RÉALISATION : Josh Cooley
PRODUCTION : Pixar Animation Studios, Walt Disney Pictures,
AVEC : Tom Hanks, Tim Allen, Annie Potts, Tony Hale,
SCENARIO : Andrew Stanton, Stephany Folsom,
MONTAGE : Axel Geddes
BANDE ORIGINALE : Randy Newman,
ORIGINE : Etats-Unis, Etats-Unis
GENRE : Drame, Comédie
DATE DE SORTIE : 26 juin 2019
DUREE : 1h40
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Woody a toujours privilégié la joie et le bien-être de ses jeunes propriétaires – Andy puis Bonnie – et de ses compagnons, n’hésitant pas à prendre tous les risques pour eux, aussi inconsidérés soient-ils. L’arrivée de Forky un nouveau jouet qui ne veut pas en être un dans la chambre de Bonnie met toute la petite bande en émoi. C’est le début d’une grande aventure et d’un extraordinaire voyage pour Woody et ses amis. Le cowboy va découvrir à quel point le monde peut être vaste pour un jouet…
Aussi attendu que redouté, Toy Story 4 constituait un grand challenge pour Pixar ! Si le défi s’avère insurmontable, cela ne veut pas dire que cette suite n’a rien offrir en matière de divertissement, d’autant plus que son casting – tant américain que français – s’avère assez savoureux.
Cela fait presque une décennie que nous avions quitté Woody, Buzz et les autres jouets d’Andy dans les mains de Bonnie. En tout état de cause, nous étions tous très satisfaits de les laisser là. Il est difficile de trouver une trilogie qui aura su amener une conclusion aussi parfaite. Autant mélancolique qu’heureuse, elle achevait de la plus belle des manières l’aventure de ses personnages et rien n’appelait un épisode supplémentaire. Cela tombait bien puisqu’à l’époque, Pixar soutenait qu’il n’y aurait pas de Toy Story 4. Le studio se réservait juste le droit d’exploiter encore la franchise au travers de court-métrages. Mais les années 2010 sont passées par là, décennie qui a quelque peu effrité le prestige du studio. Sur une dizaine de productions, la moitié aura été constituée de suites parfois réussies (Les Indestructibles 2) et souvent insignifiantes (à peu près tout le reste). Quant aux films originaux, ils ont oscillé entre les œuvres grandioses (Vice-Versa, Coco) et les spectacles sympathiques mais boiteux (Rebelle, Le Voyage D’Arlo). Dans un tel contexte, il est devenu attirant de revenir sur sa parole et de faire ce Toy Story 4 au potentiel si fédérateur. Reste à justifier la démarche. Et c’était bien sûr la plus grande crainte autour du projet, en particulier lorsqu’on voit comment le compagnon Disney pratique l’exercice. Ainsi, lors de la brève présentation de La Reine des Neiges 2 au festival d’Annecy, on a insisté sur le fait que cette suite réponde à la question « Pourquoi Elsa est-elle née avec des pouvoirs magiques ? ». C’est peu dire d’affirmer que ça n’est pas la première interrogation qu’on se pose au sortir du premier film (on pourrait même affirmer qu’on s’en moque éperdument)… Au regard de la fin de Toy Story 3, le réalisateur Josh Cooley et son équipe ne pouvaient pas traiter leur point de départ comme une bête formalité. Interviewé par le magazine Première, Cooley tend pourtant à suivre un raisonnement similaire à Disney :
OK, ça paraît étrange de prolonger une saga achevée… Mais c’est l’opportunité de prendre des risques iconoclastes. En tant que spectateur Toy Story 3, j’avais eu l’impression que l’histoire était bouclée. En fait, c’est seulement l’histoire entre Woody et Andy qui se terminait. Chaque fin est un nouveau départ. Avec la petite Bonnie qui récupère les jouets, on raconte une nouvelle relation, et donc on montre un Woody nouveau : sa palette d’émotions est plus complexe.
Il y a dans ces propos un corolaire au cinéma doudou qui gangrène l’industrie hollywoodienne du moment. On note dans son énoncé qu’il y a un refus de l’achèvement, de ce lâcher prise qui nous permet finalement de mieux avancer. C’est l’appel constant à regarder derrière soi, à relier et expliquer les petits détails dont on devrait précisément négliger désormais. A sa décharge, il faut admettre que son Toy Story 4 se fonde finalement sur une idée véritablement substantielle ; son souci va plus tenir à la façon de l’envisager par rapport à ce qui a précédé.
Ce quatrième opus ajoute une donnée inédite dans les relations entre les jouets et leurs propriétaires : le consentement mutuel. Jusqu’à présent, les films nous montraient surtout comment les jouets s’épanouissaient dans leur fonction en aidant au développement de l’enfant. Et si l’enfant n’avait pas besoin d’un jouet spécifiquement ? Non qu’il s’en détourne en grandissant mais qu’il s’en désintéresse simplement car il ne lui apporte pas ce dont il a besoin. Le jouet alors présent n’a plus d’utilité. C’est ce qui arrive à Woody au début de Toy Story 4. Bonnie ne sent pas la nécessité de jouer avec lui et le laisse au placard. Cela pose d’office une grosse problématique vis-à-vis de l’épisode précédent. Dans le troisième opus, on avait vu sans ambiguïté Bonnie accepter Woody et s’amuser avec lui. Or, de la troupe des anciens jouets d’Andy, il n’y a que lui qui sera mis à l’écart et délaissé. Il faut dire que si ce désamour était plus généralisé, c’est tout le côté apaisé de la fin de la trilogie qui aurait été démoli. Josh Cooley ne trouve malheureusement pas de solution à ce dilemme et maintient un choix arbitraire qui sonne donc comme un prétexte pour relancer l’histoire. Ce qui est regrettable puisque la thématique est authentiquement passionnante.
