Les Femmes de Stepford – LE DOSSIER

LE ROMAN, IRA LEVIN

Peut-on considérer un monde paisible et serein comme l’une des choses les plus angoissantes qui soit ? Le sentiment est bien sûr paradoxal ; comment critiquer une condition qui est objectivement appréciable ? En fait, la vraie question est : est-il possible de placer sa confiance en une société où rien ne va de travers ? La quête du bonheur est quelque chose qui motive tout un chacun. Nous cherchons tous ce statut dont la nature est empreinte de notre subjectivité. Nous fournissons les efforts (ou peut-être juste l’impression d’effort) afin qu’il devienne une réalité. N’est-il pas alors suspicieux lorsque cet état de paix est atteint sans qu’aucune contrepartie apparente n’ait été fournie ? Quand le bonheur se pose en norme admise et généralisée, une gêne s’insinue en nous. A-t-on vraiment mérité cela ou y a-t-il un prix inconnu à payer, un prix si monstrueux qu’il est refoulé au profit de cette quiétude factice ? Le sacrifice en faveur d’une tranquillité mensongère, c’est ce à quoi nous convie Les Femmes De Stepford.

Publié en 1972, Les Femmes De Stepford est un roman écrit par Ira Levin. De ce dernier, on retient surtout le livre Un Bébé Pour Rosemary et son excellente adaptation par Roman Polanski. D’ailleurs, on peut se demander si les intentions de Levin sur Les Femmes De Stepford n’étaient pas de réitérer le succès d’Un Bébé Pour Rosemary. On pourrait faire des analogies entre les deux récits qui s’intéressent chacun au même archétype : celui d’une femme qui doit se battre seule contre tous après avoir découvert un monde vicié, dissimulé sous le vernis de la normalité. Dans Les Femmes De Stepford, il s’agit de Joanna. Avec son mari Walter et ses enfants, elle vient d’emménager dans la petite ville de Stepford. C’est un changement complet de décor pour ces new-yorkais qui trouvent ici une habitation agréable aux multiples atouts. Photographe amateur dont le talent a déjà été remarqué, Joanna compte bien profiter de ce nouveau contexte pour professionnaliser sa passion. Le tableau dépeint est idyllique à une exception : militante pour le mouvement de libération des femmes, elle voit d’un mauvais œil le club des hommes. Comme son nom l’indique, cette organisation est réservée aux mâles. Elle est pratiquement l’unique institution du patelin et prend la majorité des décisions influant sur la vie de la collectivité. On lui promet que beaucoup de membres souhaitent à l’avenir ouvrir le club au sexe opposé mais cela n’en chiffonne pas moins Joanna. Cette source d’agacement est renforcée par la quasi-totalité des femmes de Stepford ne voyant rien à redire à cette situation. Celles-ci incarnent l’archétype de la femme au foyer, consacrant tout leur temps aux travaux ménagers et incapable de sacrifier une seule minute à une autre activité. La passivité de ces dames frustre Joanna mais elle ne peut pas heurter si vite les us et coutumes d’une population qui se révèlesi polie et bienveillante, tout du moins jusqu’à l’apparition de détails étranges…

En ce sens, la force du roman est d’adopter dans son intégralité le point de vue de Joanna. C’est avec elle que nous découvrons le monde de Stepford et c’est par ses yeux que nous constatons ses bizarreries. Par cette identification, Levin nourrit notre propre incertitude quant à la réalité de Stepford et le conflit qui l’anime. Joanna lutte difficilement face à quelque chose qui, de manière pragmatique, ne devrait pas susciter sa colère. Elle a des ambitions toutes autres que celles de ses congénères et, en dépit de leur apathie, il ne serait pas honnête de porter un jugement méprisant sur leur conception du bien-être. Après tout, en plusieurs instants, Joanna est prête à être séduite par ce douillet conformisme. Alors qu’elle fait les courses, elle observe que toutes les femmes classent leurs provisions par ordre de grandeur. Contemplant le fatras dans son panier, elle s’apprête à faire de même avant de se raviser. Pareillement, elle laisse tomber un soir des tâches ménagères pourtant devenues indispensables par simple esprit de contradiction. En visite chez une amie à New York, elle se refuse de faire part de ses reproches envers les habitants de Stepford.

