REALISATION : Danny Boyle
PRODUCTION : Cloud Eight Films, Film4
AVEC : Rosario Dawson, James McAvoy, Vincent Cassel, Tuppence Middleton, Danny Sapani
SCENARIO : Joe Ahearne, John Hodge
PHOTOGRAPHIE : Anthony Dod Mantle
MONTAGE : Jon Harris
BANDE ORIGINALE : Rick Smith
ORIGINE : Royaume-Uni
GENRE : Thriller, Trip
DATE DE SORTIE : 08 mai 2013
DUREE : 1h35
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Commissaire-priseur expert dans les œuvres d’art, Simon se fait le complice du gang de Franck pour voler un tableau d’une valeur de plusieurs millions de dollars. Dans le feu de l’action, Simon reçoit un violent coup sur la tête. À son réveil, il n’a plus aucun souvenir de l’endroit où il a caché le tableau. Ni les menaces ni la torture ne lui feront retrouver la mémoire. Franck engage alors une spécialiste de l’hypnose pour tenter de découvrir la réponse dans les méandres de l’esprit de Simon…
Pourquoi ce cher Danny Boyle n’en finit pas de monter en estime à chaque nouveau film depuis la sortie de Petits meurtres entre amis en 1994 ? La réponse est très simple : au-delà d’incarner un technicien surdoué et de redonner au 7ème Art sa dimension d’outil propice à toutes les expériences immersives, il reste avant tout un sacré touche-à-tout, capable d’explorer tous les genres avec une ambition visuelle et narrative qui tend à effrayer les coincés du derrière et à faire de l’ombre à bon nombre de cinéastes contemporains. Chronique sociale sous acide, trip exotique, SF métaphysique, horreur zombiesque, comédie noire, survival naturaliste, fable morale, cérémonie des Jeux Olympiques de Londres (avec la Reine d’Angleterre en guest star !) : en vingt ans de carrière, Boyle aura décidément tout fait, adaptant à chaque fois sa mise en scène au sujet traité et emmenant à chaque fois le spectateur vers une nouvelle approche du langage filmique. Du coup, même si la sortie de son nouveau film coïncidait idéalement pour fêter les deux décennies d’une filmo exemplaire, on pouvait comprendre son désir de s’offrir une petite récréation. Du moins, c’est ce que l’on supposait à la lecture du synopsis de Trance, thriller pop-corn où se croisent hypnose, braquage, thriller psychologique et triangle amoureux. A l’arrivée, on se persuade que, même pour un cinéaste comme Boyle, un petit film va forcément avoir la dimension d’un gros et la minceur des ambitions ne sera qu’une apparence bien trompeuse. C’était oublier par ailleurs la capacité surnaturelle du bonhomme à prendre le spectateur à contre-pied dès lors qu’un sujet a priori convenu et archi-rebattu ne paraissait pas propice à une quelconque forme de renouveau. A titre d’exemple, si l’on pouvait a priori voir d’un mauvais œil la sortie de Sunshine en 2007, pensant se coltiner un énième ersatz d’Armageddon, on avait vite fait de se nettoyer la rétine au sérum physiologique après avoir découvert le résultat. Avec Trance, le plaisir sera identique, puisque l’appréhension du spectateur subira le même sort que le protagoniste du film : un bon coup sur la tête au profit d’un délicieux trou noir. Du coup, aucune surprise : quiconque pénètre dans ce film-cerveau ne mettra pas bien longtemps à relâcher son attention au risque de se perdre. Soudain le vide…
Face à un spectateur encore vierge, il serait assez impossible (et évidemment traître) de chroniquer Trance en y dévoilant les tenants et aboutissants de son intrigue. On pourrait même dire que résumer celle-ci n’aurait rien non plus d’un exercice facile, d’une part parce que son postulat de départ dissimule un abîme de surprises à la profondeur insoupçonnée, d’autre part parce que la résolution de l’intrigue ne présente ici qu’une importance toute relative. Par ailleurs, sur ce point, on prend d’ores et déjà les paris d’une éventuelle scission que Trance ne manquera certainement pas de déclencher au sein de son public : entre ceux qui jubileront de se perdre au sein d’un univers mental assez dingue et ceux qui gueuleront sur la facilité poids lourd d’un scénario-piège se limitant à une manipulation unilatérale, il y aura sans doute un canyon pour créer la division. Au départ, pourtant, rien de bien sorcier : Simon (James McAvoy), jeune commissaire-priseur expert en œuvres d’art, se fait le complice de Franck (Vincent Cassel) et de sa bande afin de dérober lors d’une vente aux enchères un tableau d’une valeur inestimable, et reçoit un violent coup sur la tête après avoir tenté de doubler ses complices. Dès lors, impossible pour lui de se rappeler où il a planqué le tableau en question, et il lui faudra toute l’aide d’une séduisante hypno-thérapeute (Rosario Dawson) pour remettre de l’ordre dans sa tête.
