On imagine bien la symbolique que peut revêtir le fait de faire l’amour pendant qu’une ville est à feu et à sang. On peut aussi mettre cette observation de côté et préférer admirer les deux amants s’embrasser sans que leurs lèvres ne se touchent, ou s’enlacer avec des mouvements si agités et désordonnés que l’on croirait assister à une crise d’épilepsie collective.
Ainsi est fait Desterrada, film au discours pacifiste mais jamais en mesure d’immerger ou d’interroger son spectateur : visuellement aberrant, le long-métrage est sans nul doute ce que l’on aura vu de plus laid cette semaine. Bugs à n’en plus finir (il arrive que des éléments et des groupes entiers de personnages disparaissent soudainement des plans), faux-raccords et, surtout, animation d’un autre temps (pour une bonne utilisation du vectoriel, préférez Avril et le monde truqué), l’amateurisme de Desterrada fait peine à voir et condamne de fait toute velléité thématique. C’est bien simple, il a tout d’une œuvre bâclée et/ou inachevée, lui conférant des airs d’animatique. On se demande encore comment un truc pareil a pu avoir sa place dans la sélection.
Autant l’avouer, j’attendais beaucoup (trop ?) d’Avril et le monde truqué. Je voulais plonger dans un Paris fantasmé où la tour Eiffel serait double, où les Napoléon régneraient encore, découvrir les rouages d’une société encrassée par la suie. Le pitch et les premiers visuels en faisant la promesse mais l’uchronie héritée d’une longue tradition littéraire et directement sortie de l’esprit de Tardi (créateur d’Adèle Blanc-Sec), semble décharnée. Son univers, taillé pour les cases, ne réussit par son passage à l’écran, perdant en densité.
Le film se veut plaisant à suivre, amusant et bon-enfant mais les relations entre certains personnages sont peu crédibles et l’univers uchronique aurait gagné à être plus fouillé et palpable, à ne pas se comporter comme un simple décor. Ce n’est pas surprenant puisque le film choisit d’expliquer longuement, par l’intermédiaire d’une voix off, les mécanismes de création de ce monde en perdition. Dès l’introduction, on tue donc toute aura mystérieuse et l’énergie qui aurait pu être utilisée à rendre la France Napoléonienne crédible, Frank Ekinci & Christian Desmares la mettent à l’oeuvre dans un discours didactique. La déception s’amplifie quand les machines et autres objets scientifiques cessent d’être le sujet du film. Dommage quand on sait à quel point les engrenages fascinent Tardi depuis l’enfance. Quand les scientifiques enlevés apparaissent relégués au second plan en une fraction de seconde, quand Avril réussit là où les plus grands chercheurs ont échoué, on sent que le sujet initial du film nous échappe. Le coup fatal est porté par un combat de lézards, plus risible que drôle, sorte de Kung-Fu Croco où Einstein joue le rôle du spectateur ébêté.
On résume donc le film ainsi : un bon film d’aventure, rythmé, teinté d’humour mais aux personnages moins attachants qu’ils ne pourraient l’être. L’uchronie est réduite au simple cadre d’un film fun, pas assez habité pour combler. On repart avec le goût doux-amer de la déception.