La façade commence véritablement à s’effriter lorsque les deux seules habitantes semblables à elle rejoignent la caste des ménagères. A force de recherches, Joanna pense avoir débusqué la vérité : Alarmés par une montée du matriarcat (c’est anciennement un club des femmes qui faisait les beaux jours de Stepford), les hommes ont renversé la vapeur en remplaçant leurs épouses par de dociles robots. Ayant vécu les événements à ses côtés, le lecteur rejoindra ce point de vue. Comme dans Rosemary, cette conviction d’un complot se heurte à des accusations de paranoïa : Joanna est-elle le seul être lucide de la ville qui revendique juste le droit d’exploiter son potentiel comme tout un chacun ou bien une femme dévorée par son individualisme et détachée de la collectivité ? L’une ou l’autre de ces solutions s’avère incommode. Le grand culot d’Ira Levin sera de ne pas trancher ce questionnement. Dans ce type de récit à mystère, on attend traditionnellement l’explication finale qui va tout décortiquer. Ce genre de passage est souvent laborieux puisqu’il se contente de mettre les points sur les « i ». On nous expliquerait ce que nous avions déjà compris : que le mari en avait marre de sa femme qui l’obligeait à adhérer au mouvement féministe, que le caricaturiste avait dessiné Joanna non pas pour lui faire plaisir mais pour définir sa future copie robotique, que la pseudo-enquête où elle doit enregistrer des mots sur un magnétophone avait servi à mettre au point son programme informatique, etc… Autant de choses dont Levin choisit de s’abstenir. Lorsque vient le grand moment, celui où les croyances de Joanna seront confirmées ou invalidées, Levin opte pour une ellipse. On ne saura jamais ce qu’il en est du mystère de Stepford, si tant est qu’il y en ait un. Il ne reste que la fatalité du dernier chapitre marqué par un changement de point de vue. La dernière habitante installée à Stepford y croise une Joanna désormais rentrée dans le rang. Il transparaît de cette ultime scène le malaise face à un individu dont les aspirations ont été tuées, que ce soit littéralement ou par la pression de la société. Même si elle ambitionne d’en restituer la noirceur, une adaptation cinématographique ne peut se permettre une conclusion si incertaine. Et ça sera effectivement le cas du film sorti en 1975.

LA PREMIÈRE ADAPTATION

Hollywood a toujours gardé un œil sur les romans d’Ira Levin et ça n’est pas le triomphe du Rosemary’s Baby de Roman Polanski en 1968 qui allait changer la donne. Le fait est que c’est le nom de l’écrivain qui apparaît en premier au générique associé avec le titre tel un label de qualité. Avec cette mécanique de thriller similaire à Rosemary’s Baby, le producteur Edgar J. Scherick se frotte les mains quant au potentiel succès des Femmes De Stepford. Histoire de mettre toutes les chances de son côté, il embauche le prestigieux scénariste William Goldman pour signer l’adaptation. Déjà lauréat d’un oscar pour Butch Cassidy Et Le Kid, Goldman est une sommité du milieu et entend avoir un certain poids sur la production. C’est sur son influence que le premier réalisateur envisagé est récusé. Scherick aura en effet été séduit par le talent d’un jeune cinéaste, un dénommé Brian De Palma. Si Scherick fut impressionné par Sisters, Goldman en sortit écœuré et imposa au producteur de choisir entre lui ou De Palma. Nul doute qu’il s’agit d’une grande occasion manquée, l’univers illusoire des Femmes De Stepford aurait sûrement donné des merveilles dans les mains d’un tel virtuose. Cela est d’autant plus amer au regard de la suite de la production où la domination de Goldman va être ébranlé.

