A force de verser dans une politique sécuritaire de remake, on peut se demander quel film disposant d’un semblant de culte n’aura pas droit à sa relecture. C’est que doucement mais surement se construit une sorte de culture cinéphilique alternative. Rien d’étonnant que la sacro-sainte trilogie de science-fiction de Paul Verhoeven en fasse partie. Sous la tutelle du réalisateur de Troupe D’Elite, le remake de Robocop est en production et sortira l’année prochaine. La nouvelle adaptation de Starship Troopers est elle en cours d’écriture. Le producteur Toby Jaffe la promet déjà moins violente et plus patriotique en se cachant derrière l’argument « nous, nous serons fidèle au matériau originel » (une manière polie de dire que ses prédécesseurs sont des cons ignares). C’est d’ailleurs Jaffe, accompagné de l’inénarrable Neal H. Moritz, qui est à la barre du remake de Total Recall. Tout comme le discours relatif au space opera guerrier, la mise en place du projet mit en avant une volonté d’être plus fidèle à la nouvelle Souvenirs A Vendre de Philip K. Dick. Jouons un peu les idiots aveugles et l’habitude de voir les icônes du passé démolies par des relectures superficielles. Si on accepte d’avancer la carte du bénéfice du doute, l’argument de la fidélité peut laisser entendre un minimum d’intérêt. Pas pour la notion même de fidélité mais parce qu’elle sous-tend une réappropriation de l’histoire. Le développement du film de Verhoeven fut très long. Avant que le hollandais fou n’arrive aux commandes, une quarantaine de manuscrits sera développée. Ironiquement, le script final se basera sur la première monture. Il y a là la preuve qu’à partir du génial point de base offert par l’auteur de Minority Report, il existe moult manières d’envisager l’histoire.
Que Total Recall version 2012 souhaite se montrer plus proche de l’univers de Dick, c’est un fait s’établissant très rapidement. Dans la nouvelle, Mars était le théâtre d’une mission passée au centre des souvenirs du personnage principal. Cela restait un élément secondaire et on ne s’aventurait pas sur la planète rouge à l’inverse du film original. En faite, le remake choisit comme background un élément secondaire du long-métrage de Verhoeven. Dans ce dernier, la Terre connaît une guerre entre deux blocs. L’exploitation minière de Mars offre la matière première indispensable à sa poursuite. Le remake se fonde entièrement sur cette idée d’une planète divisée en deux nations : l’Union Fédérale Britannique des puissants et la Colonie des prolétaires. Une dissociation qui tend à reprendre les intrigues de complots politiques très courants dans l’œuvre de Dick, ce dernier ayant souvent imaginé un futur où la guerre froide se serait étendue à tout le globe. Mais tous ces éléments ne sont que des paravents vis-à-vis d’une relecture ridicule de la première adaptation.
En même temps, fallait-il en attendre autrement de la part de Len Wiseman ? Avec ses Underworld et Die Hard : Retour En Enfer, on ne se risquerait même pas à lui apposer l’étiquette de faiseur compétent. Pourtant, c’est bien à la lumière de son aventure de John McClane qu’on pouvait espérer un minimum d’amusement de la part du remake de Total Recall. Si il passait complètement outre les mécanismes et les principes qui ont fait toute la saveur de la trilogie, il torchait au bout du compte un produit lambda mais avec un certain dynamisme et des scènes d’action au moins marrantes. Bref, un sacrifice de la personnalité au profit de la distraction la plus basique pour samedi soir arrosé à la bière. Logiquement, il était prévisible que son Total Recall n’utilise sa « fidélité » que comme une caution de bonne conscience. Wiseman ne s’en cache pas et fonde intégralement son long-métrage sur un rythme frénétique. Action non-stop, pas de pause et un abattage constant de péripéties. Agréable ? Pas particulièrement non. C’est qu’en cherchant à ne jamais faire retomber la sauce, Wiseman omet complètement les bienfaits d’une exposition appliquée. Enchaîner les scènes d’action sans la moindre cohérence ne pose pas forcément de problème dans un cinéma d’action du type de Die Hard. Nous sommes dans un contexte contemporain où la frontière entre le possible et l’impossible (ou ce qui est crédible et ce qui ne l’est pas pour être plus exact) est assimilé. Lorsque l’on crée un monde futuriste, il n’en va pas de même. Il convient d’introduire les règles de son fonctionnement afin de percevoir la part de possible/impossible et donc de crédible/invraisemblable. Or, tout entier centré sur la nécessité de ne jamais relâcher le récit, Total Recall omet complètement cette notion d’introduction. Si un carton explicatif ouvre le film pour poser la relation politique entre les deux nations, le choix d’une telle exposition est un aveu de renoncement à toute narration élaborée. Par exemple, le héros traqué voit qu’il a un téléphone incorporé dans sa main. Est-ce exceptionnel dans le contexte du film ou pas ? On n’en sait rien sur le moment mais on admet que c’est normal jusqu’à ce qu’une bête réplique nous indique que c’est en fait une technologie rare.
