REALISATION : Pierre Vinour
PRODUCTION : Les Enragés, Tecumseh Works
AVEC : Philippe Nahon, Catherine Wilkening, Clément Sibony, Marie-Anne Mestre, Philippe Vuitteney, Brigitte Barilley, Guy Jacques, François Berland, Charlotte Schioler, Jacques Serres
SCENARIO : Pierre Vinour, Pascal Mieszala
PHOTOGRAPHIE : Pierre Vinour, Eric Weber
MONTAGE : Valentin Baillet, Sylvain Leduc
BANDE ORIGINALE : Cyrille Dufay
ORIGINE : France
GENRE : Drame, Expérimental
DATE DE SORTIE : 8 octobre 2003
DUREE : 1h29
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Parti en ballade sur un plateau d’altitude du Massif Central, Simon Peyrelevade, le Garde des Sceaux, marche vers le lieu où il a décidé de se suicider. Au dernier moment, le revolver sur la tempe, il se rétracte et reprend sa route. Soudain, il est assailli par une pluie de météorites qui le blessent grièvement et le plongent dans un profond coma. Une fois réveillé, il vit en proie à des visions. Seule Gloria, docteur spécialisé dans les expériences de mort approchée, semble pouvoir l’aider à reconstituer sa mémoire…
Une « supernova » ? Pour paraphraser la voix off qui ouvre et clôture le premier long-métrage de Pierre Vinour, disons que c’est comme une grosse étoile qui, fatiguée d’évoluer, explose en provoquant une lueur incroyable dans le cosmos et balance ses propres restes dans le vide sidéral sous forme de météorites. C’est évidemment une métaphore, mais à double sens : la supernova est ici un homme au bout du rouleau qui veut se suicider (avant d’y renoncer au dernier moment), mais la météorite, cette « petite poussière d’étoile d’à peine cinq grammes », est aussi ce qui lui tombe sur la tête après coup, le plongeant dans le coma avant de lui imposer une étrange quête intérieure. Concrètement, Supernova [Expérience #1] se veut le prolongement d’un court-métrage très remarqué et multi-primé intitulé Millevaches [Expérience] dans lequel le réalisateur Pierre Vinour tissait déjà le fil directeur de son cinéma : oser une approche expérimentale au sein du plateau de Millevaches pour questionner le rapport au monde d’un individu prisonnier de ses obsessions. En l’occurrence un ministre, Simon Peyrelevade (Philippe Nahon), qui quitte soudain son quotidien d’animal politique pour celui d’ermite du Massif Central – territoire des origines du réalisateur. Marcher sur les reliefs, respirer le grand air, essayer de renouer les liens avec son fils, ressasser les vieux souvenirs… Le retour à la réalité, donc, loin du monde matériel et du brouhaha urbain ? Faux, car Pierre Vinour n’est pas Jean Becker : aborder le retour aux sources n’implique pas chez lui d’adhérer à la philosophie Herta ou même de flatter les particularismes régionaux qu’affectionne tant le JT réac de Jean-Pierre Pernaut. La parenthèse qui s’invite dans le titre du film est un indice : nous sommes ici au sein d’une expérience, dont le principal enjeu consistera à déterminer qui en est vraiment le sujet d’étude.
Dès les premiers plans, le caractère expérimental du film nous renvoie fissa à un certain cinéma hexagonal aussi introspectif que radical dont Gaspar Noé fut l’un des fers de lance à la fin des années 90. On ne songe pas au cinéaste de Seul contre tous pour rien : voir Philippe Nahon en vieux quinquagénaire frustré et mutique qui se colle un flingue sur la tempe a désormais valeur de clin d’œil inconscient, et le générique de début, constitué de noms bruts griffonnés à la craie sur des murs, n’est pas sans rappeler celui qui ouvrait Irréversible. La comparaison s’arrêtera toutefois là, tant Vinour aborde la fiction selon un principe sensoriel et onirique dont très peu de cinéastes – de David Lynch à Philippe Grandrieux – ont su se réclamer à juste titre. Sans recours constant à la voix off, il déploie ici un fulgurant travail visuel et sonore dans le but de bâtir un subjectif des nombreux feelings de son protagoniste. Au détour d’un dialogue, ce dernier ne cache rien de ce qui nourrit son rejet des responsabilités et son désir de liberté : « Ne laissez à personne le soin de vous représenter. Ne déléguez pas votre imaginaire et vos envies ». Cette obstination à se ressourcer à l’imaginaire et aux sensations est pile poil ce qui anime Vinour dans ses choix d’esthétisme et de découpage. De façon générale, il serait trop facile de crier au néant artistique face à une image granuleuse à l’extrême, et encore plus facile de pester sur un montage qui frise parfois l’approximatif. C’est le schéma interne de Peyrelevade qui guide ces deux partis pris, laissant ses ressentis et ses émotions lézarder sans prévenir la ligne claire du récit – relativement simple en dépit d’un final un poil nébuleux.
