REALISATION : J.J. Abrams
PRODUCTION : Amblin Entertainment, Bad Robot
AVEC : Kyle Chandler, Joel Courtney, Elle Fanning, Riley Griffiths, Ryan Lee…
SCENARIO : J.J. Abrams
PHOTOGRAPHIE : Larry Fong
MONTAGE : Maryann Brandon
BANDE ORIGINALE : Michael Giacchino
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Science-fiction, Enfance, Drame
DATE DE SORTIE : 03 août 2011
DUREE : 1h50
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Été 1979, une petite ville de l’Ohio. Alors qu’ils tournent un film en super 8, un groupe d’adolescents est témoin d’une spectaculaire catastrophe ferroviaire. Ils ne tardent pas à comprendre qu’il ne s’agit pas d’un accident. Peu après, des disparitions étonnantes et des événements inexplicables se produisent en ville, et la police tente de découvrir la vérité… Une vérité qu’aucun d’entre eux n’aurait pu imaginer.
Lors de la sortie du Terminal, on demanda à Steven Spielberg quel était le cinéaste le plus proche de lui. Pour faciliter la tâche, trois noms étaient proposés : M. Night Shyamalan, Quentin Tarantino et Peter Jackson. Spielberg bottera en touche en répondant juste « aucun ». Consciencieux, le journaliste se montrera obligé de revenir à la charge en rappelant combien énormément de monde considère Shyamalan comme son fils spirituel (c’est que le réalisateur d’Incassable était encore très inspiré à l’époque). Spielberg rejette à nouveau l’idée mais l’explicite cette fois. « J’apprécie beaucoup ses films, son style d’écriture et de mise en scène. Mais il devrait moins chercher à devenir moi et se concentrer sur ses propres talents et sur son incroyable capacité à toucher le public » déclare-t-il. On peut trouver étrange qu’il n’ait pas donné le même conseil à J.J Abrams. Produisant sa dernière réalisation via le cultissime Amblin, on peut aisément considérer que le cinéaste de Rencontres Du Troisième Type se soit entretenu longuement sur le projet avec le créateur de Lost. Peut-être n’a-t-il pas assez insisté envers Abrams sur la nécessité de trouver son propre ton. En même temps, Super 8 a la note d’intention du parfait film personnel pour Abrams surtout par rapport à ses antécédents cinématographiques.
Après deux adaptations de séries télés sur grand écran (le sympa mais inoffensif Mission Impossible 3 et le bien plus enthousiasmant Star Trek), Abrams semblait prêt à vouloir montrer ce qu’il a véritablement dans le froc. Cette absence de matériau d’origine, il la met d’ailleurs énormément (probablement trop d’ailleurs) en avant durant la promotion. Il rappelle régulièrement que Super 8 n’est pas une adaptation de comic books, une suite, une préquelle et qu’il ne se base pas sur un livre ou des jouets. Au-delà des astuces marketing qu’il pratique depuis ses débuts, Abrams justifie également le silence autour du contenu de son film par rapport à la difficulté de le définir, celui-ci n’appartenant pas à un seul genre spécifique. Il ne pouvait en être autrement du fait de la genèse du projet. Abrams avait deux histoires en développement. L’une était un film de SF-horreur tournant autour des mystères de la zone 51 et l’autre une chronique personnelle sur l’enfance. Ne réussissant pas à mener à terme ces deux entreprises, il décide de les fusionner pour un résultat qu’il juge enthousiasmant. On ne va pas bouder son plaisir, Super 8 est effectivement un divertissement très agréable. Toutefois, il démontre ses limites de réalisateur et, mine de rien, de pas mal de monde de l’industrie du cinéma actuel.
Il y a quelques mois, un autre réalisateur jusque-là adepte des remakes et adaptations s’attelait à un projet original. Ce réalisateur, c’était Zack Snyder avec son crétin Sucker Punch. Sans matériau sur lequel s’appuyer, Snyder partait complètement en roue libre en régurgitant un vomi de références sans queue ni tête. Il ne réfléchissait pas aux possibilités de raconter son histoire au-delà de la revendication de ses influences diverses et variées. Abrams n’atteint pas un tel degré de bêtise avec Super 8 mais il souffre également de cette approche sous influence. Sous la tutelle du maître, Abrams veut donc faire un hommage au cinéma Amblin qui a bercé son adolescence. On peut toutefois trouver étrange de vouloir honorer le cinéma de quelqu’un d’autre alors que l’on désire se livrer soi-même. C’est là la problématique un brin ennuyeuse de Super 8. Avec son script, Abrams souhaite replonger dans son enfance et ses souvenirs de tournage amateur avec son compagnon d’armes Matt Reeves (le réalisateur de Cloverfield). Toutefois, au lieu de retranscrire tout cela dans un film utilisant sa propre sensibilité, il emprunte celle d’un autre. Lorsque Spielberg réalisait un film comme E.T, il utilisait les possibilités du cinéma pour affirmer son état d’esprit. Pour réaliser Super 8, Abrams exprime ses émotions en usant d’un cinéma à la Spielberg. Alors qu’il devrait se dévoiler personnellement, le réalisateur se cache derrière une autre personnalité. Un défaut symptomatique d’une industrie qui ne semble plus fonctionner que par références. Spielberg avait beau fonctionner lui également sous certaines influences, il comprenait qu’il ne devait pas se circonscrire au septième art et s’étendre vers d’autres sources. Malheureusement, trop de monde semble l’avoir oublié. L’innovation semble trop souvent sacrifiée dans un processus de cannibalisation en vase clos.
