Lorsqu’un classique va être soumis à l’exercice du remake, la même question se pose toujours : faut-il immédiatement mettre en œuvre les préparatifs à une crucifixion ? Une question qu’on se pose d’autant plus lorsque le film concerné est un des summums du cinéma horrifique et du cinéma tout court. Comme tout un chacun, le remake de The Thing jouit du bénéfice du doute. On peut montrer une pointe d’enthousiasme lorsqu’on s’arrête sur le développement de la production qui, une fois n’est pas coutume, a été mis entre les mains d’une personne de talent. Bien que vous ne verrez nulle part son nom au générique, il faut ainsi savoir que Ronald Moore travailla sur les prémisses de ce The Thing nouvelle génération. Producteur et scénariste de séries télés, Moore semblait un choix audacieux pour un tel projet et promettait de grandes choses. Après tout, en refaisant à sa sauce la série Battlestar Galactica, il accoucha d’une des œuvres les plus passionnantes des années 2000 (bon courage d’ailleurs à Bryan Singer qui souhaite lui aussi réinventer la série pour en tirer un long-métrage après ce coup d’éclat). Les premiers échos provenant du traitement du Moore s’avéraient alléchants avec cette idée de concevoir une prequel autour de la base norvégienne que l’on découvrira en décombres chez John Carpenter. Pour ce dernier, ce choix permettait de construire une structure narrative différente de la première version réalisée par Christian Nyby et Howard Hawks en 1951. En citant par là Les Montagnes Hallucinées de H.P Lovecraft (où des scientifiques découvraient le campement d’un collègue détruit par des monstruosités issues des glaces), Carpenter offrait une sorte de suite tragique à la nouvelle Who Goes There ? de John Campbell. Par cette perspective de la préquelle, le remake cherche donc à la fois à effectuer un retour aux sources et une distinction par rapport à son modèle direct. Malheureusement, Ronald Moore quittera le navire pour des raisons demeurant obscures. Pour le remplacer, le studio a engagé Eric Heisserer. Il suffit de savoir que le bonhomme est déjà responsable de la déplorable relecture des Griffes De La Nuit pour se dire que ça va faire mal. Et effectivement, ça fait mal…
Si on aborde l’orientation initiale du projet, la première chose qui suscite l’intérêt est l’idée d’un casting entièrement constitué de norvégiens. En raison d’un grand public qui fuit comme la peste les sous-titres, on peut se demander comment cet aspect allait être géré. La solution est simple par l’incorporation de personnages américains dans l’histoire. Une facilité pour offrir un point d’ancrage à l’audience mais qui pouvait avoir une influence positive. En effet, la cohabitation de deux nationalités est intéressante par rapport aux systèmes de conflits qui vont devoir naître au sein du groupe. Alors que l’équipe commence à s’interroger sur qui est devenu une chose, ce choc des cultures pouvait devenir un instrument puissant pour établir la tension. Nul doute qu’il s’agit là d’un élément volontairement mis en place par Ronald Moore, Battlestar Galactica ayant longuement étudié les rapports et frictions entre divers clans. Malheureusement, tout ceci semble perdu au fil de piètres réécritures. Cette méfiance vis-à-vis de l’étranger ne voit le jour qu’au sein d’un dialogue et ne sera jamais vraiment exploité. Le problème du film est toutefois plus large puisque le drame de ce The Thing est de ne pas réussir à instaurer le même sentiment de paranoïa que son aîné. Les personnages exposent platement leurs doutes et on n’éprouve fondamentalement aucune peur ou soulagement quant à la révélation sur la nature de l’autre. Il y a par là bien sûr un gros souci de caractérisation des personnages. Chez Carpenter, il suffisait de quelques images pour s’attacher immédiatement à eux. Ici, les personnages n’arrivent pas à vivre et se montrent fade par leur absence de caractéristiques au-delà des stéréotypes qu’ils incarnent. C’est d’autant plus frustrant que le film offre un beau casting de trognes qui ne demandent qu’à avoir un rôle à défendre.
