REALISATION : Michel Hazanavicius
PRODUCTION : La Petite Reine, Orange Studio…
AVEC : Jean Dujardin, Bérénice Bejo, John Goodman, James Cromwell, Penelope Ann Miller…
SCENARIO : Michel Hazanavicius
PHOTOGRAPHIE : Guillaume Schiffman
MONTAGE : Michel Hazanavicius
BANDE ORIGINALE : Ludovic Bource
ORIGINE : France
GENRE : Drame, Noir & blanc, Muet
DATE DE SORTIE : 12 octobre 2011
DUREE : 1h40
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Hollywood 1927. George Valentin est une vedette du cinéma muet à qui tout sourit. L’arrivée des films parlants va le faire sombrer dans l’oubli. Peppy Miller, jeune figurante, va elle, être propulsée au firmament des stars. Ce film raconte l’histoire de leurs destins croisés, ou comment la célébrité, l’orgueil et l’argent peuvent être autant d’obstacles à leur histoire d’amour.
Retrouvez notre dossier consacré au festival de Cannes 2011
Puisqu’il sera question de retour aux sources avec The Artist, autant faire l’exact opposé dans un premier temps, en restant arrimé au présent, histoire de faire un peu le bilan et de s’attacher à la question majeure qui, on n’en doute pas, doit être le sujet de réflexion favori de tous les spécialistes du 7ème Art : qu’est-ce que le cinéma peut encore apporter de nouveau ? En quoi le médium peut-il être redéfini ? Quelle nouvelle recette faut-il inventer pour que le public continue d’investir les salles obscures ? A ces questions délicates auquel il est peut-être impossible de trouver une réponse définitive et unanime, les cinéastes ont tenté de répondre par une succession d’innovations technologiques, lesquels n’auront jamais cessé d’être reprises et retravaillées, chacune en amenant une autre de façon à définir une véritable chronologie du médium filmique. L’apparition du cinématographe, l’illusionnisme comme outil d’inspiration pour les premiers effets spéciaux, le surgissement progressif du son, la domination définitive du cinéma parlant, l’usage de la couleur, la création de nouveaux formats d’image et de cadre, l’apparition de techniques immersives (3D, Odorama, Sensorama, etc…), l’opposition réalisme/esthétisme, la Nouvelle Vague, les trucages numériques, le son digital, le HD, etc…
C’est la loi du monde : une innovation est faite pour qu’une autre la supplante, afin que le cinéma conserve un statut d’art technologique en perpétuelle mutation. Et aujourd’hui, à l’heure du streaming et des films gratuits grâce à la magie d’Internet, c’est visiblement à la 3D que l’avenir de la salle obscure semble plus ou moins destiné. Une idée controversée qui semble d’ailleurs sur le point d’être rejetée, si l’on en juge les avis de plus en plus négatifs entourant les projections de films en relief et la lassitude qui parcourt un grand nombre de spectateurs. Mais une autre tendance est apparue récemment, appelée le high-concept : une idée de scénario originale, mise en scène en un temps record avec très peu de moyens, dont la rentabilité se voit assurée par une campagne marketing misant sur les sélections en festival et le buzz sur Internet. Ne manque alors plus qu’un film tourné en un seul plan-séquence avec un appareil photo, deux acteurs et le budget café-croissants d’un film de Luc Besson, et on aura la totale (en vérité, ce film existe déjà : il s’appelle The silent house, et il est sorti cette année en salles). Et comme les concepts se caractérisent souvent par une ambition démesurée, on n’est jamais à l’abri d’une surprise colossale. Film français le plus attendu de cette fin d’année, The Artist en est clairement une, même si son concept n’est pas du genre à susciter un désir d’innovation, mais plutôt à opérer un retour nostalgique vers les origines du cinéma.
