REALISATION : Keiichi Hara
PRODUCTION : Dentsu
AVEC : Kazato Tomizawa, Takahiro Yokokawa, Naoki Tanaka…
SCENARIO : Keiichi Hara, Masao Kogure, Yuichi Watanabe
DIRECTEUR DE L’ANIMATION : Yuichiro Sueyoshi
PHOTOGRAPHIE : Koichi Yanai
MONTAGE : Toshihiko Kojimaa
BANDE ORIGINALE : Kei Wakakusa
TITRE ORIGINAL : Kappa no coo to natsu-yasumi
ORIGINE : Japon
GENRE : Animation, Anime, Fantastique
ANNEE DE SORTIE : 10 septembre 2008
DUREE : 2h15
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Kôichi, jeune écolier en quatrième année de primaire, découvre une pierre bien étrange dans le lit asséché d’une rivière et la rapporte à la maison. Alors qu’il décide de laver ce précieux trophée, un étrange animal en sort. Surprise, c’est un kappa, un esprit de l’eau. La famille de Kôichi appelle ce kappa Coo et décide d’en prendre soin. Toutefois, la rumeur de la présence de Coo ne tarde pas à se propager et toute la ville ne parle plus que de lui. Coo, inquiet d’ennuyer la famille de Kôichi, décide de partir. L’aventure de Coo à la recherche d’autres kappa commence.
S’il est, grâce à Un été avec Coo, un réalisateur encensé par ses pairs les plus prestigieux (Isao Takahata, Mamoru Hosoda ou Kenji Kamiyama ne tarissent pas d’éloges à son sujet), Keiichi Hara aura dû longuement patienter pour atteindre la consécration. Car s’il remporte le prix du meilleur film d’animation pour les aventures cinématographiques du populaire Crayon Shin-Chan, lors du Japan Media Arts Festival en 2002, il nourrit depuis une vingtaine d’années une ambition précise. Un été avec Coo est en effet l’adaptation d’une trilogie littéraire de Masao Kogure, romans découverts par le cinéaste dans les années 80 qu’il se promit alors de transposer en dessin animé. Passé depuis par les postes de directeur de l’animation ou de storyboadeur sur des séries télévisées, ce n’est qu’à partir de 2002 que toutes les conditions furent réunies pour entrer en phase de pré-production : accord du romancier, financement et conception d’un pilote… Jusqu’à un montage initial de plus de trois heures, délesté de plusieurs séquences aboutissant au film tel qu’on le connaît aujourd’hui. Cent-quarante minutes, un format malgré tout atypique et conséquent pour un long-métrage d’animation. Mais qu’à cela ne tienne : Keiichi Hara est un conteur de talent, et son Eté avec Coo l’une des plus belles invitations au dépaysement que le cinéma Japonais nous ait offert.
A posteriori, les émotions ressenties laissent de très agréables souvenirs au spectateur, partagé entre la proximité installée avec les personnages et le pouvoir d’évocation du récit, fortement ancré dans le contexte socioculturel japonais (comme très souvent dans la japanimation), ici contemporain. C’est là la plus grande réussite du film, riche d’une écriture impeccable et d’une narration à la clarté exceptionnelle compte tenu de sa densité. La preuve des immenses qualités artistiques de Keiichi Hara, capable de faire oublier de petits défauts formels qui auraient pu se retourner contre lui. Un été avec Coo est ainsi loin d’être le dessin animé le plus beau que vous ayez vu : si les somptueux décors et lumières traduisent avec beauté une atmosphère purement estivale, l’animation des personnages se montre parfois saccadée et minimaliste, tout comme le character-design (à l’exception de Coo) n’est pas le plus inspiré qui soit. Qu’à cela ne tienne donc, les ambitions thématiques et narratives se chargeant de sublimer ce qui n’a pas lieu d’être pris à parti. Constat quasi misanthropique sur la société actuelle, confrontation du Japon avec ses mythes, portrait de famille ou parcours initiatique, Un été avec Coo est tout ça à la fois, et même plus.
Coo (prononcez « kou ») est un kappa, petite bestiole palmée mignonne comme tout mais surtout, figure mythologique issue du folklore national. Nous le découvrons en compagnie de son père dés la séquence introductive, fondamentale dans la mesure où celle-ci comporte en son sein structure narrative, approche thématique et ruptures de ton qui construiront par la suite le film dans son intégralité. L’échange verbal entre Coo et son père aborde ainsi la notion de famille (brillamment synthétisée dans la réplique classique où le fils lui demande s’il parviendra à l’imiter une fois adulte), là où le face-à-face entre le kappa adulte et un samouraï – les premières minutes se situent en pleine époque d’Edo – introduit la notion future de la cohabitation entre traditions et modernité (un propos vu sous deux autres angles différents dans Summer wars ou Mai Mai miracle). Si le père de Coo entrave la volonté de sa race de ne pas se montrer aux adultes, c’est pour demander aimablement au samouraï de renoncer à établir des rizières après avoir asséché les marais, lieu de résidence des kappas. Autrement dit, dans sa manière de lier le destin de la nature (et par extension, du sacré) aux ambitions humaines, Keiichi Hara se pose explicitement en parfait héritier d’un Miyazaki dans le constat, anticipé, qu’il effectue. Les effusions de sang qui apparaissent suite au meurtre du kappa par son interlocuteur, plongent la séquence dans une horreur subite et imprévisible et intensifient le portrait dressé a priori (les deux hommes sont saouls, paranoïaques et parlent de s’enrichir sur le dos des paysans) tout en réfutant l’idée d’une vie harmonieuse entre l’Homme et ses légendes. En cinq minutes, Un été avec Coo a ainsi préparé le spectateur à ce qu’il allait vivre deux heures durant. Ce qui montrait alors le début de la fin d’une époque se vit désormais littéralement : après un tremblement de terre qui le fossilise, Coo se réveille dans les années 2000.
