Quentin Tarantino – True Romance

1/4

En 2004, Metropolitan profite de la sortie de la deuxième partie de Kill Bill en salles pour lancer une salve d’éditions opulentes touchant à l’univers de Tarantino. Au milieu de films à l’interactivité enrichie (les précédentes éditions étaient pour la plupart antiques et vierges de bonus) et corrigée (Tueurs Nés en version non censurée), on pouvait trouver True Romance jusqu’alors inédit dans nos contrées dans ce format. Une injustice réparée sur laquelle Tarantino livrait toutes les clefs sur sa création au travers d’un commentaire audio. Toujours aussi volubile, Tarantino revient ainsi sur la gestation du projet, son caractère autobiographique, sa violence, sa collaboration avec Tony Scott, les changements apportés à son script et les petits détails qu’il aime ou qui le fâchent.

True Romance est le premier script que j’ai écrit. J’avais déjà écrit un bon paquet de scénars depuis… je ne sais plus, la classe de cinquième ! On a quel âge en cinquième ? 14 ? 15 ans ? J’ai attaqué True Romance sans avoir achevé les autres. Au total, j’ai dû m’essayer à plus de trente scénarios ! Quelque chose dans ce goût là. Je m’arrêtais en général à la page 30. Pas forcément parce que j’étais à court d’idées mais il m’arrivait ce qui arrive à tous les scénaristes. Je partais avec l’idée d’écrire un script qui permettrait de raconter une histoire passionnante. Je commençais à écrire et j’allais jusqu’à la page vingt ou trente et puis je perdais tout intérêt dès que ça devenait difficile. Mais surtout, tout en écrivant, il me venait une nouvelle idée que je trouvais géniale et qui n’avait rien à voir avec mon scénario actuel. Bref, je commençais tout sans rien finir. Après quelques années, j’avais des tonnes de scénarios qui s’arrêtaient tous à la page 30. Je m’en souviens d’un qui s’appelait The Open Road et pour lequel j’avais réussi à dépasser la page 30. Mais là, le scénario a commencé à m’échapper, comme mon grand roman américain qui n’a jamais vu le jour. Je devais avoir dans les cinq cent pages manuscrites ! Bien sûr, j’avais franchi la fameuse page 30 mais il me restait à écrire un script qui fasse la longueur d’un film. Je savais qu’après The Open Road, ma nouvelle tentative serait la bonne. Et ça a été le cas !

J’ai écrit True Romance mais autre chose m’a aidé. Je m’étais essayé à la réalisation avec un film en 16mm, My Brest Friend’s Birthday, et curieusement, la scène où Christian Slater parle de se faire Elvis a été quasiment repiquée d’un monologue de ce film. Le tournage de ce film avait demandé quelques week-ends et son financement grâce à mon boulot au vidéoclub. J’essayais de bosser sur le film chaque week-end. J’y ai passé trois ans et demi en le finançant petit à petit, dollar après dollar… mais le résultat final ne m’a pas plu. C’était mauvais, j’ai été forcé de reconnaître que ce que j’avais fait était nul. Ça m’a déprimé un peu mais bon, je me suis vite remis et j’ai vu l’aspect positif, à savoir que ça m’avait appris à faire un film sans avoir à passer par la case école de cinéma. Quand on a réussi ça, même si on n’a rien à montrer, au moins on sait faire un film. On se dit que ça sera mieux la prochaine fois et c’est le cas.

Après tout ça, j’ai voulu essayer de faire un vrai film. Pas un truc amateur à petit budget mais un vrai film avec de quoi le financer. À l’époque, mes héros, qui n’étaient pas encore considérés comme de vrais de réalisateurs, c’était les frères Coen avec leur Blood Simple. J’allais faire True Romance comme ils avaient fait Blood Simple, en faisant banquer les médecins, les avocats… Je suis allé trouver Stanley Margolis qui apparaît encore au générique. J’ai écrit True Romance et c’était très différent de mes autres scénarios parce que celui-là, j’allais le finir. J’avais une vraie histoire, c’était pas une simple tentative avortée de boucler un film. C’est le premier script que j’aie jamais fini. Une fois écrit, j’ai essayé pendant les cinq années suivantes de le porter à l’écran et ça n’a jamais réussi.

Il faut dire en aparté que ces images sont tirées de The Street Fighter avec Sonny Chiba. J’ai vraiment vu ces trois films à la suite : The Street Fighter, Return Of The Street Fighter et Sister Street Fighter. À l’époque du tournage, ils étaient impossibles à trouver en vidéo. The Street Fighter a d’ailleurs été le premier film classé X aux Etats-Unis à cause de sa violence. Après sa sortie, il a été amputé, remonté, ramené à une durée d’une heure et c’était la seule version disponible. Aujourd’hui, on trouve les trois en version intégrale. Vous pouvez recréer la rencontre entre Clarence et Alabama en vous projetant chez vous les trois films d’affilée. Bien sûr, ça ne sera pas la même chose qu’au ciné. Ça me rappelle un pote, gros fan de ciné, à qui il est arrivé la même chose. Ce cinéma est le Vista à l’angle d’Hollywood Boulevard et Sunset Boulevard. Il y a des années, on y passait des pornos gays avant que H&S en refasse une salle d’exclusivité. A l’époque du tournage, le Vista avait tout ce qu’il fallait, le fronton et les posters craignos. Des potes à moi passent devant et ils hallucinent : « Oh mon dieu, ils passent la trilogie Street Fighter ! ». Quand on leur dit que c’était pour un tournage, ils ont fait demi-tour en disant « Quentin fait chier avec son film ! ».

J’ai essayé d’imposer True Romance pendant disons cinq ans, sans jamais y parvenir. Croyez moi ou non, vous qui avez aimé le scénario et le reste, si vous m’aviez rencontré au cours de ces cinq années, je vous aurais vendu le script. Je l’aurais vendu au prix le moins minable, rien que pour me prouver mes qualités de scénariste. Personne n’en voulait. Beaucoup l’avaient lu, certains trouvaient ça bien, d’autres nul. Ils étaient plus nombreux à trouver ça nul. Ce qui est drôle, c’est qu’aujourd’hui, beaucoup de gens trouvent formidable ce que je fais. Mais à l’époque, j’étais un petit nouveau dont la façon d’écrire n’était pas conventionnelle. Et ça m’a poursuivi pendant longtemps.

Bon j’arrête de raconter ma vie pour vous commenter le film. Cette scène par exemple. Elle se déroulait en deux parties, mais j’ignore si Tony Scott a filmé la suite. Lorsque Clarence pose à Alabama toutes ces questions personnelles qui sont quasiment reprises telles quelles de la page centrale de Playboy… Il lui demande ce qu’elle aime, ce qu’elle déteste… La fin de la scène était un peu plus barrée alors ça me gène pas que Tony l’ait laissée tomber. Elle lui disait qu’elle ne savait plus qui elle était, qu’elle avait perdu la mémoire et traînait dans les rues en ayant tout oublié. Elle essayait de l’embobiner mais Clarence sentait le truc. La scène devait se finir comme ça. Ce qui est marrant, c’est que le film a été fait six ans après l’écriture du scénario. Quand on écoute ses réponses aux questions, on a l’impression que c’est pour faire cool et rétro. Mais ce n’était pas du tout le cas quand j’ai écrit le script. Elle dit que son acteur préféré est Burt Reynolds. À l’époque, Burt Reynolds était une star, un des favoris du public. C’est pas pour faire genre ! Pareil quand il lui demande qui elle trouve sexy. Mickey Rourke à l’époque, c’était le pur tombeur. Ça n’a donc rien de décalé !

True Romance est ce qu’il y a de plus proche… c’est ce que j’ai écrit de plus autobiographique. Je laisse ma trace personnelle dans tout ce que j’écris. C’est pas moi qui le dis, tout le monde le dit. Quand on me connaît, on sait que mes scripts, c’est moi. Je me dis que, chaque fois qu’on termine un script, on devrait se sentir gêné parce qu’on se met à nu en quelque sorte. On s’expose énormément. Si ça doit être le cas, alors il faut y aller à fond. Comme tout scénariste ou romancier pour son coup d’essai, mon premier script était très personnel. En voyant le film, je me dis que j’ai toujours ressenti ça et que ça s’est ancré de plus en plus profondément. Quand je revois True Romance, je suis impressionné par la façon dont je me percevais, dont je percevais Clarence qui était quasiment moi. Ce mec, c’est moi à 25 ans quand j’ai écrit le script. Je lui suis resté fidèle à de nombreux égards même si j’ai changé. Et là aussi pas qu’un peu. Aujourd’hui, j’ai trente-six ans. Si vous voulez, ce film est un peu ma coquille. Comme si je revoyais un portrait de moi à l’époque alors que je travaillais dans un vidéoclub comme vous devez déjà le savoir. Tous ceux qui bossaient avec moi ont aimé ce film. Il est fidèle à eux comme à moi. Ce qui est marrant, c’est que rien de tout ça ne m’est arrivé.