À la décharge d’Abrams, on peut toutefois mettre en avant la forte aura des productions Amblin. Tout le monde s’accordera à dire qu’il se retrouve dans les héros juvéniles de ces films. L’univers spielbergien a trouvé un tel sentiment d’identification chez son public qu’il s’est logiquement mélangé avec ses propres souvenirs. Cela explique pourquoi Abrams n’a pas appréhendé son retour en arrière selon un autre angle d’attaque. Ses souvenirs correspondent autant à ceux qu’il a vécu lui-même que ceux qu’il a vu sur grand écran. Le réalisateur joue assez brillamment avec ce conflit de perception par la description de ses apprentis cinéastes. Pour ces préadolescents, la réalisation d’un film amateur (une histoire de zombies mixant George Romero et William Castle que l’on pourra savourer dans le générique de fin) devient le moyen de pouvoir canaliser leurs émotions et de les comprendre. C’est donc par le biais de la création filmique que ces personnages (très attachants malgré une interprétation inégale) pourront comprendre des notions telles que la mort ou l’amour. Leur film est également une manière de digérer (inconsciemment certes) un contexte historique difficile où se fige la peur de la guerre froide (l’invasion de zombies renvoyant à ceux des rouges) et des nouvelles technologies (le film prend place juste au moment de l’accident nucléaire de Three Mile Island). On regrettera que ces informations soient généralement bazardées trop rapidement (un court dialogue ou un flash télé) pour constituer une véritable toile de fond. C’est là que la compétence d’Abrams peut être remise en cause.
Le danger, lorsqu’on rend hommage à quelqu’un, est de croire qu’on le connaît bien alors que ça n’est pas le cas. Si la partie centrée sur les personnages se montre très attachante (c’est la spécialité d’Abrams depuis ses débuts), la partie science-fiction convainc moins. Le spectacle arrive à se faire spectaculaire durant ses séquences d’attaque (laissant le plus souvent la créature hors champ) mais l’efficacité de la mise en scène d’Abrams reste relative. En soit, on reste impressionné par une scène comme le déraillement du train vendue par la première bande annonce. Mais on se dit que cela aurait pu être encore plus incroyable si, par exemple, Abrams avait pensé à jouer sur les perspectives pour relier de manière stressante les personnages avec les débris qui manquent de leur tomber sur le crâne. Le genre d’idée qu’un Spielberg n’aurait justement pas loupé. Il y a comme un manque d’aboutissement dans la compréhension de la force du cinéma de Spielberg. Abrams comprend les principes élémentaires dont le plus important reste la narration par l’image (voir le choix de l’intro) mais il se risque trop souvent à tomber dans la vignette. Si il reste d’une compétence captivante dans l’intimiste, le spectaculaire se heurte à une maîtrise limitée de ses composants, le conduisant parfois à des solutions farfelues pour faire monter la sauce (le détraquage des armes des militaires pour créer un final apocalyptique). Le principal souci se pose notamment au niveau de la créature. Abrams livre ici une sorte d’E.T qui, n’ayant pu rencontrer Elliot, aurait viré psychopathe. Comme chez Spielberg, c’est la communication entre l’enfant innocent et l’alien qui apportera une solution au deux face à des adultes aveugles. Toutefois, Spielberg construisait tout son film sur la description de cette communication. Abrams, lui, la plante en fin de film et doit donc se montrer au combien plus simpliste dans le propos qu’il délivre. En ce sens, si on ne peut enlever la certaine beauté de sa conclusion illustrant la fin du deuil (joliment rehaussée par la magnifique musique williamesque de Michael Giacchino), on restera plus circonspect sur la mécanique qui nous a conduit là. Elliot voyait sa vision du monde complètement modifiée par sa relation avec E.T. Dire que Joe, le héros de Super 8, arrive au même résultat par rapport à ce qui est montré paraît être un raccourci facile.
Si on déplorera ces problèmes (auquel on pourra ajouter un montage qui aurait mérité d’être un peu plus épuré), Super 8 demeure un beau petit film. En ces temps où les blockbusters friqués se montrent de plus en plus incapables de nous en mettre plein la vue, Abrams montre une fidélité attrayante à l’art du divertissement. Effet de nostalgie ? Possible, mais le réalisateur se montre au moins pertinent quant au pouvoir de celui-ci.