Une quête de vérité à travers la mise en place d’une transe hypnotique, avec immersion garantie au cœur d’un cerveau déglingué : que demander de mieux pour un thriller pop-corn à vocation réflexive ? Boyle ne va toutefois pas s’arrêter là : après une première partie d’une éblouissante précision, où les actions s’enchaînent à la manière de perles parfaitement alignées sur un fil de plus en plus limpide, l’intrigue bascule d’un coup sec dans une construction mentale incroyablement déroutante, multipliant les rebondissements, les fausses pistes, les variations d’identité et les twists en pagaille dans un vaste déluge de transes emboîtées les unes dans les autres. Coécrit par John Hodge (à qui l’on devait déjà les scripts de Trainspotting et de La Plage), le scénario prend alors une direction qui ne fera pas l’unanimité : désorienter son audience par une disposition d’infos à la manière de poupées russes qui semblent dissimuler un fond caché à chaque nouvelle découverte, jusqu’à un dernier tiers qui fera toute la lumière sur le pourquoi du comment avant de laisser le spectateur face à une route ouverte juste avant le générique de fin. L’introduction du thème de l’hypnose rend le résultat pourtant cohérent et jubilatoire pour tous ceux qui épouseront ce genre de vertige scénaristique, le film ne tenant au final qu’à une ballade méandreuse entre réalité et fantasme (dont le cinéma se fait souvent le raccourci le plus évident). Sur le fond, le plaisir suscité par un film comme Trance ne tient donc que sur un concept de pure stimulation, laquelle ose d’ailleurs ici un yoyo permanent entre érotisme et violence. Plus sombre et adulte qu’il n’en a l’air, le film ne génère pas pour autant un choc similaire à celui d’Inception (le film de Boyle reste plus terre-à-terre), mais réussit à retranscrire, par son découpage mutant et sa narration tortueuse, le vertige d’une expérience collective, où le malaise se shoote à la plus inavouable des jouissances.
Sur le plan visuel, Trance prouve encore la virtuosité de Danny Boyle et son aptitude à moderniser film après film la notion de découpage. Sa réalisation touche ici à une perfection qui nous laisse plus d’une fois sur le carreau, au travers d’un montage sous hallucinogènes où des plans magnifiquement composés se mêlent à des cadrages obliques suscitant le vertige, d’une débauche d’éclairages au néon donnant à l’univers mental du film l’allure d’une toile mutante et gorgée de détails insoupçonnés, d’une bande originale envoûtante qui contribue à pousser très loin le dynamisme du récit, et d’un usage quasi kaléidoscopique des miroirs et des surfaces réfléchissantes, développé par Boyle sous la forme d’un incroyable champ lexical du double, du reflet et du simulacre. Le plaisir infini du visionnage puise une large partie de son origine dans cette effervescence moderniste, que les mauvaises langues ne manqueront pas de qualifier d’esbroufe là où le cinéaste tente au contraire d’en faire un outil d’immersion sensorielle au cœur même de son sujet. Reste un casting aux petits oignons, magistralement opaque, qui réussit même à évaporer toute ambiguïté autour de l’affiche du film : James McAvoy et Vincent Cassel ont beau être les protagonistes apparents du récit et assurer chacun de leur côté dans la mise en place d’une confrontation ambiguë jusqu’au bout, c’est bel et bien Rosario Dawson qui leur dame le pion et qui s’impose in fine comme le personnage-pivot du film (ne rêvez pas, on ne vous dévoilera pas en quoi). Et, bouquet final, pour la plus grande joie des spectateurs pervers que nous sommes, Boyle accomplit même un double coup de maître avec cette magnifique actrice : d’abord, révéler chez elle un sidérant tempérament de femme fatale au schéma interne difficile à cerner, et surtout, nous gratifier au détour d’un plan du plus beau full frontal de cinéma qu’on ait pu voir depuis très longtemps. Et rien qu’avec ce cadeau inespéré, pas de doute : la transe est totale.
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Bonsoir, c’est certainement un film virtuose (un peu clinquant) mais l’histoire tirée par les cheveux n’offre aucun intérêt. Bonne soirée.