REALISATION : Juan Antonio Bayona
PRODUCTION : Apaches Entertainment, Telecinco Cinema, Institut Valencia de Cinematografia, La trim…
AVEC : Naomi Watts, Ewan McGregor, Tom Holland, Samuel Joslin, Oaklee Pendergast, Geraldine Chaplin…
SCENARIO : Sergio G. Sánchez
PHOTOGRAPHIE : Oscar Faura
MONTAGE : Elena Ruiz, Bernat Vilapana
BANDE ORIGINALE : Fernando Velázquez
ORIGINE : Espagne, Etats-Unis
GENRE : Drame, Catastrophe
DATE DE SORTIE : 21 novembre 2012
DUREE : 1h47
BANDE-ANNONCE
Synopsis : L’histoire d’une famille prise dans une des plus terribles catastrophes naturelles récentes. The Impossible raconte comment un couple et leurs enfants en vacances en Thaïlande sont séparés par le tsunami du 26 décembre 2004. Au milieu de centaines de milliers d’autres personnes, ils vont tenter de survivre et de se retrouver. D’après une histoire vraie.
Avec L’Orphelinat, Juan Antonio Bayona ne signait pas juste un excellent film fantastique au sein d’un cinéma de genre espagnol si inspiré. Il proposait surtout un étalage de son extrême maturité de metteur en scène. En effet, il était stupéfiant de voir un tel déploiement de rigueur et de connaissances des outils cinématographiques pour un premier long-métrage. Si l’étape du second film est toujours attendue, elle l’était donc doublement dans le cas de Bayona. Une certaine voie semblait se dessiner lorsqu’il fut annoncé en lice pour la réalisation du troisième volet de la franchise Twilight. C’est fort heureusement un autre chemin que Bayona choisira, laissant David Slade s’embourber avec ces histoires de vampires végétariens. Quitte à s’investir à fond dans un projet, autant qu’il vaille le coup. Ainsi prend forme The Impossible, reconstitution du tsunami en Thaïlande de 2004. Un sujet ambitieux dont l’imposante logistique réclamera près de deux ans de préparation. Car il est hors de question d’abuser du recours au CGI, à commencer par la pièce maîtresse attendue du film : la vague meurtrière. Considérant que l’eau numérique ne sera jamais assez réaliste, la production s’emploiera à mettre au point des moyens physiques colossaux pour restituer l’horreur de la catastrophe. Toutefois, ce souci du réalisme est à prendre pour ce qu’il est. A savoir un outil au service de l’émotion du spectateur.
Les premières secondes du film sont des plus traditionnelles. Un carton rappelle l’origine et la dimension de la catastrophe auquel suit l’inévitable accroche « basé sur une histoire vraie ». Alors que la phrase disparaît, les deux mots « histoire vraie » restent en suspension quelques instants supplémentaires. Il serait facile d’attaquer d’emblée une méthode servant apparemment à nous rappeler que ce que l’on voit est réel et donc inattaquable. A posteriori, il s’agissait surtout d’une note d’intention et de nous préparer à ce qui va suivre. Il convient ainsi de noter que le film n’opte pas pour l’autre formule type du genre « basé sur des faits réels ». En laissant en suspens le terme « histoire vraie », Bayona laisse clairement entendre ce qu’il fait : raconter une histoire. Bien que celle-ci ait un pied dans la réalité, il doit utiliser la fiction pour restituer l’essence d’une vérité et non celle-là même. En tant que cinéaste, il ne peut juste se contenter de reconstituer des faits, de donner une approche documentaire de la catastrophe, d’en offrir une reconstitution exhaustive mais neutre. La majeure différence entre faits réels et histoire vraie provient de ce dernier point. Les faits sont neutres alors que les histoires appellent un point de vue.