Sachant que la sortie du film fut repoussée d’un an, on ne peut éviter de le penser comme un certain exorcisme pour le studio. Pour rappel, John Lasseter a quitté la direction de Pixar à la suite d’accusations d’harcèlements sexuels. On pourrait lire dans le film d’animation un discours sur le consentement via la relation enfant/jouet qui ressemble plus à celle d’un couple que dans les autres long-métrages. Ce serait alors une manière pour Pixar de se libérer de l’ombre de son créateur, de s’en désolidariser et de proposer un sous-texte moral plus actuel. D’ailleurs, c’est extrêmement palpable avec le personnage servant d’antagoniste sur une bonne partie du récit. Enfermé chez une antiquaire, la poupée Gabby Gabby a développé une obsession malsaine pour la petite-fille de la gérante, elle désire absolument qu’elle l’adopte et l’épie en fantasmant sur leur vie ensemble. Elle refuse de se montrer avant d’être méticuleusement préparée, elle veut que tout soit parfait le moment venu. Evidemment, une passion si unilatérale n’aura pas la conclusion escomptée et Gabby Gabby n’atteindra la salvation qu’en faisant preuve d’une spontanéité désintéressée. Un beau personnage en somme s’éloignant judicieusement du conservatisme forcené de Papi Pépite et Lotso pour positionner en répondant idéal au parcours de Woody. Il en va de même pour Forky, être créé de toutes pièces par Bonnie avec l’entremise de Woody. Forky offre à Bonnie le réconfort que Woody ne peut lui procurer mais ne se voit lui que comme un déchet. A l’image de sa relation avec Buzz dans le premier film, Woody veut faire comprendre à Forky la valeur de son rôle de jouet. Par là, il ne peut que jauger ce qu’il n’est plus et comment son état actuel le rapproche du déchet.
On ne peut donc que déplorer la mise de côté de Forky pendant une grosse portion du film, son importance se réduisant au statut de prisonnier à délivrer. Cela dénote l’écriture bancale guidant le film. On est loin d’une articulation du discours aussi efficace et profondément émotionnelle que dans les épisodes antérieurs. Il suffit de voir comment le caractère glauque de Forky est globalement esquivé. Toy Story 4 a beau distiller son goût pour le cinéma d’horreur, il ramène son monstre de Frankenstein doublé d’un suicidaire compulsif à sa condition comique. C’est un ennui qui revient ailleurs comme avec le personnage de Buzz. Ce dernier est affublé d’un gimmick dont l’exécution pourtant très drôle se montre assez méprisante envers le protagoniste et le rabaisse au rang d’idiot (ce qu’il n’a jamais été hors de ses affabulations de ranger de l’espace). Ce qui est mieux que les autres jouets de Bonnie longuement laissé en plan, faute de leur avoir dégoter quelque chose à faire. Bref, Toy Story 4 souffre de déséquilibre et peine à explorer son histoire selon l’angle le plus pertinent et surprenant.
Alors ratage que ce Toy Story 4 ? Décevant si on le compare aux standards de la franchise mais clairement pas par rapport au paysage hollywoodien contemporain. Car même avec tous ses problèmes, il reste un divertissement plus réjouissant que 99% des blockbusters sortis depuis le début de l’année. On ne s’étendra pas le savoir-faire de l’animation toujours impressionnant et accompagné de perfectionnements techniques sidérants. A ce niveau, le fossé technologique entre Toy Story 4 et 3 est aussi ahurissant que celui entre le 2 et le 3. Les nouveaux personnages sont des créations hautes en couleur qui marquent les esprits, d’un duo de peluches incontrôlables (la prestation de Key & Peele rend le visionnage en VO obligatoire) à un cascadeur canadien trimballant son trauma en passant par des marionnettes ventriloques flippantes. Certes moins performant que ses aînés, on retrouve également son principe de renouvellement des motifs connus. En transformant la bergère en une équivalente de la Furiosa de Mad Max : Fury Road, le long-métrage dévoile encore un nouveau mode de vie alternatif pour les jouets mais avec une optique plus positive. Et si le film se dédie énormément à la comédie, il s’y attèle avec une énergie communicative. On citera par exemple la métamorphose d’une facilité d’écriture en un gag hilarant. Et le tout n’empêche pas aux moments touchants de prendre, nous faisant accepter cet énième nouveau départ qu’on souhaite bel et bien définitif.
Tout le plaisir pris devant Toy Story 4 ne donne pas le droit au studio de tirer plus sur la corde. Divertissante mais précaire dans sa mécanique, cette suite a poussé la franchise dans ses extrêmes limites. Un pas de plus et c’est la chute garantie. En conséquence, on se rassure de la décision de Pixar sous l’impulsion de Pete Docter de se reconcentrer sur des projets originaux. En espérant éviter un sempiternel retournement de veste.