Je n’ai jamais rencontré de fille comme ça, encore moins une pute, pas à cette époque là du moins. Et ça, ça fait partie du film. A 25 ans, je n’avais jamais vraiment eu de copine… ce n’est pas que j’aie voulu quelqu’un comme Alabama. Je préfère les filles brillantes. Alabama n’est pas conne mais chez elle, les émotions l’emportent sur l’intellect. Je veux trouver une fille plus maligne que moi. C’est pas la fille de mes rêves mais avant tout, c’est une fille ! On me ressort souvent la phrase « j’avais peur que tu aies une bistouquette sous ta robe ». Le truc rêvé, c’est que c’est une fille mignonne qui en plus tombe amoureuse de Clarence parce qu’il est gentil avec elle, qu’il la respecte. Il est ce qu’il est. Ça comptait beaucoup pour moi que le rôle de Clarence ne revienne pas à un acteur célèbre et beau gosse qui emballe celle qu’il veut. Au contraire, c’était un mec moyen avec un boulot moyen comme c’était mon cas ou celui de mes potes. Le genre à avoir un job médiocre à presque vingt-neuf ans. En fait, quand j’écrivais le scénario, j’avais déjà en tête deux personnes qui collaient bien aux rôles : Joan Cusack pour Alabama et Robert Cary pour Clarence.

Quand le film s’est fait, ils avaient vieilli et aujourd’hui je ne vois pas qui aurait pu remplacer Patricia Arquette. Christian est tout aussi excellent. Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il est beau mec, il est sexy et les filles le savent. Mais dans le film, il ne joue pas là-dessus. Il égratigne un peu son vernis de star en jouant ce gamin qui pourrait tenir la caisse d’un vidéoclub ou de n’importe quel autre magasin. C’est ça qui comptait pour moi. Le fait d’être amoureux d’une fille qui est cool… c’est une idée que j’ai essayé de recaser dans beaucoup de films, le fait qu’on ait affaire à plus qu’un simple couple. C’est pas seulement sa copine, c’est presque un pote. Il peut sortir avec elle comme on sort avec ses potes. Il y a le côté romantique en même temps qu’une amitié. C’est aussi ça qui les unit, le fait qu’elle aime une grande partie de ce qu’il aime, comme les séries télés du moment, ses gouts musicaux. Elle est aussi contente que lui de voir trois films de kung-fu, en admettant qu’on puisse trouver ça cool. Elle est cool comme fille, elle aime tout ce qu’il aime. C’est de la balle ! Cette fille, on en rêve. Dans la scène précédente dans le magasin de comics… qui existe toujours d’ailleurs, juste au-dessus d’Hollywood Boulevard. Il s’appelait à l’époque Fantastic Store comme Les Quatre Fantastiques. Il y avait un gros truc en papier mâché posé pile au-dessus en guise d’enseigne. C’était super cheap, ça a disparu avec le temps. Le magasin existe encore mais il vend plutôt des CD maintenant.

J’aime beaucoup ce qu’est entrain de dire Patricia. Ça me touche de revoir ça. Pourtant j’ai revu le film relativement récemment. C’est très romantique et il n’y a pas de honte à ça. C’est la conception que j’en avais à l’époque. Ce rêve d’avoir une copine, c’est une expérience personnelle. J’en étais là à l’époque, le reste ne m’est pas arrivé non plus. Les truands en cavale, la valise pleine de coke, tout ça… je n’ai jamais rien connu de tout ça. Pourtant le film reste très autobiographique. Mes potes du vidéoclub ne diront pas le contraire. Depuis, on a écrit sur cette époque mais ça reste le reflet parfait d’une époque, d’eux et de moi. D’ailleurs, ils avaient tous lu le scénario. J’ai souvent dit que True Romance ressemblait à un film amateur de moi à l’époque. Sauf que c’est Tony Scott qui réalise, c’est son film à lui. Ça a de la gueule, ça en jette, ça déchire avec un montage nerveux et une pure bande-son. Un joli film de vacances signé Tony Scott quoi !

Tout le passage avec Drexl est intéressant. Le script a été publié. Il est disponible aux Etats-Unis, on le trouve en librairie. Il s’agit de mon script original. À part la fin, c’est à peu près le contenu du film. Tony l’a porté à l’écran sans changer grand-chose. Sauf la structure qui n’était pas la même. Elle se rapprochait davantage des autres films que j’ai réalisés. Elle était moins linéaire. La première scène qui suivait la tirade sur Elvis dans le bar, juste après le générique de début, c’était celle-ci. C’est la scène qui, avec le combat entre Alabama et Virgil joué par James Gandolfini, a été la plus modifiée par la MPAA. Il s’agit d’un long dialogue sur le broute-minou. Ça n’a pas fait rire la MPAA qui voulait classer X le film à cause du langage grossier. A la MPAA, ils ne rigolaient pas. Aujourd’hui, ça passerait sans problème. On parle de chatte, rien de grave. J’ai déjà fait ça dans mes films. Mais bon, raccourcir la scène les a pas mal soulagés. Le True Romance de Tony a du subir quelques sacrifices. Depuis, Pulp Fiction, Fight Club et d’autres sont allés là où True Romance était incapable d’aller.

Ces images sont tirées du Syndicat Du Crime 2. Ce n’est pas ce que le scénario original stipulait. C’est Tony, et pas moi, qui a voulu reprendre ce film. Moi, j’avais plutôt envisagé une scène du Bras Armé de Wang Yu.

Première apparition d’Elvis dans le film, avec Val Kilmer dans le rôle. C’était assez drôle car dans le script, il était écrit que c’était Elvis qui lui parlait. J’étais un grand fan d’Elvis et cette idée me plaisait, comme Bogart dans Tombe Les Filles Et Tais Toi. C’est son alter ego qui lui parle en lui donnant ce conseil d’aller descendre le mac. J’ai beaucoup aimé la performance de Val Kilmer ainsi que la façon de le filmer : on ne voit jamais son visage. J’ai toujours admiré que Val Kilmer ait pris part à tout ça. Au départ, il n’était pas question de ne jamais montrer son visage. Tony a fini par décider ça au montage sans vraiment savoir si Val Kilmer serait furax. Mais ça marche carrément et Val a adoré l’idée. Il trouvait que c’était parfait. C’est vrai que c’est réussi mais on ne savait pas si Lisa Marie Presley nous filerait le droit de citer Elvis. Du coup, il est crédité sous le nom du « mentor ». « Val Kilmer dans le rôle du mentor », ça en jette.

Depuis, j’ai regardé le film avec Lisa Marie Presley, qui est devenue une amie, et son fiancé, qui l’a épousé et qui adorait True Romance. Il voulait lui montrer le film, ce qui m’amusait particulièrement. J’en avais une copie que je me suis projetée avant qu’elle arrive. Et là, je me suis rendu compte que Lisa Marie allait entendre Clarence, c’est à dire moi, dire qu’il baiserait bien son père. Ça m’a rendu plutôt nerveux mais je crois qu’elle a aimé.

2/4

Je vais revenir à ce que je disais précédemment. Après avoir passé cinq ans à essayer de faire ce film, sans aucun succès, j’ai commencé à écrire par dépit un autre scénario qui allait devenir Tueurs Nés. J’ai donc fini ça, ensuite j’ai tenté à nouveau de faire aboutir True Romance sans résultat et puis j’ai encore changé en me remettant sur Tueurs Nés pendant un an et demi, tout en essayant de vendre True Romance. Personne n’en voulait. Les studios avaient tous refusé mais je n’en étais plus là. J’essayais de le fourguer à des petits réalisateurs. Et c’est dans un état de complète frustration, avec l’affreux statut de réalisateur contrarié, j’ai pondu Reservoir Dogs. Je venais juste de vendre True Romance après toutes ces années. Il devait être réalisé par William Lustig qui avait signé Maniac avec Joe Spinell et Vigilante avec Robert Forster et Fred Williamson. Il a aussi réalisé les Maniac Cop. J’ai bien aimé Maniac Cop 2, c’est un bon petit film. Jonathan Demme faisait des petits films. J’ai rien contre ça, je suis même fan. J’y fais tout le temps référence. J’aimais bien Lustig, j’espérais qu’il accepterait. Et puis, on s’est dit qu’il n’était pas assez prêt. Sans être prétentieux, c’est un bon scénario et Lustig est plus à l’aise avec Maniac Cop.