La réalisation est finalement dévolue à Bryan Forbes. Ancien acteur (vu notamment dans Les Canons de Navarone) passé derrière la caméra, Forbes est lui-même étonné d’être engagé sur un tel projet. Il soupçonne que c’est sa vision d’anglais sur un environnement américain qui l’a amené à ce poste. Toutefois, Forbes ne se retrouve pas dans le script de William Goldman et décide de le réécrire personnellement. Cela provoque évidemment la fureur d’un Goldman mis sur la touche. Cette cuisine interne peut expliquer pourquoi le film souffre d’une narration beaucoup moins rigoureuse que celle du livre. Si le roman suivait intégralement le parcours de Joanna, le script ajoute de nombreux passages mettant en scène son mari. Dans ceux-ci, il n’y a plus de doute sur ses actions visant à remplacer sa femme. Il faut dire que la représentation des hommes verse dans la caricature. Dans le livre, Joanna ne se rendait compte que tardivement à quel point son mari était dégradé physiquement. Un tour de passe-passe difficile à concrétiser visuellement et qui conduit à jouer sur l’excès inverse. Le long-métrage nous met d’office face à des mâles ramollis, gentiment ventripotents et à la calvitie avancée. Ce portrait est aggravé par des discussions guère intellectuelles et des attitudes plus abjectes. Il est évident que les hommes constituent une menace pour la gente féminine. La peu finaude interprétation de Peter Masterson dans le rôle du mari de Joanna appuie cela. On notera que Masterson était pris entre deux feux : ami de William Goldman, il appelait tous les soirs le scénariste afin d’avoir son avis sur telle ou telle scène. Craignant que son petit manège ne soit trop visible, l’acteur essaya d’intégrer également les directives de Forbes. Un jeu de dupe dont il sera la principale victime.

Du côté des femmes, il y aura aussi un écart dans leur représentation entre la version de William Goldman et celle de Bryan Forbes. Les deux visent là encore la caricature mais différemment. Chez Goldman, les femmes sont assimilées à des playmates. Or dès son recrutement, Forbes compte destiner un rôle à son épouse Nanette Newman (le couple fonctionne en packaging selon les propres termes du réalisateur). Cependant, Newman n’a aucunement le physique d’une playmate. Forbes redéfinit les femmes de Stepford, mettant avant tout l’accent sur leur statut de ménagère échappée d’une publicité pour un quelconque produit d’entretien. Un choix restant judicieux et en accord avec le roman. Preuve de sa compréhension de ce dernier, Forbes veut faire de son film un thriller à la lumière du jour. Le long-métrage baigne dans des couleurs chatoyantes et joue sur la perversité de cet environnement en se raccrochant à sa normalité. Par là, Forbes met sur pied d’authentiques instants de malaise. Il invente plusieurs scènes perturbantes par leur façon de montrer sans détour une réalité qui dérape. Lors d’une réception, une femme déambule au milieu des invités en répétant en boucle la même phrase. Plus tard, Joanna arrive à convaincre des femmes de se réunir pour discuter de leurs problèmes. Charmaine, une amie de Joanna, y fait part non sans émotion de l’état de son mariage mais les autres ne lui répondent que par un silence pesant avant d’échanger leurs astuces de nettoyage comme si de rien n’était. Il y a quelque chose de profondément dérangeant à voir cet ordinaire prendre un tour si déshumanisé. Ce qui atteint son apogée dans la scène finale. Auparavant femmes libérées pleines de pensées et d’inspirations, elles ne forment plus qu’une colonie de zombie se traînant dans un supermarché et exécutant docilement les tâches qu’on réclame d’elles.

On peut se demander jusqu’où l’intensité de ces séquences fut réfléchit par Forbes. Si la mise en scène figée et réductrice s’accorde avec l’univers lisse de Stepford, elle peut également n’être que l’incarnation des capacités archaïques de son réalisateur. Car la maîtrise de celui-ci paraît relative dans un usage insistant de la musique et une mise en avant du comportement ouvertement inquiétant des hommes. Comme mentionné plus haut, le film inclut des scènes mettant uniquement en scène les mâles. Donner plus de latitude à ce point de vue rend le spectateur moins enclin à partager le ressenti de Joanna. Dans le livre, on comprenait le soulagement de Joanna en rencontrant Bobbie qui partage son opinion sur le monde lisse de Stepford. Dans le film, on ne l’a pas vu en contact avec le reste de la ville et les premières interactions ont eu lieu par son mari. Du coup, ses réticences paraissent infondées. Le film est plus incertain dans son équilibre, ce qui se retrouve dans la nouvelle fin. A l’inverse du roman, le long-métrage s’oriente vers une grande scène de confrontation en bonne et due forme. La scène du couteau obtient donc une conclusion. Elle affiche clairement la nature robotique des femmes par une nouvelle démonstration de la monstrueuse absurdité de ces créations (le robot abimé répète des gestes du quotidien de manière désordonné). S’ensuit une rencontre avec le grand manitou qui expose ses motivations et amène Joanna vers sa copie « amélioré ». Par rapport à la première version de Goldman, Forbes fit en sorte d’écourter les explications (se limitant à un « parce qu’on peut le faire ») et d’édulcorer son contenu (la fin originale devait montrer Joanna se faire tuer par son double). Il n’en demeure pas moins que cette fin revient vers une forme classique et attendue.