La structure du film et sa force proviennent entièrement de sa maîtrise du concept du point de vue. Lorsque la première bande annonce fut diffusée, il a été possible d’entendre ici et là quelques râlements sur un énième drame centré sur des riches touristes occidentaux et non sur les communautés locales. Pour autant, le choix d’un tel point de vue ne tient aucunement d’une vision égocentrique du monde où tout va bien tant que la petite famille aisée s’en sort. Au contraire, c’est par ce point d’ancrage que Bayona révèle la vision générale et universelle de son propos. En ce sens, il évite le piège inverse qui serait de critiquer sévèrement une famille prétendument angélique mais pourrie de l’intérieur. L’introduction pose en ce sens un cadre assez défini des personnages et de leurs enjeux. L’ouverture du film comprend en fond sonore de sourds sons marins s’amplifiant petit à petit. Le silence se fait alors que se dévoile un plan aérien. Ce silence est brisé par le ronflement d’un avion traversant le cadre. Le travail sonore crée un lien illusoire mais prenant entre la catastrophe à venir et un contexte potentiellement aussi dangereux. Ballotté par des turbulences, l’avion pourrait très bien perdre le contrôle et se crasher. Plus qu’être prémonitoire, cette scène permet de dévoiler les attitudes des personnages dans une situation pourtant à deux doigts de dégénérer. Absence de confiance (le père ne croie pas sa femme lorsqu’elle lui dit qu’elle a mit l’alarme), pas de solidarité (l’un des enfants refuse d’être assis à côté de son frère) et une communication proche du néant (les quelques mots échangés entre la mère et son fils)… Bref, ils ne se montrent pas vraiment soudés. N’hésitant pas à user d’illustrations pertinentes (l’approche du cocon familial passe par un livre qui perd une page), Bayona montre les failles de la famille mais ne noircit pas le trait avec excès. En ce sens, l’introduction est assez expéditive et on arrive très rapidement à la catastrophe. Face à l’inimaginable, les personnages reviendront alors instinctivement à des notions de confiance et de solidarité. Si l’impossible du titre peut se voir comment la fin d’un monde rêvé et factice, la brièveté de la première partie rappelle qu’il ne s’agit que d’une seule des significations que l’on peut y trouver.
Impossibilité d’imaginer une telle catastrophe, impossibilité pour les êtres aimés de se réunir, impossibilité de savoir par-delà ce qu’on ne voit pas… C’est avec une grande justesse que se dévoile ce propos lors de l’apparition éclair de Geraldine Chaplin en synthétisant ce sentiment d’ignorance et d’espoir. Une séquence un peu tardive par rapport à tout ce qu’elle soulève mais qui ne pouvait trouver d’autre place pour satisfaire au travail narratif choisi. Comme dit plus haut, tout fonctionne sur l’idée de point de vue. Que ce soit narrativement ou visuellement, Bayona embrasse le regard de ses personnages sur l’événement et toutes les émotions que celui-ci véhicule. En choisissant de suivre un personnage plutôt qu’un autre, il peut ainsi pleinement nous faire partager le choc d’une disparition hors-champ et inexplicable. De même, le climax montre une somme de points de vue incapables de se croiser alors que le spectateur perçoit le tableau d’ensemble. En redonnant à cet instant la place de dieu privilégié à son spectateur, le réalisateur offre par ce suspense final une conclusion logique à son récit. Car si le film opte pour une vision, il ne néglige pas qu’il ne s’agit uniquement que d’une parmi tant d’autres. L’une des scènes les plus poignantes se situe à la fin lorsque les personnages contemplent les stigmates de leurs périples. Celles-ci ne leurs sont pas seulement propres mais impliquent tout un lot de destins liés par l’événement (une goutte dans l’océan comme semble dire le plan final). Si la caméra est souvent au niveau des acteurs, Bayona se permet par moments des envolées de mise en scène les resituant au milieu du tableau général. Cela peut être un mouvement de grue illustrant la quête du père au milieu des innombrables cadavres ou un travelling isolant un enfant dans l’enfer hospitalier.
En ces instants, Bayona dévoile l’ampleur de l’événement mais n’oublie jamais qu’il lui faut avant tout revenir à son histoire. Et si le pathos n’est jamais bien loin (la faute à une musique et ses violons larmoyants), l’expérience demeure avant tout une aventure humaine troublante et poignante.