Samuel Hadida, un producteur étranger, a acheté le film. Et pendant ce temps-là, je travaillais pour une petite boîte de distribution qui misait sur le haut de gamme, Cinetel. C’est là que j’ai eu mes premiers boulots. Ils trouvaient que j’étais un bon scénariste. J’avais plus un rond, je vivais chez ma mère, j’avais jamais eu de boulot vraiment sérieux. Ils m’ont engagé pour relire les dialogues des scénarios qu’ils allaient adapter. Ce n’était pas de la réécriture, juste de la mise en forme. Mais à l’époque, la responsable du développement chez Cinetel, c’était Kathleen Nell. Elle avait déjà bossé avec Tony Scott et moi j’étais un peu son protégé. C’est quelqu’un de très bien qui m’a beaucoup aidé. J’avais toujours été fan de Tony Scott. Maintenant, ça va de dire que t’aimes bien Tony Scott parce qu’il fait des trucs impressionnants. Mais au début des années 90, on le connaissait pour avoir signé des productions Bruckheimer genre Top Gun. On le considérait comme quelqu’un qui fait de gros machins commerciaux, de la façon la plus péjorative qui soit. Moi, j’étais fan de Tony Scott et de Jours De Tonnerre qui est un super film. J’adorais Le Flic De Beverly Hills 2. Je trouvais que Tony avait du style. Comme je le disais, les critiques n’avaient ils pas ignoré le talent de Douglas Sirk ? Ils considéraient comme un genre mineur les bons gros mélos des années 50. Tony Scott non plus ne plaisait pas aux critiques mais moi j’aimais ça ! J’aimais aussi beaucoup Revenge. Je suis même un grand fan du film. Tony tournait alors Le Dernier Samaritain. Kathleen m’a emmené sur le plateau et je l’ai rencontré. J’ai vu Bruce Willis au travail, c’était super cool. Bref, en fin de compte, je me suis retrouvé invité à l’anniversaire de Tony avec qui j’ai sympathisé. Kathleen lui a expliqué que je venais de finir un script, Reservoir Dogs, que je voulais porter à l’écran. Il a demandé à le lire, en acceptant de me donner ma chance. Après l’avoir lu, il voulait réaliser le film.

J’étais bien emmerdé. J’avais rien devant moi et voilà qu’il voulait faire mon film. Je lui ai dit que je voulais le faire moi-même. Entre temps, j’avais vendu True Romance à Hadida, le producteur français. Comme je n’étais pas membre de la writer’s guild, on m’avait payé le minimum syndical. Ils m’ont filé dans les treize mille dollars, ce qui pour moi était une grosse somme. Je me suis payé une voiture, je n’avais jamais eu autant d’argent. Les autres fois où j’avais touché autant, c’est le fisc qui m’avait rendu du blé. J’allais toucher vingt mille de plus alors j’ai écrit Reservoir Dogs en sachant que j’aurais trente mille au final. C’est ce qu’il me faudrait pour tourner mon film en 16 mm. C’était cool d’écrire Reservoir Dogs. C’était pas un script de plus, c’était un projet de film. J’allais utiliser mon premier pactole pour faire un film. Voilà l’idée de départ. Au final, j’ai eu assez de fric pour en faire un vrai film mais c’est une autre histoire.

Bref, je rencontre Tony, il veut faire Reservoir Dogs, je lui dis que c’est pour moi. Je lui envoie True Romance et Tueurs Nés, histoire de voir s’il en veut. J’ai toujours considéré ces trois premiers scénarios comme mes débuts en tant qu’artiste, mon entrée dans la profession et le début de mon parcours. Ces trois premiers scripts ont un trait commun. Pas dans la thématique mais dans ma façon de prendre mes marques. Tony les lit, ils lui plaisent tous les deux mais il préfère True Romance. Gros problème : les droits ont déjà été cédés. Or si Tony veut faire le film, on doit pouvoir trouver un accord. Du coup, je l’ai encouragé à continuer. C’est ce qu’il a fait et il a eu gain de cause. Voilà comment il a obtenu le film.

Beaucoup de gens m’ont demandé si je regrette de ne pas avoir réalisé le film. En vérité… C’est Reservoir Dogs qui a été réalisé le premier. Pendant que j’écrivais Pulp Fiction, Tony réalisait True Romance. J’étais en pré-production pour Pulp Fiction et un jour en voiture, j’ai vu les affiches de True Romance. Le film sortait la semaine suivante, il y avait des affiches partout. C’était fou de voir Clarence et Alabama sur les murs alors que j’étais sur Pulp Fiction. Le casting du film était terminé et j’ai découvert True Romance lors de la première où je suis venu avec les acteurs de Pulp Fiction. J’étais avec tous les acteurs de Pulp Fiction, on a vu le film et tout le monde a aimé. En fait, Tony est exactement le type qu’il fallait pour tourner ce film. J’aurais été parfait pour le tourner quand j’ai écrit le scénario. Mais je l’avais écrit pour être mon premier film, qui diffère toujours du suivant et lui-même du suivant. Les choses évoluent, on se la raconte un peu, on cherche à relever d’autres défis. Je me suis penché sur la carrière d’autres réalisateurs et sur la façon dont se suivent leurs trois premiers films. Chaque fois, l’intention est différente. True Romance n’a pas pu être mon premier film. Tueurs Nés non plus, même si il a été écrit dans ce sens. C’est Reservoir Dogs qui a été mené à bout. L’un des producteurs, un chic type du nom de Bill Unger…

Oh juste un petit truc ! C’est Burl Ives qui chante Little Bitty Tear. Je l’avais précisé sur le script comme je le fais souvent. Mais Tony a choisi ses propres morceaux. C’est le seul, parmi ceux qui figuraient dans le script, qu’il a conservé. Il aimait bien cette chanson. J’aurais voulu qu’elle soit sur la BO. C’est la seule de mes indications qui ait survécu.

Bon, je reprends. Bill Unger, le producteur du film, m’a demandé juste au début du tournage si ça m’intéressait de le réaliser et Tony le produirait. J’aurais pu le faire, j’avais fini Reservoir Dogs. Mais ma réponse a été non. Tony et Bill me proposaient de faire ça. J’ai dit non parce que j’avais dépassé ce stade. Je devais penser à mon prochain film et c’était Pulp Fiction. True Romance aurait dû être mon premier film. Ce n’était plus la même chose. Finalement, c’est bien que Tony l’ait réalisé. J’ai toujours beaucoup aimé ce film mais j’ai raté le moment où j’aurais dû le faire. Tony avait la passion et l’amour nécessaires à sa réalisation. Je le respectais mais je l’aime encore plus aujourd’hui. Et si je l’aime davantage, c’est parce que je ne l’ai pas réalisé. Je perçois mon rôle à travers le regard d’un autre, c’est ce qui a surpris les gens. Je n’ai jamais mis les pieds sur le plateau. J’ai échangé quelques mots avec Tony avant et après le tournage. Je n’ai jamais assisté au tournage. J’estime que si le scénariste s’implique dans la réalisation, soit il le fait complètement tous les jours sur le plateau en lien direct avec le réalisateur, soit il ne fait rien. A savoir, il s’intéresse à la pré-production et basta. C’est sincèrement ce que je pense. Je ne pouvais pas être sur le plateau tous les jours, j’ai donc choisi cette option. Et je ne l’ai pas regretté.

Pour en finir avec ça, je dirais que mon point de vue sur les scénarios, sur mes scénarios tout du moins, c’est qu’il faut les considérer comme une copine. Les premiers que vous avez écris sont comme de vieilles copines, il y a celles que vous épousez et les autres. True Romance, c’est mon premier amour. On est resté longtemps ensemble mais on s’est pas marié, alors j’ai pas réalisé le film. A la place, j’ai épousé Pulp Fiction et Reservoir Dogs. Quant à mon ancienne copine, elle était entre de bonnes mains.