LES TÉLÉFILMS

Comme souvent avec ce genre de films devenus cultes, on a tendance à omettre qu’ils n’ont pas remporté de succès à leurs sorties. Le cas des Femmes De Stepford fut d’ailleurs des plus extrêmes. Certains mouvements féministes critiquèrent le film en y voyant l’exact contraire de son discours. Des manifestations peu réfléchies et trop zélées iront jusqu’à une attaque physique envers Forbes (une personne le frappa à la tête avec une pancarte). L’actrice Diane Keaton n’a peut-être pas eu tort de refuser le rôle principal sous prétexte qu’il y avait de mauvaises vibrations autour du scénario ; les années passant, les esprits s’apaisent et le film gagne en réputation. L’expression « Stepford Wives » s’inscrit dans la culture populaire si bien qu’elle parle même aux Américains qui n’ont jamais vu le film. Cette victoire au long cours explique l’apparition en 1980 d’un téléfilm Revenge Of The Stepford Wives. Comme précédemment, le producteur Edgar J. Scherick va solliciter le point de vue d’un cinéaste anglais. En l’occurrence, il s’agit de Robert Fuest connu pour L’Abominable Dr. Phibes et auteur du bijou mésestimé And Soon The Darkness. Malheureusement, au moment de réaliser Revenge Of The Stepford Wives, Fuest est sur une terrible pente descendante. Revenge Of The Stepford Wives fait ainsi partie d’une fin de carrière assassine condamnée aux travaux télévisuels. Cela donne la mesure de l’enthousiasme émanant du téléfilm.

Revenge Of The Stepford Wives va en gros reprendre le schéma de l’œuvre originale en lui enlevant encore un peu plus de sa subtilité. On y suit cette fois une journaliste venue visiter Stepford. La tranquillité de la ville lui donne l’impression qu’elle peut en tirer un sujet et elle compte faire quelques investigations pour voir si c’est le cas. Naturellement, les hommes de la ville la surveillent de près pour s’assurer qu’elle ne divulgue pas leur secret. Si Les Femmes De Stepford incluait d’intimidantes scènes de complot avec les hommes, ceux-ci se présentent ici immédiatement comme une organisation machiavélique. Le téléfilm s’ouvre sur un mortel accident de la route causé par la police et on verra en de multiples reprises les hommes chercher à mettre des bâtons dans les roues à l’héroïne. Il n’y a plus de place pour le mystère et tout s’exhibe sans le moindre scrupule. L’ambiance est à l’image de cette sirène d’alarme retentissant dans toute la ville pour obliger ces dames à avaler leurs pilules de soumission. On a vu des conspirations plus discrètes !