La nostalgie : voilà bien l’idée à conserver en tête pour essayer de percevoir l’attachement profond qui peut souvent s’opérer entre un spectateur et le 7ème Art. En cela, la sélection récente de The Artist en ouverture du festival Lumière à Lyon était un signe évident : conçu il y a près de trois ans par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier, ce festival n’a jamais eu comme autre objectif que de vouloir embraser différentes visions du cinéma, opérer une connexion émotionnelle avec un cinéma dit « classique », et redonner à certaines œuvres plus ou moins oubliées la place qu’elles n’ont peut-être jamais eu. Et notamment, des œuvres dont la pureté ne se résume pas en terme d’innovation ou de révolution (du moins, pas forcément), mais davantage à partir des sensations qu’elles dégagent, de l’importance du travail artistique qui y fut opéré et de toutes les spécificités qui en faisaient au bout du compte des œuvres majeures. C’est justement à ce processus d’identification que le film de Michel Hazanavicius invite le spectateur : en aucun cas une régression artistique visant à tout recommencer à zéro, mais avant tout une perception, à la fois intime et cinéphile, de ce qui a toujours constitué la base du langage cinématographique, à savoir sa mise en scène et son incroyable pouvoir de fascination. Une idée qui, depuis quelques années, semble être minoritaire, si l’on en croit la prédominance d’un cinéma d’auteur sursignifiant (les exceptions sont toutefois plus nombreuses qu’on ne le croit) et le manque d’implication des producteurs dans des projets risqués qui pourraient apporter un autre regard sur le cinéma.
Là-dessus, pas de doute : dans la catégorie des projets suicidaires, The Artist décroche sans difficulté une place sur le podium. Pensez donc : à l’heure où l’image numérique, le son digital et le filmage en relief semblent être devenus la base du cinéma moderne, voilà qu’un cinéaste, un producteur et un acteur, tous amoureux du cinéma des origines et désireux de lui rendre le plus beau des hommages, se lancent dans un projet de film entièrement muet, filmé en noir et blanc et en format 4/3, avec un casting franco-américain, un tournage dans les studios mythiques d’Hollywood (notamment la Warner) et une seule piste sonore dédiée à une impressionnante musique orchestrale. Une vraie mise en perspective des choses à l’heure où la technique n’en finit plus d’évoluer et de se réinventer ? Bien sûr, mais aussi une définition de ce qu’il est convenu d’appeler le cinéma « expérimental » : une véritable expérience de laboratoire dont l’un des fondements (facultatifs, néanmoins) est d’opérer un retour à la simplicité, à cet art si pur et si simple qu’il en devient d’une limpidité aveuglante. Du coup, quand le cinéma muet s’invite en revival nostalgique et inattendu du cinéma des origines, les paroles s’envolent et la mise en scène reprend le pouvoir. Et ce qui n’aurait pu être qu’un exercice de style se transforme sous nos yeux en pure merveille.
Le film prend donc place au cœur du Hollywood des années 20, en suivant le passage décisif du muet au parlant, avec la crise financière en toile de fond et les nombreux bouleversements artistiques qui prendront alors place au cœur de la Mecque du cinéma. Avec un postulat pareil et une volonté affichée de rendre hommage au cinéma d’antan, il était évident que Michel Hazanavicius, déjà auréolé du succès colossal des deux meilleures comédies françaises de ces trente dernières années (les deux OSS 117, monuments absolus d’audace, de décalage et de subversion), n’allait pas manquer de se livrer au jeu des références, piochées dans chaque coin du cadre ou dans la moindre expression de visage. Ainsi donc, cette histoire évoquant la transition difficile entre deux formes de cinéma rappelle indéniablement celle de Chantons sous la pluie, le parcours victorieux d’une jeune ingénue vers la célébrité n’est pas sans évoquer la Judy Garland d’Une étoile est née, les similitudes entre le déclin du héros et celle de Charles Foster Kane sont frappantes au détour de quelques plans, et on pourrait même effectuer un parallèle avec le récent Chico & Rita, à propos de cette histoire d’amour tourmentée à cause des aléas de la célébrité. Sans compter les mille et une idées de cadres et de plans qui constituent d’habiles réminiscences à un art dont le film d’Hazanavicius se veut à la fois le témoin et le mémorial.