C’était bien de voir mon univers traité avec un style différent. Je ne filme pas de la même manière que Tony. Genre, je n’ai jamais utilisé de la fumée sur un plateau. Quand ils récréent toute cette ambiance avec de la fumée, moi j’ai jamais fait ça. Chez les autres, c’est nul. Pas chez Tony. Il a une façon de faire ça… Parfois les gens t’annoncent clairement le couleur : « si t’aimes pas ce genre de truc, alors t’aimes pas ce que fait Tony ». Moi, je réponds que j’ai le droit de trouver ça nul et d’aimer la façon dont Tony l’utilise. Si jamais à l’avenir, je fais ça dans un de mes films, je dirais que c’est pour rendre hommage au style de Tony Scott.

Revenons au film et à la scène actuelle. C’est la scène la plus autobiographique que j’ai jamais écrite. Non que tout ça me soit arrivé mais j’avais les mêmes rapports avec mon beau-père. Je n’ai jamais connu mon père. Mon beau-père, Kurt, a assumé ce rôle dès mes deux ans. D’aussi loin que je me rappelle, de deux à dix ans je crois. Et puis, il s’est barré. Mais il a été un père pour moi pendant mon enfance. Ce qu’on entend ici, c’est exactement ce que je lui ai dit. C’est ce que j’ai dit à mon beau-père dans la même situation. « Tout le monde te piétinait, sauf moi. J’ai essayé de faciliter les choses mais là j’ai besoin de toi. Si tu veux pas, tant pis ». Je m’étais toujours vraiment bien entendu avec son frère, mon oncle Cliff. C’est assez marrant. J’ai recasé d’autres trucs comme ça dans d’autres scénarios.

Ça aussi, c’est assez personnel. Mes tentatives pour être acteur à Los Angeles, parqué avec des tas d’autres mecs dans une agence de casting à essayer de décrocher un rôle de seconde zone dans Hooker ou un rôle de braqueur dans une pauvre série policière. Ça peut faire sourire mais c’est pas vraiment un tremplin. Ça se passe plus ou moins comme ça, le casting…

La structure du scénario était très différente du résultat final dans son articulation. Les scènes sont pourtant les mêmes, à l’exception de la fin que Tony n’a pas reprise. Il s’est conformé à tout ce que j’avais écrit. Toutes les scènes sont là dans un ordre différent. Initialement, ça se déroulait dans cet ordre : la tirade sur Elvis dans le bar, puis le générique de début, puis la scène chez Drexl où il fait un carton. Le public hallucine, il ne fait pas le lien et c’est ce qui le tient en haleine. La scène qui suit le carton chez Drexl, c’est Clarence et Alabama qui se pointent chez Dennis Hopper. Et toute l’histoire qui tourne autour de Drexl le fait qu’il était le mac d’Alabama, la valise de coke et tout le binz, on ne l’apprenait que de la bouche de Clarence et encore… on ne sait pas ce qui se passe. On a seulement la version épurée de Clarence. En regardant la scène, on ne sait pas trop qui croire. Ce petit couple a l’air sympa. Ensuite, ils quittent le père, Clarence appelle Dick Ritchie qu’ils vont bientôt retrouver. Et alors, il y a la fameuse scène, à tous les niveaux, entre Christopher Walken et Dennis Hopper. La structure du film conditionne le public. Il y a une grosse différence entre le film et sa structure. On ignore l’histoire de Clarence. On ne sait pas pourquoi et comment il se retrouve avec Alabama en possession d’une valise pleine de coke. C’est à peine esquissé. On les aime bien tous les deux mais on n’en sait pas plus. La grosse différence, c’est que le public est curieux, il ne veut pas tout savoir. S’il se sent en sécurité, s’il fait confiance au conteur, il peut attendre, du moment qu’il sait que ce n’est pas un oubli, que c’est intentionnel.

Là, Christopher Walken débarque et donne les premiers indices sur ce qui s’est vraiment passé. Du style : « alors voilà, il s’est passé ça : ton connard de fils et sa pétasse ont débarqué en force, ils ont trouvé la coke, ils ont flingué tout le monde et quand ils ont assez donné dans la boucherie, ils se sont barrés avec ma came ». C’est la première fois qu’on apprend exactement ce qui s’est passé. Et là, on se dit « Ah bon ? Ils ont fait ça ? Ils sont givrés au point de dézinguer tout le monde ? ». C’est l’idée qu’il devait y avoir derrière. Ensuite, après cette séquence, on avait Clarence qui déboulait à Los Angeles, Hollywood exactement. Le couple retrouve Dick Ritchie et va bouffer un hot dog. Au cours de la discussion, Dick pose directement la question « comment vous vous êtes rencontrés ? ». Clarence raconte l’histoire et c’est l’acte II. On enchaîne avec Clarence dans le cinéma qui regarde The Street Fighter et l’arrivée d’Alabama. Et l’histoire se poursuit tout au long de cet acte jusqu’au meurtre de Drexl par Clarence. Après ça, Clarence trouve la cocaïne, et on reprend le cours du film, on revient à l’instant où Clarence montre la cocaïne à Dick. Dick qui chie dans son froc, c’est le début du troisième acte qui est fidèle au film actuel.

La structure en trois actes était donc la suivante. Premier acte : tous les personnages du film, à l’exception peut-être de Dennis Hopper, en savent plus que le public. Les spectateurs ignorent ce qui se passe alors que les personnages savent ce qu’ils ont fait. Ils sont tous en avance sur le public. Deuxième acte : le public apprend toute l’histoire et rattrape son retard sur les personnages. Troisième acte : c’est là que ça devient cool et c’est le seul truc que je regrette, même si ça marche bien comme ça. Le public en sait plus que les personnages. Le public en sait même beaucoup plus sur ce qui se passe que n’importe quel personnage du film. Il sait que Clarence essaie découler la coke qu’il a piqué. Il sait qu’Elliot Blitzer, joué par Bronson Pinchot, travaille avec les flics. Il sait ce que attend Clarence dans la chambre d’hôtel. Clarence lui ne sait rien. Le public est en avance sur lui. Alors voilà, ça devait se passer comme ça. Acte I : le public patauge, les personnages savent tout. Acte II : le public rattrape son retard. Acte III : le public passe en tête et loin devant.

On arrive à… ça sonne comme un titre officiel mais ce n’en est pas un. Ça en jette vachement plus comme ça. C’est soit « la scène entre Christopher Walken et Dennis Hopper », soit « la scène du sicilien ». Avec le temps, on l’a appelée comme ça. C’est une des plus grandes fiertés de ma carrière, cette scène. La scène, toute la tirade sur les siciliens, a vraiment eu lieu entre deux copains. L’un d’eux était un black, déjà âgé, le genre un peu louche. Il y avait ma mère et sa meilleure amie, Jackie, une black qui était presque ma deuxième mère pendant mon enfance et mon adolescence. Elle avait un frère, décédé depuis qui avait fait de la taule. Il s’appelait Don ou Big D comme tout le monde l’appelait. On le retrouve dans nombre de mes films. Le personnage de Samuel L. Jackson, largement coupé par la MPAA dans la première scène avec Drexl, s’appelle Big D. Dans le scénario, le personnage s’appelle Big D. Il avait l’habitude de me raconter des tas d’histoires. Quand j’avais dix ou onze ans, dans ces eaux-là, il m’a raconté que les maures avaient envahi la Sicile, qu’ils avaient baisé les siciliennes pour donner leur aspect physique actuel. Je l’ai toujours gardé en mémoire et des années plus tard, vers vingt-trois ou vingt-quatre ans, mon colocataire, que j’ai gardé comme pote, étaient sicilien. J’étais entrain de le faire chier et d’un coup, hop comme ça, je lui ressors ça. Pareil que dans le film. Quand j’ai fini, je lui dis que ça ferait une pure scène de film, parce que c’est un bon dialogue. En écrivant True Romance, ça m’est venu tout naturellement. Je l’ai casé dans le dialogue et ça m’a fait marrer.

Je crois qu’on peut reconnaître sans hésiter que cette scène est presque trop excellente. Parfois, c’est une mauvaise idée de caser la meilleure scène dans le film avant le milieu de celui-ci. De nombreux films seraient incapables de survivre à une scène pareille, parce qu’elle est meilleure que tout le reste. Après c’est rideau. Mais True Romance est un très bon film avec d’excellents acteurs et il survit à la scène. Quand on voit une scène pareille, on pense qu’il n’y en aura pas d’aussi bonnes ensuite. Le fait que True Romance puisse s’en sortir témoigne du talent de Tony et des acteurs. Mais si je parle de la réussite de cette scène, c’est pas dû à moi seul mais je crois que c’est un excellent travail d’équipe. Mon scénario, le jeu de Christopher Walken, celui de Dennis Hopper et la réalisation de Tony Scott. C’est un boulot à quatre.