Loin de vouloir utiliser ses bizarreries visuelles et sonores comme esquive à une hypothétique panne d’idées, Vinour invite au contraire le spectateur à pénétrer le mental de son sujet d’expérience, quitte à le pousser à y superposer le sien à mesure qu’il fait l’effort de raccorder les points. Les nombreux effets de disjonction qui régissent le film ne sont pas anodins : changement brutal de musique, texture brouillée de l’image, incertitude sur l’identité réelle des seconds rôles, etc… Les familiers du cinéma de Lynch se sentiront en terrain connu, et embrayeront de ce fait sur une lecture intuitive des nombreux raccords de plan. Sur le terrain visuel, et ce en dépit d’un budget que l’on devine lilliputien (à peine 12 000 euros !), la texture granuleuse et faiblement contrastée de l’image permet déjà de faire ressurgir certaines matières, en particulier la poussière dans certains plans cadrés en clair-obscur – excellent moyen pour exprimer le rapport quasi métaphysique au cosmos et au minéral. Sur le plan sonore, il y aurait aussi fort à dire : outre une sublime bande originale de Cyrille Dufay qui fait s’entremêler les sonorités planantes et les instruments régionaux, le montage sonore du film se veut clairement musical, souvent en rupture avec la ruralité concrète du lieu, toujours proche d’un vaste flot d’instants poétiques et de paroles éparses. Ne serait-ce que pour de nombreuses scènes dont la force évocatrice doit tout à l’astucieuse combinaison de bruitages et d’effets disruptifs, le film vaut vraiment le détour.
Ici, le but du découpage n’est pas d’incarner une idée précise, mais de refléter des associations d’idées, autant celles que Peyrelevade effectue tout au long de son errance rurale que celles construites par le public à mesure qu’il évolue dans le récit. Cela peut créer un cruel effet secondaire : trop instable en l’état, le film peut donner l’impression de ne pas savoir vers quoi il tend. Or, c’est en ajoutant une couche de surnaturel – voire de paranormal – à cette errance mentale que Vinour évite le piège. À la sortie du film, d’aucuns ont tenté de relier l’aspect conceptuel de Supernova [Expérience #1] à celui du Projet Blair Witch, film d’horreur à tout petit budget réalisé en 1999, avec lequel il partage bon nombre de conventions en lien avec le filmage amateur. Là-dessus, c’est à se demander si les velléités thématiques de Vinour ne lorgneraient pas en effet du côté du fantastique. Les apparitions/disparitions des proches de Peyrelevade dans une maison revisitée en ruine d’antan (donc en lieu de fantômes), l’ambiguïté du personnage féminin jouée par Catherine Wilkening (est-elle vraiment la fille décédée du héros ou juste un docteur spécialisé dans les expériences de mort imminente ?), l’égalité formelle entre réalisme et onirisme (où s’arrête le premier ? où commence le second ?), les visions qui se poursuivent en dehors du coma, la frustration du héros d’avoir frôlé la mort sans y être vraiment rentré : tout contribue à nourrir le doute sur cette fabuleuse matière visuelle et sonore qui irrigue tout le film. A-t-on affaire à une pure épreuve introspective pour son héros ou doit-on au contraire le juger cobaye d’une force surnaturelle qui lui fait perdre tous ses repères depuis qu’un morceau d’étoile a heurté sa tête ? Doit-il quitter sa zone de confort ou trouver son chemin dans une zone inconnue ? Il faudra attendre le dernier quart d’heure – tout sauf limpide – pour avoir un début de piste à défaut d’un début de réponse. Et pour se demander si, au fond, nous étions le cobaye de tout cela. Singulière expérience que voilà. Tentez-la.
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