Reste que la grande réussite du film est de ne surtout pas se limiter à cela : non content de nourrir l’intrigue de séquences faisant référence à tout un pan du cinéma hollywoodien, le cinéaste conçoit sa narration avec une maestria rare, donnant à l’enchaînement des scènes une limpidité saisissante et ne perdant jamais de vue les enjeux humains qui en sont à l’origine. En cela, le destin de George Valentin (Jean Dujardin), énorme star du cinéma muet menacée de tomber dans l’oubli suite à l’apparition du cinéma parlant, devient le symbole d’un monde en transformation, mis en parallèle avec la naissance d’un amour déchirant, lequel va se retrouver compromis dès que la belle Peppy Miller (Bérénice Bejo) va gravir les échelons du succès. En outre, si le cinéma parlant trouvait un écho grandiose dans un film comme Chantons sous la pluie, où Stanley Donen usait de fabuleuses trouvailles sonores et humoristiques pour jouer sur le décalage entre muet et parlant, la tâche s’avérait délicate avec The Artist, dans le sens où le film était censé être muet du début à la fin et étant donné que le son ne devait être qu’un élément de l’intrigue, non pas un élément du film en soi. Décidément génial dans ses capacités à ne surtout pas tomber dans les pièges, Hazanavicius élabore une astuce divine : l’apparition du son sera ici avant tout un élément de terreur pour George Valentin, le coupant de la liberté offerte par son espace scénique silencieux (le voilà qui, au cours d’un cauchemar, entend les sons du quotidien et les paroles des gens aux alentours), et la toute dernière scène du film, réconciliant le muet et le parlant dans un genre aussi populaire que la comédie musicale, verra le retour du son et de la parole uniquement dès lors que le tournage d’une scène s’interrompt et que la fiction laisse place au réel. Ultime coup de génie d’un cinéaste brillant, autant à l’aise pour capter le simulacre provoqué par la mise en scène que pour orchestrer la mise en scène de ce simulacre.
Les idées de mise en scène surgissent alors à chaque plan du film, puisque la parole, de nouveau réduite au rang d’outil anecdotique, laisse le champ libre au visuel et au son. D’emblée, l’utilisation des cartons s’avère limitée au minimum (seuls les dialogues utiles à la narration sont affichés, le reste est laissé sous silence) afin de n’en faire sortir que les meilleurs ressorts comiques, le format 4/3 rétrécit le champ visuel en se focalisant sur l’essentiel, le jeu sur les échelles de plan et les plongées/contre-plongées offre aux meilleures scènes une vraie puissance émotionnelle (voir ce plan symbolique sur un escalier où se retrouvent les deux héros, l’homme déchu étant en train de descendre, la femme célébrée grimpant les marches du studio), les artifices sont mis au service de l’intrigue (et non l’inverse) et l’affranchissement total du film envers les modes renforce la suprême intelligence du projet. Sans compter le symbolisme que génère cette bouleversante intrigue d’une star déchue et égotique, ne jurant que par le mimétisme et la pantomime, considérant le parlant avec condescendance sans se rendre compte du désastre qui l’attend, progressivement bloquée dans sa propre époque sans pouvoir se projeter dans le futur, et de plus en plus délaissée suite à l’échec intégral de sa propre autoproduction muette (une version narcissique des Chasses du comte Zaroff dont l’intrigue préfigurait déjà le début de sa chute). Dès lors, au cœur d’un instant de déchéance absolue qui renvoie instantanément à Citizen Kane, Georges Valentin n’est plus qu’une ombre fluctuante, coincée entre l’écran blanc et le projecteur. Une ombre qui menace de s’enfuir, de disparaître pour de bon, de tomber dans l’oubli pour toujours. Mais l’amour, l’admiration de ses fans (et surtout de celle à qui il a fait confiance des années auparavant) et la détermination à sortir de l’obscurité suffiront in fine pour le faire revenir vers la lumière…
Pour donner vie à cette incarnation d’un autre âge, capable de déchaîner une palette d’expressivité quasi infinie et de développer un sens du burlesque qui touche au faramineux, qui pouvait-on espérer de mieux que l’ami Jean Dujardin ? Véritable cador de l’expressivité et du rythme, capable de varier son registre comique et dramatique en un froncement de sourcil, et déjà doté à la base d’un faciès évoquant aussi bien celui de Douglas Fairbanks que celui de Sean Connery (il n’a pas joué OSS 117 par hasard !), la star la plus bankable du pays de Molière trouve ici le meilleur rôle de sa carrière. Rien que la fameuse scène des prises ratées, placée très judicieusement en début de métrage, suffit amplement à expliquer en quoi Dujardin méritait son Prix d’Interprétation à Cannes : une scène à tourner, une action à répéter (une danse, un apprivoisement, une rencontre), quatre ou cinq façons différentes de jouer l’humour, la légèreté, la sympathie, la décontraction, le mystère et la prise de pouvoir d’un espace scénique. Avec tout cela, ce maestro complet a désormais de quoi côtoyer Peter Sellers et Sacha Guitry au Panthéon des plus grands acteurs comiques de l’Histoire. Et face à lui, Bérénice Bejo s’avère sidérante par son naturel et son image de femme-enfant au charme évident, évoquant très fréquemment la fantaisie piquante d’une Debbie Reynolds, et fait preuve d’une force d’expressivité que l’on aurait jamais soupçonné chez elle. Le reste du casting est au diapason, entre cadors impériaux (John Goodman en mogul à gros cigare, James Cromwell en domestique loyal…) et caméos amusants (Ken Davitian, Missi Pyle, Malcolm McDowell…).