Il y a juste une petite improvisation, quand Hopper dit à Walken qu’il est œuf de corbeau. Walken répond « toi, tu es un pigeon ». C’est le seul ajout. En dehors de ça, tout le dialogue existait tel quel. A tel point que, dans cette scène, Walken a tellement de texte que j’étais gêné la première fois que j’ai vu la scène. J’étais gêné parce qu’il avait mémorisé chaque ligne, chaque mot qu’il devait dire et tout était parfait. C’était presque intimidant qu’un aussi grand acteur prenne mon travail avec un tel sérieux, au point de ne rien oublier, de ne rien inventer et de ne rien altérer. Bref, de tout dire du début à la fin. Il a tout fait à la perfection. C’était incroyable. Je pense sincèrement que cette scène devrait être rangée et archivée comme une leçon d’art dramatique. Si vous voulez voir de grands acteurs à l’œuvre, regardez ça. D’ailleurs, moi, je vais poser ce casque et écouter la suite du dialogue.

Toujours sur cette scène, pour donner quelques précisions historiques, il faut savoir que beaucoup de gens ont rouvert leurs livres d’histoire, histoire de vérifier, pour se rendre compte que c’était absolument vrai. Là où c’est marrant et je regrette de ne pas avoir été là pour le voir, c’est que quand True Romance est sorti en vidéo. Ma mère, Jackie et Big D l’ont regardé chez eux. Big D ne l’avait pas vu au ciné. Il était encore vivant et tous trois regardaient cette scène. Le dialogue commence et ma mère m’a raconté, je l’entends encore, que Big D s’est exclamé « ces conneries sont vraies ! J’ai raconté ça à Quentin quand il avait onze ans. Sérieux, je m’en souviens, ces conneries sont carrément vraies. Il faut le dire, les gens le savent pas ! ». Big D, où que tu sois aujourd’hui, Dieu te bénisse.

Ce qui s’approche le plus d’une version filmée des maures, c’est un film de vikings réalisé par un directeur de la photographie qui était un super bon réalisateur. Jack Cardiff et son film s’appelait Les Drakkars. Il retraçait la guerre entre vikings et musulmans. Richard Widmark joue le chef des vikings et Sidney Poitier le chef des maures. Poitier est mortel dans le film ! Il est vraiment sensationnel. Ça doit être le seul long métrage qui retrace cette histoire. Le film a beau être médiocre, je le trouve intéressant. La femme de Sidney Poitier est jouée par l’italienne Rosanna Schiaffino. Il est donc marié, à proprement parler, à une sicilienne. Moralité : si vous voulez reprendre une leçon d’histoire, regardez Les Drakkars de Jack Cardiff avec Sidney Poitier et Richard Widmark.

3/4

Clarence et Alabama débarquent à Hollywood. On arrive à la première apparition de Brad Pitt, qui joue Floyd, le coloc de Dick vautré sur le sofa entrain de se faire un bang. Jusqu’à l’âge de trente ans à peu près, jusqu’à ce que je vende le scénario de True Romance à peu près, j’ai eu des colocs et c’est un peu la vision que j’ai d’eux. Pour la plupart, ils restaient vautrés sur le canapé, à rien branler et à mater la télé toute la journée.

Cette scène suivait le flashback, qui n’en était pas vraiment un, où Clarence racontait sa rencontre avec Alabama et la fauche de la coke chez Drexl. A cet instant, on revenait au film. Cette scène était donc le début de l’acte III. A partir de ce point, le film et le script se rejoignent.

Je suis fier d’une chose : quand je donne vie à des personnages à travers un scénario, je les conçois dans leur intégralité. Mais s’il y en a un que j’avais à peine esquissé, c’est Floyd. J’avais écrit peu de choses sur lui. C’était un gros défoncé, qui alternait entre mater la télé et se faire un bang. Rien de plus. C’était juste un brouillon. Brad Pitt a repris ces grandes lignes et pour ma part, je trouve qu’il pique la vedette à tout le monde. Après le dialogue sur les siciliens, il illumine l’acte III. Il est tellement bon dans ce rôle. Depuis, il l’a prouvé à de nombreuses reprises. Pour moi, dans ce rôle, il montre vraiment son talent d’acteur. Je sais ce que j’ai écrit et il a fait tellement plus que ce qui était sur le papier qu’il mérite de recevoir tous les honneurs. C’est lui le héros du film, l’un de ceux dont on se souvient. Je suis sérieux, il est le meilleur du troisième acte.

A ce sujet, il y a autre chose à dire. Comme je l’ai dit, tous les acteurs de Pulp Fiction ont assisté à la première de True Romance tandis qu’on attaquait le tournage. Le fait est que, l’un des meilleurs moments du film, au niveau des réactions du public, c’est que plein de gens se pointent dans l’appart et doivent à chaque fois se coltiner Floyd et ses indications foireuses, ce qui constitue un bon gag récurrent. Ça marche quinze fois mieux à l’écran que dans le scénario. Avec un effet d’accumulation qui fait qu’à la fin, le public se pisse vraiment dessus au moment où les sbires de Christopher Walken se pointent. Uma Thurman, on en discutait l’autre jour, a eu une excellente interprétation. Pour elle, si le public accroche tellement avec Floyd, c’est parce qu’il donne toutes les infos au public. Ce qui n’est pas faux. C’est Floyd qui indique au public comment profiter du film, comment l’apprécier. Tu es dans le public, tu regardes le film et hop Floyd te file le truc. Il ne prend rien au sérieux lui, il se marre. Il se défonce et prend les choses comme elles viennent. Il s’éclate et en un sens, il devient plus que Clarence ou Alabama, le personnage auquel s’identifier pour le reste du troisième acte. Intéressante théorie.

Dans cette scène, le dialogue est fidèle au script mais le reste est très différent. Dans le scénario, ils étaient tous au zoo de L.A. et ils se baladaient. Tony a rajouté le grand huit pour donner du mouvement. L’effet est réussi, c’était un bon changement de sa part.

Je change complètement de sujet. True Romance n’a pas été un succès commercial à sa sortie en salle qui devait être en 1993. C’est très étrange, il n’a pas marché à sa sortie. Moi, j’étais en pré-production pour Pulp Fiction. Reservoir Dogs était déjà sorti, le film qui allait lancer ma carrière, le film grâce auquel les critiques allaient découvrir mon nom, et surtout le film que j’avais réalisé. Mais mes premières armes, c’était True Romance. J’avais été un scénariste qui voulait devenir réalisateur mais comme mon premier film, le premier à être sorti, avait été écrit et réalisé par moi, on allait me considérer comme un cinéaste à part entière. On peut donc reconnaître que True Romance m’a aidé plus à l’époque qu’il a aidé Tony. J’étais déjà connu quand True Romance est sorti. Ça m’a permis de m’affirmer et après on attendait Pulp Fiction au moment de sa sortie. On avait déjà pu se faire une idée sur deux de mes films. Quand Tueurs Nés est sorti, très loin du script que j’avais écrit, la critique a vu que ce n’était pas Reservoir Dogs, ni True Romance. Ce n’était pas moi. À ce titre, c’est intéressant.

Bref, j’étais en pré-production, prêt à faire mon deuxième film. Reservoir Dogs a fait son effet, il a vachement bien marché pour un film indépendant. Le cinéma indépendant marchait assez bien alors. On a engrangé trois millions de dollars au box-office américain. La plupart des films indépendants n’atteignent pas les trois millions. Ils rapportent huit cent mille en général. La presse s’en est fait l’écho, si bien qu’on a pensé que le film allait battre un record à ce niveau. C’est ce qui s’est passé pour les ventes internationales. Hollywood se posait une grande question à mon sujet. Mike Medavoy de Tristar l’a posé tout haut. Pas à moi mais à Bill Hunger, le producteur de True Romance. Il lui a demandé ça comme ça. « Quentin a un style bien à lui et tout le monde se demande si ce style est commercial ou pas. La question, c’est est-ce que l’Amérique le reconnaîtra comme tel ? ». La question se posait à l’époque, surtout après Reservoir Dogs. L’échec commercial de True Romance a fourni la réponse : non. Certains fans appréciaient mais l’Amérique, c’était autre chose.

