Ne pas s’y tromper, donc : le vrai sujet caché de Time Out, c’est Andrew Niccol lui-même. Un cinéaste talentueux et hautement qualifié, mais qui, à force de vouloir sans cesse réitérer l’éclatant coup de maître de son premier long-métrage, en arrive à ne plus pouvoir se trouver comme cinéaste et à limiter l’exploitation de ses sujets à de la simple illustration. On se souvient des espoirs que Gattaca avait placé en nous : un sujet intelligent et universel (l’eugénisme), un concept de SF qui plaçait le curseur du temps très proche de notre époque, un scénario qui équilibrait émotion et réflexion avec un tact fabuleux, une réalisation splendide à tous les niveaux. Par la suite, on ne peut pas dire que Niccol ait fait mieux, si l’on en croit le didactisme poids lourd de Lord of War et le scénario très décevant du Terminal élaboré pour Spielberg. Ici, on sent sans arrêt que le bonhomme s’est lancé dans une entreprise de renaissance, afin de remonter une pente délicate. Et dès la première seconde du générique de début, ça ne rate pas, puisque l’influence écrasante de son premier film se fait à nouveau ressentir : lettres scintillantes qui s’affichent en décalé, zoom arrière progressif qui part de l’infiniment petit pour aller vers le visible à l’œil nu, exploration d’un futur où les classes sociales sont réparties en secteurs délimités, accès aux richesses par le scan d’un compteur temporel (ce qui remplace le dépôt sanguin de Gattaca), utilisation excessive des décors urbains de Los Angeles, love-story immédiate entre un nanti et une riche, fuite pour échapper à une milice évoquant une Gestapo futuriste, contestation d’un système pourri et sélectif, etc…
Les ressemblances se comptent par centaines, et on se surprendrait presque à passer l’essentiel de la projection à les recenser une par une. Sans compter un défaut de taille, qui constitue l’épicentre de la déception soulevée par le film : un scénario qui, certes, s’étire sur 1h50 sans le moindre temps mort (contrairement aux héros, on ne sent jamais le temps passer), mais parfois sans explorer correctement toutes ses pistes narratives. Qu’en est-il de cette figure tutélaire du père, dont l’absence restera un mystère plus ou moins dénué de toute explication ? Pourquoi cette société est-elle devenue ainsi ? Comment le temps s’écoule-t-il réellement sur ces compteurs dermiques, vu qu’on a souvent l’impression que ça descend ou que ça remonte sans justification précise ? N’y a-t-il pas de facteurs qui accentuent ou ralentissent cet écoulement ? Et vers quoi la scène finale, aux relents ouvertement marxistes, tend réellement à se diriger ? Le film était-il une parabole gauchiste tout ce qu’il y a de plus banale, ou un nouveau pamphlet à la Gattaca fustigeant les inégalités sociales ? A force de laisser trop de blancs au sein de son intrigue, on finirait par croire que Niccol n’a pas forcément eu carte blanche sur tout ce qu’il souhaitait faire (avec un studio comme la Fox, c’est une possibilité). En tout cas, les faits sont là. Et on regrettera aussi cette tendance au manichéisme et au manque de nuances, assez stupéfiante de la part d’un cinéaste connu pour sa profusion d’idées et de niveaux de lecture : avec ses héros angéliques et ses bad guys caricaturaux jusqu’au moindre rictus, Time Out fait preuve d’un cruel manque de finesse de la part de Niccol.
Pour autant, si l’on s’attriste de constater qu’Andrew Niccol n’est définitivement plus le cinéaste puissant dans lequel on avait placé tant d’espérances, il n’en reste pas moins un solide artisan. Aussi bancale soit-elle, cette quête d’émancipation compense la faiblesse de ses enjeux en s’orientant très vite vers un récit à la Robin des Bois, où la crise du temps se résume à prendre aux riches pour donner aux pauvres. L’idée, amusante au premier regard, s’avère judicieuse, puisqu’elle place le film dans une optique divertissante où la dynamique du récit prend le pas sur tout le reste. Dès lors, à travers des face-à-face au poker ou au flingue, et des scènes d’action placées à des ramifications précises du récit, Time Out se limite à un divertissement mené pied au plancher, fonçant tête baissée vers un objectif inconnu sans forcément savoir où le récit doit aller, ce qui lui confère paradoxalement une cohérence par rapport au sujet traité (la fuite en avant imprévisible des deux héros). Si on le prend sous cet angle en laissant de côté son cynisme et en acceptant la candeur sous-jacente des enjeux de son récit, le film parvient clairement à séduire. Côté acteurs, rien de particulier à dire : Justin Timberlake prend de mieux en mieux ses marques dans le registre du cinéma d’action, Amanda Seyfried s’est offert le look d’une héroïne d’un film de Luc Besson (tant mieux, elle n’a jamais été aussi sexy et désirable), Cillian Murphy nous refait le coup du méchant aux yeux bleus qui possède une âme derrière sa froideur apparente, et la belle Olivia Wilde provoque un léger fou rire dès la scène d’ouverture en incarnant la mère de Timberlake (c’est le concept qui veut ça, mais on s’habitue vite). Pas grand-chose de plus à rajouter sur Time Out : un bolide à l’esthétique séduisante qui fonce sans jamais s’arrêter, quitte à égarer une bonne partie de ses pièces détachées en chemin, et dont il vaut mieux ne rien attendre d’autre qu’un thriller relativement efficace. Le temps, c’est de l’argent ? Autant faire en sorte de pouvoir en savourer la moindre seconde, ce que le film sait offrir à condition de ne pas être trop exigeant.
Réalisation : Andrew Niccol
Scénario : Andrew Niccol
Production : Marc Abraham, Debra James, Andrew Niccol, Eric Newman
Bande originale : Craig Armstrong
Photographie : Roger Deakins
Montage : Zack Staenberg
Origine : Etats-Unis
Date de sortie : 23 novembre 2011
NOTE : 3/6