De toute façon, ce que l’on pourrait retenir de The Artist serait trop long à dire et à expliquer, et trop en révéler serait un acte de traîtrise envers tous ceux qui n’ont pas encore découvert ce classique instantané. On se contentera donc de croiser les doigts pour que le succès soit au rendez-vous en France (ainsi qu’aux Etats-Unis, puisque les frères Weinstein, totalement conquis par le film, font désormais tout pour lui ouvrir les portes des Oscars), pour qu’une telle réussite enclenche une vraie mécanique de réflexion sur l’état actuel du cinéma et la suprématie définitive de la mise en scène, et pour que nos producteurs hexagonaux se remettent à envisager de vrais projets ambitieux et risqués plutôt que des comédies-burgers à consommer vite fait. Le retour aux sources procuré par ce chef-d’œuvre s’avère si fort, si bouleversant, parfois même au-delà des plus grands films muets que l’on peut conserver en mémoire, qu’une analyse critique s’avère finalement inutile. The Artist, ce n’est que ça : de l’émotion, du bonheur, du plaisir à l’état pur. Un film qui redéfinit totalement notre rapport au cinéma. Un film qui prouve à la puissance mille pourquoi le 7ème Art reste le plus beau et le plus effervescent du monde. Et surtout un film qui, au sein d’une intrigue finalement tout ce qu’il y a de plus simple, fait persister une émotion que peu de films savent aujourd’hui appréhender aussi bien. On s’évade, on voyage dans le passé, on renoue avec la nostalgie qui habitait les débuts de notre art préféré. On sent en permanence la magie d’une époque désormais révolue, on la voit renaître devant nos yeux comme si c’était hier, et on a clairement l’impression d’y être. Pourtant, ici, tout est faux, tout n’est que simulacre, tout n’est que mise en scène. Le cinéma est définitivement plus beau que la vie.
2 Comments
Plutôt convaincu par le film, même si l'association quasi systématique "film muet en n&b" et "vrai cinéma" commence déjà à lui desservir. Quitte à accoucher d'un scénario aussi simpliste (meastria de la narration c'est vite dit, il y a quand même des longueurs, et le film cache très mal ses intentions), j'aurai préféré une mise en image beaucoup plus surréaliste et poétique. Reste un Jean Dujardin fascinant et une Bérénice Béjo plutôt convaincante quand elle ne sourit pas comme une idiote pour donner dans le burlesque. A féliciter aussi l'audace d'Hazanavicius et surtout des producteurs. Mais l'objet filmique aurait pu être autrement plus intéressant…
Ah et au passage : "trop en révéler serait un acte de traîtrise envers tous ceux qui n’ont pas encore découvert ce classique instantané"
Alors pourquoi tu spoiles les meilleures idées de mises en scène jusqu'au final du film ?
Dujardin n'a pas volé son prix d'interprétation.
Et le film fonctionne très bien, style, rythme, richesse, des moments de mise en scène qui rappelle l'Opéra…
Touchante notamment cette scène des escaliers, où elle est montante et lui descendant, avec, chez lui, des regards émus, chargés, dignes d'un Chaplin et chez elle un jeu de bras, bien "d'époque"…
Pour beaucoup de scènes, on se dit "bien vu", on sent qu'elles sont le fruit de profondes études et d'intentions précises, chargées de culture… on a envie de les étudier, de les faire étudier, de les décortiquer, comme on le fait si souvent pour des scènes de films d'Hitchcock.
En même temps, le film ne reste pas dans l'imitation des films muets, il leur rend hommage, mais a aussi ses moments de modernité, du genre le sprint et le dérapage contrôlé de Peppy à l'hôpital, une gestuelle qu'on ne voyait pas en 1929, surtout chez les femmes.
Très bonne idée aussi le chien, ça caractérise mieux le personnage et ça donne à Georges Valentin un petit côté Tintin ou Obélix, et l'impression qu'on a déjà vu plein de films avec lui, de même qu'il y a plein d'albums de Tintin… on se sent presque habitué à ses films, à cause de ce petit chien fidèle.
http://www.aucland.fr/ImagesAnnonces/86660_Big.jp…
Et après une semaine bien pleine de beaux N&B restaurés au Festival Lumière, on savoure encore plus.
La musique est très lyrique, elle aussi pleine de clins d'yeux… mais très adéquate.