J’en termine avec ça mais je veux simplement dire que j’adore leur façon déguisée d’évoquer la drogue au téléphone. Je trouve que ça, c’est Clarence dans son style pur jus, il n’y a rien à changer. Il n’a pas d’expérience mais il a de la suite dans les idées. Il connaît rien à Hollywood mais les films, ça le connaît. Il a de la tchatche et arrive à ses fins car il a de la personnalité et de l’initiative. Mais surtout, il est malin. J’adore le fait de faire référence à la coke en parlant de Dr Jivago. C’est vraiment une des répliques qui me fait toujours marrer. J’en suis particulièrement fière. J’aurais pu prendre un autre film mais avec Dr Jivago, le premier truc auquel on pense, c’est des étendues de neige. J’ai trouvé ça bien vu.

Au sujet de True Romance et de son échec commercial… On a voulu que j’aille à la promo presse. On me connaissait de Reservoir Dogs, je devais assister à la conférence. Ça se passe dans un hôtel, Christian répond aux questions. Il y a tout le monde, Tony, Patricia, Bronson… Moi aussi mais dans un autre groupe. La presse est super enthousiaste, tout le monde attend le film avec impatience. Du coup, je me dis « putain ça va cartonner ». J’ai assisté à des projections avec le public, et on ne pouvait pas rêver meilleure audience. Le public a adoré, il était à fond dedans. Et puis, à sa sortie, le film n’a pas marché. J’étais en pré-production sur Pulp Fiction qui, pour moi, en comparaison… Avec True Romance, je croyais avoir écrit un bon film. Mais en réalité, c’était un produit commercial par rapport à Pulp Fiction. Ce dernier est tellement ésotérique en comparaison que quand le film s’est planté, j’ai pensé qu’on avait la réponse à la question de Mike Medavoy. Je me suis dit que ça serait mon destin, je deviendrais un réalisateur de films cultes avec son cortège de fans dévoués mais peu nombreux. Comme c’est le cas de certains artistes de rock, je pense à Lou Reed ou à Dave Edmund qui ont leurs fidèles mais ne passent jamais à la radio. J’ai pensé que j’allais finir comme ça et True Romance avait l’air de le confirmer. Je ne cartonnerais jamais, je n’aurais jamais de gros succès. Je ferais bien de réduire mes budgets pour qu’on puisse rentrer dans les frais. Quand True Romance n’a pas marché, je me suis dit que Pulp Fiction n’allait pas marché non plus. J’en étais là : « C’est ta destinée. Tes films ne marcheront pas. Contente toi de ce que tu as et calme toi sur les dépenses. »

La raison à l’époque… parce qu’il fallait bien en trouver une. La raison pour laquelle le film s’était planté, c’est celle qu’ils ont trouvée et c’est sans doute la bonne, c’est le fait que chacune des critiques du film, comme pour Reservoir Dogs, a mis l’accent sur la violence du film. Ça a été le cas pour Reservoir Dogs comme pour True Romance. C’était comme un avertissement général au public, et là on parle des bonnes critiques, du style « n’allez voir ce film que si vous aimez la violence extrême et stylisée ». J’aime les films violents mais ça, ça peut me rebuter. Il y avait tout autant de violence dans Pulp Fiction mais l’aspect comique l’atténuait. Il y avait moins à prévenir sur le contenu du film. Mais toutes les critiques de Reservoir Dogs et True Romance prévenaient le spectateur.

Pour moi, ce film est à voir à deux. C’est le film parfait pour emmener sa copine au ciné. Il y a de l’humour, de l’action mais ça reste très romantique. Ça fait une excellente raison pour que Clarence meure à la fin. Il est sympa, personne ne veut qu’il meure. Alors merde au marketing ! Demandez au public « ça vous a plu que Clarence meure ? ». Si on a bien fait son boulot, c’est sûr qu’il va répondre non mais ça c’est pas forcément une mauvaise chose. Ça fonctionne comme un purgatif s’il meurt, tout le monde pleure. C’est une libération, une catharsis. On me demande tout le temps, enfin presque tout le temps « vous n’allez donc jamais faire un film romantique ? ». Genre, j’en suis incapable. Et je réponds « – mais j’ai déjà fait un film romantique : True Romance. – Non pas ça, un vrai film romantique. – Mais c’est un vrai film romantique. – et un film sans violence ? ». Dans mes films, il y a toujours des choses contraires au genre mais n’importe quel fan du film vous dira que le titre True Romance n’a rien d’ironique. La moitié des choses qu’on attribue à l’ironie, quand on parle de mon travail, sont archi-fausses. Et je le pense. Ce n’est pas de l’ironie. Ils préfèrent y voir de l’ironie mais je suis sérieux. Ça s’appelle True Romance parce que c’est histoire d’amour.

La scène où Virgil (James Gandolfini) tabasse Alabama, c’est la scène la plus romantique du film. Elle ne dit pas un mot sur Clarence, elle la ferme et elle se laisse amocher. Elle risque la mort pour lui. Ca prouve que cette fille est bien plus que sa copine. Sur ce DVD, on trouve la version européenne du film avec la scène en entier. Dans la version américaine, elle était réduite à presque rien. Dans cette version, la scène n’était pas dérangeante parce qu’on était pris dans le film mais là c’est beaucoup mieux quand on voit tout, on voit ce qu’elle a enduré. Il y a un truc bizarre au sujet de la MPAA. Tony a sans doute déjà dit ça. Quand la MPAA a taillé dans le gras de cette scène, ils ne reprochaient pas tant qu’Alabama se fasse tabasser mais surtout qu’elle riposte, ce qui est très bizarre. Une fois qu’elle est armée, elle se lâche complètement sur Virgil, puis elle s’assoit carrément sur lui et elle shoote. Elle le remplit de plomb, elle hurle, elle pleure… Et la MPAA a insisté pour qu’on supprime ça. On leur a dit qu’elle devait bien se défendre. Mais pour eux, elle se comportait comme un animal. On en était à un stade où ils essayaient d’éliminer un élément de l’histoire. Je n’avais jamais vu ça à la MPAA. Ça s’était toujours bien passé entre eux et moi. Avec True Romance, Tony a en quelque sorte essuyé les plâtres et moi j’ai pu aller plus loin dans mes propres films grâce à ce que Tony a dû accepter.

Chose intéressante, avec le temps qui passe, les gens finissent par oublier que True Romance a mal marché en salles. En fait, quand j’y repense, ça me fait bien marrer comme quand j’ai reçu la lettre de Morgan Creek qui voulait que je fasse le commentaire audio. En conclusion, ils avaient écrit un truc du style « comme tu sais, True Romance est l’un de nos grands succès. » Et moi « oh que oui et j’en suis ravi ! ». Ca me fait plaisir car depuis le temps, tout le monde a vu ce film et il commence à dater. Pour beaucoup, c’est leur film préféré. Pour d’autres, c’est le meilleur que j’ai écrit. C’est le cas de ma mère qui trouve que c’est moi tout craché. Je ne vous dis pas combien de fois, en huit ans, des couples sont venus me dire que c’était leur film à eux comme certains ont une chanson à eux. J’ai même rencontré la playmate la plus sexy, à défaut d’être la plus célèbre, des années 70 : Debra Jo Fondren, une Kim Basinger avant l’heure. Quand on a découvert Kim Basinger, tout le monde a dit « c’est Debra Jo Fondren ! ». C’était son film préféré, le sien et celui de son mari. Ils ont même repiqué des dialogues pour leur messe de mariage, à tel point que le « tu es si cool ! » qu’Alabama écrit à Clarence est devenu la petite phrase des couples dont True Romance est le film préféré. C’est génial.

J’ai failli applaudir en voyant le film. Quand elle lui éclate la gueule avec la chasse d’eau qui ne se casse pas. C’est la première fois que je vois ça dans un film. Ça me fait chier quand un type se prend une bouteille sur la tête et qu’elle se brise complètement. Ça n’explose pas comme ça. Une bouteille, c’est solide. Ce qui éclate, c’est ton crane. Du coup, ça m’a plu. Avec le son en plus, c’est mortel ! La MPAA nous a fait couper tout ça parce que c’était bestial. Mais c’est bestial, justement !