On note là une des modifications apportées au précédent film. Les robots ont été remisés au placard. Les hommes ont maintenant recours à la bonne vieille technique du lavage de cerveau (justifiant là le titre français Les Envoutées De Stepford). Une nouvelle méthode utilisée pour offrir aux dames la possibilité de se libérer du joug de leurs oppresseurs et accomplir la revanche promise par le titre. Un retour de bâton qui aurait pu être intéressant si le téléfilm savait mener sa barque. Revenge Of The Stepford Wives partage trop de similarités avec son prédécesseur, tout en abandonnant son atmosphère inquiétante en rendant encore plus identifiable sa malfaisante menace. L’expérience en devient plus traditionnelle et impose l’opportunisme d’une telle suite. Elle dévoile toute la pauvreté que peut entourer le qualificatif de téléfilm. Soit un produit de meublage peu regardant sur sa qualité entre une réalisation sans inspiration et une écriture imparfaite pleine de trous (le meurtre ouvrant l’histoire n’aura aucune explication) ou d’évolutions aberrantes. En atteste le personnage de policier fraîchement installé à Stepford (interprété par un Don Johnson pré-Miami Vice). Dans un premier temps très content de rejoindre cette société pour calmer les ardeurs de son acariâtre épouse, il choisit de s’en extirper avec elle sans raison si ce n’est le pouvoir de l’amour. Le principe constitue toutefois quelques unes des bonnes idées du téléfilm. S’il y a revanche des femmes, les hommes eux-mêmes commencent à sentir les failles de leur petit monde parfait. Le tenancier du motel se confie ainsi à l’héroïne. Il reconnait à demi-mot qu’au fil des années son épouse servile ne lui convient plus et qu’il a besoin d’une véritable compagne capable d’évoluer avec lui. Si les hommes de Revenge Of The Stepford Wives gagnent en méchanceté dans le tableau global, ils gagnent ironiquement en nuance dans une poignée de scènes. Pas assez néanmoins pour transformer une œuvre devenu moins un jeu sur les caricatures qu’une authentique caricature.

Pas pressé de remettre le couvert après une telle déconvenue, il faudra attendre sept ans pour que la franchise soit réactivée avec un autre téléfilm Les Enfants de Stepford. Comme son titre le souligne, la franchise s’heurte à la difficulté de renouveler sa formule. Quand bien même le message reste d’actualité, Revenge Of the Stepford Wives montre les limites à réitérer ce schéma narratif. Il faut une excuse pour servir de nouveau la soupe. En plus des femmes, ce sont les adolescents de Stepford qui vont devoir apprendre à rentrer dans le rang. On note que dans son roman, Ira Levin laissait sous-entendre que les enfants étaient épargnés par les malversations des adultes. Mais on peut mal leur reprocher ce changement de politique une décennie plus tard. On prend difficilement parti pour les adolescents, pur produit des 80’s affichant leur coolitude blasé, leur terrible affront capillaire et leur choix vestimentaire au-delà de tout commentaire. Mais passons car au final, cette modification n’arrive pas à relancer une machinerie trop bien connue.

Durant une très longue heure, Les Enfants De Stepford reproduit la découverte de la ville et de ses bizarreries. Le téléfilm déroule un train-train d’autant plus ronflant qu’outre les enfants, Madame aussi est menacé par le remplacement. Inutile de préciser qu’on ne sent guère d’engouement de la part du réalisateur Alan J. Levi, gros pourvoyeur de la télévision de L’Homme Qui Valait Trois Milliards à NCIS en passant par Docteur Quinn, Femme Médecin. Ce rythme particulièrement lancinant conduit à un climax pour le moins expéditif à base de cascade en moto et d’explosion auquel se rajoute une grotesque attaque de clone inachevé. En effet, la substitution a évolué une seconde fois et la robotique cède le pas à la génétique. Ce qui n’empêche pas les copies de se comporter comme des robots, notamment lors d’une hilarante scène de bal où les lycéens se détraquent sous les assauts auditifs du rock and roll. Après ce nouvel outrage, la franchise repart en hibernation pour neuf ans.

UN GRAND RETOUR AU CINÉMA ?

En 1996, The Stepford Husbands tente une réactualisation du propos. Comme le met en évidence le titre, ce sont les femmes qui remplacent les hommes par des copies dociles et serviables. Une inversion des rôles qui ne séduira pas les téléspectateurs et fera tomber ce téléfilm dans le plus profond oubli. Pour l’anecdote, il s’agit de la dernière réalisation de Fred Walton. A l’instar de Robert Fuest, l’auteur de Terreur Sur La Ligne ne sévissait alors plus que pour le petit écran et y termina péniblement sa carrière. The Stepford Wives fait par contre son retour sur grand écran en 2004. Là encore, ce qui prévaut est la volonté d’inscrire le discours dans une nouvelle ère. Cette version veut montrer que la place de la femme dans la société a évolué depuis l’histoire originale dans les années 70 (les féministes du fonds me hurlent que non mais passons). Retitré dans nos contrées Et L’Homme Créa La Femme (probablement par un traducteur fan de Roger Vadim), le film entend actualiser et surtout apporter en subtilité au propos originel. Il se veut plus nuancé et se centralise sur le thème du couple en crise.