A l’instar du déguisement du film original, on pourrait supposer que ce genre d’incursion de gadgets favorise la création d’un univers surprenant et suscitant l’étonnement, voir l’émerveillement. Mais cet enchaînement expéditif, sans chercher à introduire le sens de ces éléments, donne surtout l’impression d’un film gonzo, improvisant au fur et à mesure quelles idées pondre pour éviter que le spectateur ne s’endorme. Et si, lorsque les héros sont poursuivis, ils chopaient une voiture et fonçaient vers… pourquoi pas une autoroute à deux niveaux ? Et si, lorsqu’ils ouvrent une porte d’ascenseur, ils fuyaient à travers des cages qui vont de haut en bas mais aussi de droite à gauche… et puis si elles pouvaient même planer dans le vide ? En soit, toutes ces inventions ne sont pas forcément mauvaises. La plupart de ces séquences jouissent en effet de quelques jolies trouvailles dans la production design confiée à Patrick Tatopoulos. Les effets spéciaux ne sont pas en reste et donnent une certaine classe aux images. On peut même saluer le panache de certains plans imaginés par Wiseman. Mais cela ne sert pas à grand chose par rapport à son incapacité à les introduire correctement. Qu’aurait on dit dans le film de Verhoeven si le héros traversait le portique radiographique lors de la poursuite sans l’avoir vu l’emprunter une première fois ? Quelqu’un aurait-il compris l’utilisation du bracelet holographique si il ne l’avait pas utilisé avant la fin ? Total Recall next generation perd là sa crédibilité. Si le film n’arrive pas à transmettre correctement ses règles, tout mais surtout n’importe quoi est envisageable. Et si ce n’importe quoi est balancé à la face du spectateur sans ménagement, il n’y a plus lieu d’y croire.
En soit, on pourrait considérer que ce déchainement d’idées sans la moindre cohérence favorise le concept de trouble entre la réalité et le rêve. Si tout se bouscule si rapidement et avec si peu de logique ou de compréhension, pourquoi ne serait-ce pas à cause de l’imagination bouillonnante du héros ? Une hypothèse qui pourrait être sympathique mais tuée dans l’œuf. De par son rythme, le film ne prend jamais la peine de s’arrêter sur son propos. Dans le film de Verhoeven, deux séquences conditionnaient le discours sur la réalité. La première chez la société Rekall où un représentant exposait le fonctionnement du souvenir et se permettait ainsi de résumer les grandes lignes de l’intrigue à venir. La seconde plus incroyable où un professeur tentait de convaincre le héros qu’il est bien dans un rêve et brandissait en argumentaire le détail de tous les rebondissements du troisième acte. Deux scènes reprises ici mais dans un mode bien plus hasardeux. Le représentant de Rekall pousse rapidement à la consommation et prend juste la peine de lui introduire le fait qu’il travaillera pour les deux camps ennemis. Quant au passage décisif du choix entre le rêve ou la réalité, il élimine toute explication au profit d’une conversation hystérique où Quaid doit tuer l’objet de son fantasme (revirement pas con par rapport à la transformation en bad guy en chef de sa distante épouse). En soit, pourquoi ce comparatif avec le Verhoeven si comme dit en introduction le film choisit une autre voie ?
Et bien parce que Total Recall fait partie de ces remakes qui ont préféré conserver les blueprints plutôt qu’en créer de nouveaux. Au final, les scénaristes Kurt Wimmer et Mark Bomback (ça c’est un duo infernal) semblent surtout se référencer à l’absence d’ambiguïté de la nouvelle (omettant toutefois au passage la manière dont Dick finissait par se moquer des désirs devenus réalité de son héros). Verhoeven, lui, tenta de rendre le divertissement regardable sous l’angle du rêve ou de la réalité (choix cohérent par rapport à un divertissement qu’il veut léger mais avec des notions philosophiques). Or, pourquoi reprendre la structure si équilibrée du film original si c’est pour extraire tout l’intérêt que comportaient ses meilleurs moments ? On retrouve les mêmes courses-poursuites aux mêmes moments, les mêmes rebondissements aux mêmes moments et les mêmes personnages apparaissant aux mêmes moments. Même en choisissant un acteur au physique plus ordinaire comme Colin Farrell, Douglas Quaid est toujours un ouvrier alors que ce choix était uniquement dicté originellement par la carrure du colosse autrichien. Il n’y a donc qu’un décalque de l’original au premier degré glaçant et dont la quasi-absence de jeu sur la perception rend encore plus moribond. Son refus de se démarquer de l’original enfonce le film dans l’ennui. Enfin bon, la fille aux trois seins n’a au moins toujours pas trouvé de soutif à sa taille.
Réalisation : Len Wiseman
Scénario : Kurt Wimmer et Mark Bomback
Production : Original Film
Bande originale : Harry Gregson-Williams
Photographie : Paul Cameron
Origine : USA
Titre original : Total Recall
Date de sortie : 15 aout 2012
1 Comment
N’ayant pas vu l’original ni lu la nouvelle, je ne peux pas savoir si les louables intentions sont bien retranscrites à l’écran. Mais pris comme tel, Total Recall est un divertissement énergique et spectaculaire, certes peu novateur, mais jouissant d’une production design superbe. Quelques courses poursuites sont impressionnantes (les ascenseurs notamment) et le tout se suit sans désintérêt, même si l’univers semble familier.