La dernière chose que je trouve excellente au niveau du succès du film car c’est devenu un film culte pour beaucoup… En Angleterre, le pays où j’ai sans doute le plus de succès… Reservoir Dogs a bien marché pour un film indépendant mais on s’attendait à ce qu’il marche mieux que bien. Là bas ce n’était pas seulement un film indépendant, c’était « le film qui enflamme l’Amérique ». Le succès a été celui d’un gros film, ça a cartonné et pas qu’un peu. Mieux qu’aux Etats unis à trois contre un. Il a même battu les gros cartons style Bodyguard. Le temps que je fasse Pulp Fiction, Reservoir Dogs marchait tellement que Warner y a ressorti True Romance. Le film était déjà sorti une fois en salles. Et la ressortie a marché du tonnerre. Quand je suis allé en Angleterre, Reservoir Dogs n’était pas sorti en vidéo faute de certificat. Comme il n’en avait pas, il passait encore dans les salles. Parfois dans beaucoup de cinémas et parfois dans quelques uns pendant deux ans. Et True Romance est ressorti. Je suis allé en Angleterre pour Pulp Fiction alors que True Romance et Reservoir Dogs étaient encore en salles,. C’était incroyable.

4/4

Revenons un peu au film. Voilà les deux flics, Nicholson et Dimes. Dans le script, je voulais un duo à la Starsky & Hutch et mon idée c’est qu’une fois que Nicholson & Dimes débarquent dans le film, ils prennent le dessus du moins dans leurs scènes. Mais c’est un peu le cas de tous les personnages. C’est Clarence et Alabama qu’on suit tout au long du film mais quand ils rencontrent le père de Clarence ou n’importe quel personnage du film, ils passent au second plan.

Cette scène est particulièrement autobiographique. J’aimais le concept : assis sur un canapé abandonné, sur le bas côté de la route, entrain de se remettre. Mais le fait qu’ils soient ici, près de l’aéroport de Los Angeles, ce qu’ils se disent, vivre à côté d’un aéroport… c’est la misère surtout si t’es fauché. Toute la journée, tu vois et entends des gens qui font tout ce que toi, tu pourras jamais faire : partir, vivre des aventures, avoir des expériences, partir en vacances, s’éclater… D’une part, ça sonne comme un dialogue écrit. Mais ça me plaît quand même. Surtout, c’est mon histoire. J’ai grandi du côté de South Bay dont l’élément le plus célèbre est l’aéroport de LAX. C’est là que j’ai fait se dérouler Jackie Brown.

Au fait, vous avez vu les posters ? Ces posters au mur, j’ai toujours détesté ça. C’est un truc de décorateurs. Les personnages ne peuvent pas avoir tout ça. Ils n’ont pas assez de blé pour se permettre de faire encadrer leurs affiches. Il y en a pour quatre milles dollars d’encadrement ! Un acteur qui crève la dalle va pas faire encadrer ses affiches. Il se contente de les punaiser au mur. Je vais revenir sur Témoin De La Dernière Heure. Les affiches ne sont pas réalistes. On a l’impression que c’est la déco qui les a mis là. J’imagine pas Dick Ritchie ou Floyd être des fans de Reflets Dans Un Oeil D’Or. On les a collé là pour des raisons esthétiques. Maintenant que j’ai dit ça, j’ai un faible pour Témoin De La Dernière Heure, à cause du réalisateur, Andrew L. Stone, un grand qu’on oublie facilement. Avec sa femme Virginia Stone, ils ont fait des bons films. Ça m’a fait chier que les affiches ne reflètent pas les personnages. Depuis, j’ai pardonné parce qu’on a collé Témoin De La Dernière Heure dans le lot.

Cette séquence où Dick reçoit son coup de fil, c’est le rêve de tout acteur qui se réalise. Quand du postules pour jouer un figurant ou pire, et que tu obtiens le rôle après t’être tapé les auditions, ton agent t’appelle enfin et t’annonce que tu as le rôle. C’est le rêve pour toi ! Michael Rapaport est très crédible. Quand j’ai écrit ça, un rôle dans Hooker s’était encore moins envisageable.

Encore une chose. Ça c’est une scène réussie. Bronson Pinchot était parfait dans ce film, dans le rôle d’Elliot Blitzer. C’est un super bon acteur avec un petit rôle dans le film. Il est là entouré par les deux flics. Après il se fait buter. Le personnage est tiré d’un mec que j’ai connu dans mes cours d’art dramatique. Il ne lui ressemble pas pour autant mais je l’ai jamais oublié et surtout j’ai jamais oublié son nom. Elliot, j’espère que tu as eu ta chance. Si j’avais réalisé, je te l’aurais donnée. Et si tu avais joué, tu l’aurais surement méritée.

On arrive maintenant à une scène… je crois qu’on a rajouté les scènes coupées. S’il y a une chose que j’ai vraiment essayé de faire, c’est d’expliquer pourquoi il fallait garder certains éléments à la vue du premier montage. J’ai essayé de faire rétablir ce qui avait été coupé. Tony se débrouille bien à ce niveau. Il est très doué pour obtenir ce qu’il veut. Tu es là, à lui faire ton speech, pour cette scène précisément, tu y mets du cœur et lui il t’écoute, il t’écoute, il hoche la tête de temps en temps et tu te dis « c’est bon, je te tiens… ». Tu joues sur le fait qu’on sait ce qui les attend : ils vont se faire alpaguer, les truands vont les rejoindre et notre couple va finir en taule alors qu’on les aime bien. Le public est là à dire « Non n’y allez pas ! ». Clarence dit qu’il vaut mieux avoir un flingue dans ces occasions et moi, je voulais qu’il ajoute « Tu sais quoi ? J’ai changé d’avis, on se tire. ». Et là, le public trépigne : « Oh oui, Dieu merci ! Ils sont sauvés ! ». Ils s’en vont et tout est pour le mieux. Elliot est content, Alabama est contente. Euh non attends… Lee c’est rien qu’un producteur… Bref le public est à peine soulagé qu’on lui remet la pression. C’était l’idée de cette scène qui figure dans les bonus.

Cette scène me plaît parce que Christian est vachement bien. Le public se demande ce qui lui prend comme Alabama, comme Dick Ritchie. Tout le monde se dit qu’il pète les plombs et se pose des questions sur Clarence. Mais Clarence est un acteur et un bon. Il fait comme s’il allait le buter et puis il va lui dire la vérité. Elliot se lâche dans son micro mais Clarence n’en sait rien et lui dit « c’est bon, t’es nickel ».

On arrive maintenant à l’une des scènes les plus drôles du film. Si vous n’avez jamais vu le film en salles, vous ne pouvez pas comprendre la réaction du public ici. Le rire s’accumule et prend de l’ampleur avec chacune des apparitions de Floyd. Si bien que quand les truands arrivent et que Brad Pitt est mort de rire, le public se pisse carrément dessus. Au moment où les truands se pointent, on ajoute un élément comique à une situation très tendue et le public commence vraiment à se marrer. On était sûr que le film allait cartonner parce que c’était impossible d’obtenir de la part des spectateurs une réaction aussi bonne que celle du public de True Romance. C’était terrible.

Ces images où on voit un hélico viennent de Platoon. Sérieux. C’est les rushes de Platoon sur lesquels la prod avait les droits. On a dit que je me payais une parodie de Platoon mais c’est précisément du film qu’ils parlent. C’est surpassé par le fait que ce sont les vrais rushes de Platoon qui servent pour Mort En Retour II.

Ce que dit Clarence, c’est exactement ce que je pensais des films à l’époque. J’étais un cinéphage doué de raison. S’il y a un truc bien chez les cinéphages, un truc que j’ai remarqué en débarquant à Hollywood, dans les milieux où il n’est pas question de films à petit budget mais de films sérieux faits par des gens sérieux… S’il y a un truc que le cinéphage a pour lui, deux trucs en fait : il en sait plus sur les films, pas sur la façon de les faire mais sur les films, que la plupart des gens dont c’est précisément le boulot. Il a des goûts et une bonne culture cinématographique. Ça ne se repose pas sur le box-office mais sur ce qu’il ressent. Ensuite, beaucoup de monde à Hollywood, les agents, les responsables, toute cette clique, n’ont pas de véritable opinion. Ils en ont une qui n’est pas foncièrement la leur. Ils se rangent du côté de ce qu’il faut dire ou penser. Un cinéphage, un vrai, ça consacre sa vie au cinéma. Ça n’a rien à voir avec l’argent. Etre cinéphage, ça rapporte rien. Ni argent, ni statut social. Rien d’autre que le simple amour du cinéma. La seule façon de prouver leur dévotion inconditionnelle envers cette forme d’art, la seule chose dont ils disposent, c’est leur opinion. Une opinion qu’ils ont travaillée, fignolée et qu’ils sont prêts à défendre jusqu’à la mort.