Joanna n’est donc plus une femme au foyer. Au contraire, elle est la redoutable directrice d’une chaîne de télévision. Elle fait son beurre avec des émissions prônant la supériorité des femmes sur les hommes. Ce qui serait saluable si ça n’était pas de la télé-poubelle jouant sur l’obscénité de ces situations. Des programmes irresponsables en somme, uniquement préoccupés par la course au sensationnel. Ce qui abouti à un fait divers sanglant impliquant un couple de participant. Face au scandale, Joanna est viré et fait une dépression. Afin de se refaire une santé, elle va s’installer avec son mari à Stepford. S’en suit l’habituelle découverte de la ville, la rencontre avec les derniers arrivants et le listage des anomalies de ce monde rose-bonbon. Cependant, ces personnages non conditionnées se distinguent des précédentes itérations. Auparavant, elles leur étaient difficiles de mettre le doigt sur la raison de leur inconfort et à justifier ce qui les dérange. Une réserve qui ne se retrouve pas dans Et L’Homme Créa La Femme. Joanna et ses compagnons vont étaler continuellement leur mépris pour les habitants de Stepford, prendre de haut tout le monde et s’en moquer avec suffisance. Par leurs travaux, elles se sont hissés au-dessus de l’échelle sociale et affiche avec véhémence le droit d’être dégouté par ce qui ne correspond pas à leurs valeurs. Ce qui amène à une dispute déterminante entre Joanna et Walter. Ce dernier finit par lui dire ses quatre vérités : en insistant à tort et à travers sur sa supériorité, elle est devenu une personne aigrie et désagréable à vivre. Qu’importe que ce soit elle qui dirige le foyer familial, le fait est qu’elle passe pour une personne détestable.

Joanna ne peut pas nier ce constat et admet que son couple ne peut survivre sans changement. Evidemment, Joanna est peu à l’aise dans un rôle de femme au foyer mais le propos de sa démarche n’est pas là. Il ne s’agit pas pour elle de s’emprisonner dans une fonction mais de montrer sa compréhension que le cœur du couple passe par des efforts et une confiance mutuelles. Une confiance que Walter va trahir en rejoignant le club des hommes. Il finira par être convaincu que sa femme est incapable de changer par elle-même et qu’il vaut mieux la remplacer par une version servant ses propres intérêts. Un choix sur lequel il reviendra, refusant de transformer sa femme et s’unissant à elle pour briser l’emprise des hommes. Par la réorientation de l’histoire, Et L’Homme Créa La Femme prend un risque. Son désir d’approfondir les motivations de chacun flirte avec la dangereuse recherche du consensus. En voulant mettre dans sa poche le public mâle et femelle, le film pourrait verser dans la négation du propos initial. Ce qu’il est à la limite de faire dans un dernier acte révélant l’origine de Stepford. Soit une création non pas d’un homme mais d’une femme, business woman qui a vu sa vie professionnelle détruire son couple et désireuse de se complaire dans une société immaculée (les hommes seront robotisés après les femmes).

Ce sentiment de consensus n’a rien d’incongru. La fabrication du film fut douloureuse et pèsera de façon évidente sur le résultat final. Pourtant, tout commençait sous de bons auspices. Ayant récupéré les droits du roman, le producteur Scott Rudin voit le projet comme une forme de retour aux sources. Après tout, son premier job de producteur fut sur Revenge Of The Stepford Wives. Par cette notion de retrouvailles, il offre en premier lieu le projet à Tim Burton avec qui il travailla sur Sleepy Hollow. Le sujet paraît dans les cordes du réalisateur de Beetlejuice mais celui-ci passe la main. Rudin se tourne alors vers d’autres anciens collaborateurs. Il s’agira du scénariste Paul Rudnick et du réalisateur Frank Oz qui officièrent ensemble sur la comédie In & Out. Pour ne rien gâcher, l’entreprise se constitue un casting trois étoiles : Nicole Kidman, Matthew Broderick, Christopher Walken, Glenn Close… Toutefois, le navire va prendre l’eau de toute part. Rétrospectivement, Oz avouera être responsable de l’échec du film. Trop emballé par les moyens mis à sa disposition, il s’efforça en permanence à combler les attentes de ses producteurs, du studio et du public. Si le film voulait concilier tout le monde, Oz n’accomplit pas cette démarche en se fiant à son jugement mais en se référant aux exigences d’autrui aussi opposées soient-elles. L’ambiance du tournage en sera plombée, Oz se disputant plusieurs fois avec Kidman, Walken et Bette Midler. Mais surtout, cela engendra un produit si disparate qu’il ne convint personne. S’en suivra un long processus de reshoot et de remontage.