Comme tout postulat de départ tel que celui-ci, la surprise n’a pas tellement sa place dans ce que l’on devine d’avance comme étant l’intrusion d’un élément extraordinaire dans un cadre ordinaire. Hara le sait et installe une simplicité dans la découverte de la pierre dans laquelle est prisonnier Coo, par le jeune Kôichi. Une séquence classique dans la forme mais qui dans le fond laisse place à une présentation succincte des jeunes personnages secondaires, essentiels à la cohérence interne du récit. Les camarades du héros sont comme beaucoup d’enfants de leur âge, taquins et moqueurs, tout comme ils ne se font pas prier pour caractériser Kikuchi comme étant leur souffre-douleur. Sujette aux railleries en tous genres, la fillette se fera régulièrement l’alter-ego de Coo quand elle fera face à des humains rejetant systématiquement ceux (et ce) qu’ils ne comprennent pas. Pas de misérabilisme toutefois : si le propos est évident, le cinéaste opère un traitement narratif tout en nuances et compense, avec une justesse assez incroyable, par des instants de bonne humeur communicative. A ce titre, la première confrontation de Coo avec le monde contemporain inscrit d’emblée la cellule familiale comme bulle protectrice. Celle-ci du moins, dans un comportement que l’on peut supposer lié à son mode de vie : éloignée des tumultes de la société de consommation de par leur lieu d’habitation, les Uehara semblent laisser la place au merveilleux, comme le confirme l’étonnement minimaliste exprimé lors de la « renaissance » de Coo.
Le kappa est ici en sécurité, et ainsi peut débuter la découverte d’un monde qu’il ne connaît pas et dont il devra apprendre à se méfier pour partir à la recherche de ses semblables. Mais l’évolution de la société est avant tout physique : les bâtiments ont remplacé les marais (joli moyen visuel de signifier la perte de place croissante des mythes dans le quotidien) et comme Coo finira par le constater lui-même : les humains sont partout. Le voyage dans le temps dont il a été victime est par ailleurs moins prétexte à comparer deux époques qu’un siècle sépare, que de se servir de l’une pour apposer un point de vue neutre sur l’autre.
L’adaptation progressive de Coo à sa nouvelle vie constitue le premier segment narratif du film. Car comme tout été, celui-ci est fait d’épisodes divers marquant à leur façon la vie de tout un chacun. Keiichi Hara le traduit littéralement en s’attardant longuement sur quatre périodes significatives dont nous serons témoins. Passée la connaissance avec le kappa, faite avant tout de moments familiaux que le réalisateur évite de faire tomber dans une niaiserie qu’il frôle tout de même par instants, Un été avec Coo nourrit les thématiques présentées en intro. A travers la recherche, que l’on sait perdue d’avance, des kappas encore en vie, le film propose un double cheminement initiatique : celui de Coo en premier lieu, lui qui court après ses racines pour retrouver sa vie d’autrefois. Il devra apprendre, dans la douleur, à abandonner tout espoir. Pour Kôichi également : lui qui était le seul de son groupe d’amis à ne pas voyager, quitte pour la première fois la maison, seul, et s’émancipe du même coup de la protection excessive de sa mère. De cet enrichissement commun naîtra l’une des plus belles scènes du film, ainsi qu’un attachement définitif à des personnages dont la relation n’est pas sans faire penser à ceux du E.T de Steven Spielberg.
Mais comme dans tout moment de bonheur auquel le film nous a habitué, il y a une compensation à subir, la rupture de ton étant à l’image des êtres humains, imprévisible. La rumeur de l’existence de Coo a fait son chemin, à une époque où croire au merveilleux est atypique. Le kappa devient la cible de journalistes opportunistes et violents, n’hésitant pas à user des méthodes les plus viles pour obtenir le scoop qu’ils sont venus chercher. Coo est désormais un phénomène de mode donnant là aussi à Keiichi Hara toutes les latitudes pour étayer le jugement initialement amorcé. On préfèrera néanmoins le traitement visuel qui est fait du genre humain, en comparaison à quelques dialogues (pourtant brillants par moments) un brin démonstratifs (« les humains sont parfois capables de faire des choses terribles »). Pour la première fois du film, la narration fait intervenir un point de vue extérieur au cocon familial, celui des paparazzis envahissants et du voisinage curieux.
Le show télévisé est un point culminant dans cette mise en scène de la perte d’humanité : en permanence isolé dans le cadre, Coo doit faire face à plusieurs groupes d’humains, filmés à sa hauteur, pour des contre-plongées accentuant à la fois l’émotion ressentie lors d’une découverte cruciale et la honte face à un public lâche (fuyant l’être qu’il était venu observer) et constamment enclin à tout remettre en question. Le climax met un point final à décrire cette impossible cohabitation : le seul endroit où Coo sera en paix est le sommet de la tour de Tôkyô, là où les hommes ne sont pas présents.
Bouleversant, Un été avec Coo l’est assurément. Sa dernière partie met d’ailleurs à profit tous les acquis du spectateur durant l’heure et demi qui a précédé : le kappa doit faire ses adieux, acceptant enfin le constat d’une vie qui ne peut devenir la sienne. La séparation, tant avec Kôichi qu’avec le spectateur, est longue, très longue. Une durée essentielle pour quitter ce petit héros avec lequel nous aurions passé avec plaisir quelques saisons de plus.