Clarence donne son point de vue à qui veut l’entendre. Avoir une opinion à Hollywood et s’y tenir, c’est une sorte de super pouvoir dont peu de gens disposent. Il y a un proverbe à ce sujet que quelqu’un m’a dit. Ça devait être Stacey Sher qui a coproduit Pulp Fiction. Quand j’ai commencé à Hollywood, elle connaissait déjà le métier mais elle était jeune comme moi. Elle m’a dit « tu es plutôt bien placé par rapport au système hollywoodien… A Hollywood, ça marche comme ça : quand tu assistes à une réunion, c’est celui qui est le plus sûr de lui qui gagne. ». Comme en général, c’est moi, je m’en suis bien sorti. C’est exactement ce que fait Clarence en ce moment. Tout ce côté « Rio Bravo, c’est un grand film » ou « un film à oscars, ça doit avoir des couilles ». A la fin des années 80, tous les films qui remportaient les oscars étaient, comme on disait alors, des jolies merdes bien emballées. Ils manquaient de tripes, de couilles et de parti pris. Des bêtes de concours qui doivent plaire à tout le monde. Après avoir suivi ça pendant des années, j’ai fini par me désintéresser des oscars et de tout ce tintouin. Ça a changé dans les années 90 et aujourd’hui, les oscars ont à nouveau de la valeur.

J’adore la tournure que ça prend et le « même toi, Frankenstein » improvisé par Chris Penn. Tout ça, c’est terrible. Même chose quand le garde du corps de Lee dit « Je t’ai pas dit Lee ? J’aime pas les flics ! ». Les gardes du corps s’y mettent ! Tout le monde se lâche !

Je vais mettre les choses au clair ici. On sait l’affection que je porte au mexican standoff. J’aime les westerns spaghettis et ce côté affrontement final, avec la musique et tout… Mais bon, c’est plus possible ça aujourd’hui. Un mexican standoff, ce genre d’impasse où tout le monde braque tout le monde jusqu’à ce que ça passe ou ça casse, c’est ce qui se rapproche le plus actuellement du duel de western. Et ça dégage une grande intensité dramatique. A l’exception de Tueurs Nés, et encore je me demande, il y en avait toujours un dans mes premiers films. Dans True Romance, il y a toute cette séquence. Il y en a un dans Reservoir Dogs. Il y en a un à la fin de Pulp Fiction. La première fois que j’ai entendu cette expression de mexican standoff, c’était dans un épisode de Police Story avec James Farentino et Fred Williamson. Farentino essayait de coincer Williamson qui jouait un mac. Ils se retrouvent dans un bar. Farentino braque Williamson qui a un flingue sous la table. Quelqu’un a sorti cette expression et je m’en suis souvenu.

Maintenant, je voudrais démentir quelque chose qui me suit depuis longtemps. Depuis le jour où j’ai eu le droit d’ouvrir ma gueule, les gens écoutent mon point de vue. Si j’ai bossé dans un vidéoclub, si j’ai été un cinéphage, si j’ai voulu devenir célèbre, c’était pour faire entendre ma voix. On me prendrait au sérieux. Dès l’instant, où j’ai eu assez d’impact pour ouvrir ma gueule, je me suis dépêché de promouvoir les films d’Hong-Kong. C’est là qu’on trouve les films qui ont le plus de pêche quelle que soit l’époque. J’étais un fan de John Woo et quand je dis John Woo, j’englobe tous les gens de cette époque. Dès que j’ai eu du succès, j’ai fait en sorte qu’il rejaillisse sur eux. Je les respecte sincèrement pour leur côté esthétique… Cela dit, comme j’ai toujours mis en avant les films de John Woo, on dit que je lui ai piqué les mexican standoffs. Notamment dans City On Fire où il y en a un. Parfois, les gens citent City On Fire mais le reste du temps, ils attribuent les mexican standoffs à John Woo mais aussi parce que Clarence regarde un film de John Woo dans l’appart.

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Alors on va mettre les choses au point. J’ai écrit True Romance en… En quelle année déjà ? ça devait être en 86… Je me rends compte que j’aurais dû faire des recherches mais je dis ça de tête. J’oublie toujours, j’aurais dû noter l’année exacte. Si vous avez un dico du cinéma, cherchez un film de Norman Mailer, Les Vrais Durs Ne Dansent Pas. C’est l’année de sa sortie que j’ai bouclé True Romance. Je me rappelle avoir vu ce film au cinéma le week-end où j’ai achevé True Romance. On devait être en 1985 ou en 1986. Peut-être 1987. Mais ce que je veux dire, c’est que, à part les films de kung-fu old school, ceux des années 70 comme ceux de la Shaw Brothers, les premiers Jackie Chan ou les premiers Bruce Li… Bruce Li et pas Bruce Lee, j’insiste. Je n’avais pas vu la nouvelle vague made in Hong-Kong. Les John Woo et tous ces films ultra-sanglants. Quand j’ai écrit cette séquence, je ne savais même pas qui était John Woo. Il avait déjà signé les deux Syndicat Du Crime. Je ne les découvrirais que trois ou quatre ans plus tard. Le premier mexican standoff que j’ai imaginé avec ce premier script, le premier a figuré dans mon travail, est venu de cette obsession que j’avais pour les braquages multiples. Le temps que le film se fasse, j’étais devenu fan de John Woo. Mais au niveau de la première monture du scénario, je n’ai subi aucune influence. J’ai fait ce que je sentais. Je n’ai aucun scrupule à piquer ce qui me plait. Les grands artistes ne rendent pas d’hommage, ils piquent. Ce sont les néophytes qui rendent hommages. Mais ça, je ne l’ai pas volé. Le mexican standoff, c’est à moi autant qu’à un autre.

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Au sujet de la fin du film. Tony a changé la fin que j’avais écrite. Je lui suis tombé dessus, complètement remonté. « Ne touche pas au final ! Laisse tomber ces conneries de marketing ! Tu as fait Revenge merde ! ». J’adore ce film. « Tu as fait Revenge et à la fin, la fille meurt. Il est là le romantisme ». Tiens au fait, le gosse qui joue leur fils, c’est Enzo. Le petit Elvis Worley, c’est le vrai fils de Patricia. Tony a réussi à me tenir tête en se défendant bec et ongle. « Quentin, je ne fais pas ça parce qu’on est à Hollywood, ni parce qu’il le faut, ni pour des raisons commerciales. Je fais ça parce que j’aime bien ces deux gamins et je veux qu’ils s’en sortent. Je les aime et ils méritent de s’en sortir. ». Ca se tient comme argument. Après ce qu’il m’a dit, je voulais lui dire non, me défendre… Mais je sais pas ce qu’il me fait, je suis tout mou face à lui. Il me ferait avaler n’importe quoi. Tout ce qu’il m’a dit, c’est « Voilà comment ça va se passer, on va tourner deux versions de la fin et je prendrais ma décision au moment du montage. ». J’aurais pu répondre « non ne fais pas ça ! ». Mais c’est à peu près ce qu’on peut rêver de mieux et je ne pouvais pas exiger plus. C’est donc ce qui s’est passé.

Et je dois reconnaître que la fin vue par Tony correspond bien au film vu par Tony. Quand je lui ai dit à la première, il m’a dit « Ah je t’ai lavé le cerveau ! ». Ce n’était pas vrai, loin de là. Mais c’est beaucoup plus logique par rapport à son film, qui tient plus du conte de fée. C’est pourtant une chose qui me plait dans le film. Si je veux retrouver le script, je n’ai qu’à le relire. Il a respecté mon scénario, à l’exception des changements de structure. Il s’en est à peu près tenu à mon scénario mais il a fait ce qu’un réalisateur est censé faire. Il a repris le matériel à son compte et l’interprétation qu’il en a faite se rapproche beaucoup plus du conte de fée. La mienne était romantique mais ce n’était pas la jolie histoire qu’il en a tirée. C’est pourquoi son film, avec happy end de conte de fée, tient tout aussi la route. Ma fin aurait dû être moins dramatique. Ils n’auraient pas dû mourir. On peut toujours faire remarquer à un certain degré que le film perd la possibilité d’un final tragique. C’est intéressant et ce n’est pas faux. Si j’avais réalisé le film, Clarence serait mort. C’aurait été le même script avec quelques différences. Dans le mien, ça pouvait marcher. Pas dans le sien. Dans le sien, dans ce film qu’on vient de voir, je crois qu’il a fait les bons choix.

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