa rencontre avec Arrietty : « L’été de cette année-là, je suis allé passer une semaine dans la maison d’enfance de ma mère. » Pourtant, là aussi d’un point de vue symbolique, cette affirmation se double à l’image d’un mouvement panoramique débutant du ciel pour relier celui-ci à la terre…
Si le sort des protagonistes est donc laissé au bon vouloir du spectateur, bien que d’autres indices indiquent leur survie, il n’y a en revanche guère de doute sur la finalité des rapports entre les deux univers. Si ceux-ci ne peuvent pleinement cohabiter du fait de la nature belliqueuse des êtres humains (la vieille Haru n’a pas de motivation précisément définie quant à sa volonté de capturer les chapardeurs) et de l’incompréhension de ceux-ci à l’égard des petits êtres (Haru les qualifie de « voleurs » sans se soucier de leur nécessité de survie), un espoir subsiste dans quelques personnes consciencieuses. Car si nature et civilisation pouvaient se nourrir l’un l’autre dans Nausicaä, il n’y avait en revanche pas d’alternative possible à la séparation des mondes dans Princesse Mononoké (San et Ashitaka finiront par vivre proches l’un de l’autre mais pas ensemble). Il en est de même ici, bien que le propos de Miyazaki s’axe plus sur la survie des espèces que sur la nature au sens large du terme. Preuve en est que Shô et Arrietty sont des exceptions au sein de leur peuple : le jeune garçon n’osera pas dévoiler l’existence des chapardeurs à sa tante malgré l’apparente affection de celle-ci vis-à-vis d’eux, tout comme Arrietty est la seule à faire confiance à un humain. Cela se traduit à l’image lors de la séquence de la première chaparde chère à la jeune fille. Le père ne voit pas Shô : c’est Arrietty qui lui confirme ses soupçons. De plus, il ne semble pas entendre la voix du malade, lorsque celui-ci s’adressera à la fillette : ses nombreux avertissements sur la menace que représente la race humaine aurait suscité chez lui une réaction plus agitée que la nonchalance dont il fait preuve à cet instant. Tout ceci participe de la peinture, basée sur le non-dit, d’un lien intime entre les deux êtres.
Et si Arrietty se termine aujourd’hui sur une note pessimiste où le départ forcé des chapardeurs souligne l’incapacité des humains à préserver leur environnement naturel, encore reste-t-il un mince espoir d’humanité retrouvée, prémisse possible à une nouvelle aube d’un jour où la survie des espèces, cette utopie dépeinte par Miyazaki comme difficile d’accès, (re)deviendra possible.