Il faut dire que le projet prit une direction générale assez fragile. Si le discours se veut plus nuancé dans son portrait du couple (incorporant ainsi l’homosexualité dans l’équation), son emballage prend une forme assez différente. Oz et Rudnick veulent se démarquer du film original en évitant de jouer la carte du thriller. En conséquence, leur Stepford Wives sera une comédie. Or cette comédie ne se réalisera pas sur la base de dialogues délicats et de situations finement préparées. Elle convoque plutôt un humour à tendance cartoonesque. Et L’Homme Créa La Femme n’a donc aucunement le caractère troublant des Femmes De Stepford. On retrouve des séquences similaires sous le mode de la bouffonnerie : une femme se dérègle lors d’une célébration en faisant une danse endiablée, la nature robotique des femmes se dévoile lorsqu’une se fait manipuler par une télécommande et se confirme quand une autre révèle sa fonction de distributeur de billet, la réunion des femmes est l’occasion de détourner un club littéraire vers des préparatifs de Noël… La scène du couteau devient le point d’orgue de cette réinvention. Après avoir été frappée, le corps de Bobbie déraille et expose l’étendue de ses fonctionnalités ménagères. Une scène qui a le simple inconvénient de ne pas être drôle comme la plupart des séquences citées.

Au bout du compte, cet humour cartoonesque se marie mal avec l’histoire de Stepford Wives. Ce côté guignol est plus embarrassant qu’autre chose et ne met jamais en relief avec pertinence la satire. Le montage sera révisé pour l’atténuer en coupant plusieurs scènes comme celle du couteau, bien qu’elle fut la plus couteuse par ses nombreux effets spéciaux. On peut également voir une raison supplémentaire à l’éviction de cette scène : la mise en avant du statut entièrement robotique des corps féminins. Malgré une pseudo-vidéo informative, le film n’est pas tout à fait clair sur la méthode de substitution. Il laisse entendre que les femmes sont contrôlées par des puces électroniques implantées dans le cerveau. Or l’idée de base plus abominable était que leurs cerveaux étaient transplantés dans des corps robotiques. Cela explique la scène du distributeur de billet et pourquoi il y a un double de Joanna lors de la confrontation au club des hommes. Dans le cadre de la comédie, une telle idée apparaît un peu trop glauque et les références aux corps robotiques seront minimisées (même si quelques restes demeurent). L’épilogue peut à ce moment-là dire explicitement que tout est revenu à la normale pour les femmes de Stepford.

Tout le film se construit à tâtons et la scène d’ouverture en est un bon exemple. Lors des reshoots, il est imaginé une introduction montrant des new-yorkaises partir au travail. La scène importante nécessitera plusieurs centaines figurants et de bloquer des rues de la grosse pomme. Une dépense considérable pour une séquence qui ne sera finalement pas retenue et remplacée par une générique basique à base d’images d’archive. La preuve d’une production mal pensée et ne servant jamais au mieux son histoire. Pour autant, plus d’une décennie après l’échec artistique et commercial de cette dernière version, Les Femmes De Stepford est toujours une histoire aussi puissante et interpellant notre perception du monde. Nul doute qu’une nouvelle adaptation officielle verra le jour. Dans tous les cas, l’œuvre reste vivace dans l’esprit de certains cinéastes. Que ce soit par Edgar Wright sur Le Dernier Pub Avant La Fin Du Monde ou Jordan Peele sur Get Out, le flambeau spirituel des Femmes De Stepford a été repris avec l’intelligence et la virtuosité qu’il mérite.

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
Faute d’amour

Critique de Faute d'amour, réalisé par le cinéaste russe Andreï Zviaguintsev

Fermer