Cette nouvelle version ne joue plus sur un suspense redoutable mais sur un sensationnalisme de bas étage. On gardera certes longtemps en mémoire les effets chocs de Carpenter lorsqu’il fait apparaître les ahurissantes créatures conçues par Rob Bottin. Mais ceux-ci s’inscrivaient au sein d’une logique narrative brillante cultivant les relations entre les personnages. Des relations ici soporifiques puisque juste traitées comme des passages obligés (le contrôle des plombages remplaçant le test sanguin est d’un ridicule achevé) avant les irruptions d’horreur. Le film joue ainsi la carte de la grosse artillerie en montrant une créature qui fonce dans le tas en absorbant tout ce qui lui passe par la main. En ce sens, on perd encore une des particularités du film original. Acteur principal de celui-ci, Kurt Russell déclara à l’occasion d’un commentaire audio qu’il est envisageable d’interpréter le long-métrage selon le point de vue de la chose. En gros, il s’agirait de voir le comportement d’un animal qui tente de survivre dans un environnement inconnu et hostile. En ce sens, la créature cherchait avant tout à se camoufler et se dévoilait uniquement lorsqu’aucune autre option n’était envisageable. Le remake semble lui s’en être arrêté au stade de la créature primitive qui veut tuer tout le monde, ce qui tend le film vers le plus banal monster flick. Les excuses pour les apparitions de la créature sont ainsi d’une bêtise stupéfiante et surtout d’une prévisibilité confondante. En jouant pleinement sur un sentiment de paranoïa, Carpenter rendait imprévisible les apparitions de la chose. Ici, elle met en œuvre des stratégies tellement grossières pour assurer sa survie (alimenter la haine entre les humains ou isoler une personne un peu trop perspicace) qu’on devine rapidement qui est contaminé. On attend plus alors avec un ennui poli que la créature se dévoile enfin devant cette bande de fieffés imbéciles.
Admettons au moins que les dites créatures s’avèrent bien exécutés. Confiées à Alec Gillis et Tom Woodruff Jr (collaborateurs réguliers sur la franchise Alien), les bestioles se montrent assez impressionnantes que ce soit pour leurs apparences (fidèle aux formes grotesques influencées par les écrits de Lovecraft) ou leurs techniques (maquillages absolument brillants). Et en dépit de son orientation vers l’action, le réalisateur Matthijs Van Heijningen Jr. sait tenir une caméra et exploiter son format cinémascope. En soit, on trouvera même au sein du script des détails provoquant l’indulgence dont notamment la fin. On se souvient de celle, apocalyptique, de Carpenter. Après avoir détruit la base et toutes les créatures, les deux derniers survivants se font face en s’échangeant une bouteille d’alcool sans savoir si l’un est une chose ou non. Dans tout les cas, cela n’a plus d’importance. Dans ces ruines en flamme, ils se montrent désormais résignés à mourir face à cette force supérieure qu’ils ne peuvent définitivement pas vaincre. La fin de ce remake tente de retrouver un peu de ce désespoir lorsque l’héroïne exécute un dernier acte qui ne lui abordera aucune solution. Une seule certitude sur son visage apparaît lors de l’ultime plan. Alors que la chose survit en faisant sien chaque être qui l’entoure, l’homme ne survit pas par la solidarité mais par la destruction de l’autre.
Mais tout ceci paraît bien mince face à un spectacle se contentant du désormais habituel service de fan boy (la séquence du générique permettant le lien entre les deux films s’avère une formalité exécutée sans aucune joie). C’est définitivement le drame de ce film et même de toute une frange de l’industrie cinématographique actuelle cherchant à se faire déférents envers leurs modèles mais montrant finalement qu’ils n’ont pas été capables de les comprendre.
Réalisation : Matthisj Van Heijningen Jr.
Scénario : Eric Heisserer
Production : Strike Entertainment
Bande originale : Marco Beltrami
Photographie : Michel Abramowicz
Origine : USA
Titre original : The Thing
Date de sortie : 12 octobre 2011
NOTE : 1/6
1 Comment
Ils nous ont niqué The Thing….Carpenter violé! Carpenter outragé! Carpenter brulé! Carpenter sacrifié!
Who's next?