REALISATION : Mamoru Hosoda
PRODUCTION : Madhouse pictures, Warner Entertainment Japan
AVEC : Ryunosuke Kamiki, Mitsuki Tanimura, Ayumu Saitô, Nanami Sakuraba…
SCENARIO : Mamoru Hosoda, Satoko Okudera
MONTAGE : Shigeru Nishiyama
DIRECTEUR DE L’ANIMATION : Yoshiyuki Sadamoto
BANDE ORIGINALE : Akihiko Matsumoto
TITRE ORIGINAL : Samā Wōzu
ORIGINE : Japon
GENRE : Anime, Animation, Superflat, Famille
DATE DE SORTIE : 09 juin 2010
DUREE : 1h54
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Bienvenue dans le monde de OZ : la plateforme communautaire d’internet. En se connectant depuis un ordinateur, une télévision ou un téléphone, des millions d’avatars alimentent le plus grand réseau social en ligne pour une nouvelle vie, hors des limites de la réalité. Kenji, un lycéen timide et surdoué en mathématiques, effectue un job d’été au service de la maintenance d’OZ. A sa grande surprise, la jolie Natsuki, la fille de ses rêves, lui propose de l’accompagner à Nagano, sa ville natale. Il se retrouve alors embarqué pour la fête traditionnelle du clan Jinnouchi. Il comprend bientôt que Natsuki ne l’a invité que pour jouer le rôle du » futur fiancé » et faire bonne figure vis-à-vis de sa vénérable grand mère. Au même moment, un virus attaque OZ, déclenchant catastrophe sur catastrophe au niveau planétaire…
S’il fallait s’interroger un jour ou l’autre à ce propos, il est des pistes claires qui ne laisseraient que peu de place au doute. Parce que Hayao Miyazaki finira bien par nous abandonner à son chant du cygne, on l’espère le plus tard possible, et parce qu’il est l’ambassadeur ultime de l’animation japonaise à travers le monde, lui trouver un successeur pourrait être une pénible gageure. Un conditionnel évident, tant le pays regorge de cinéastes talentueux ayant déjà fait leurs preuves au détour d’œuvres devenues cultes, qui se justifie toutefois plus par l’émergence plus ou moins récente de jeunes réalisateurs infiniment prometteurs. Et même si cela implique de définir en amont le bagage nécessaire pour incarner ce futur chef de file, citons de manière non exhaustive les talents indéniables que sont Keiichi Hara (Un été avec Coo), Makoto Shinkai (La tour au-delà des nuages), ou, même si n’évoluant pas a priori dans le registre du maître, Masahiro Ando (Sword of the stranger). En termes de popularité, cette petite bande semble pourtant un brin en deçà de l’aura grandissante de Mamoru Hosoda, auteur d’une magnifique Traversée du temps et aujourd’hui bien gargarisé du succès local de son Summer wars, l’un comme l’autre ayant été multi récompensé dans divers festivals. A n’en pas douter, voilà un créateur à ne plus quitter des yeux.
En réalité, le bonhomme était déjà prometteur à l’époque de son passage à la Toei. A la tête du sixième film One piece, celui-ci avait su rendre une copie sombre et audacieuse marquée de son emprunte, à la fois thématique (l’amitié et la solidarité sont au cœur du récit) et scénique (entre autres, ces superbes plans larges sur l’île frôlant la contemplation, dont on retrouvera l’équivalent dans ses travaux suivants). Quelques temps auparavant, les studios Ghibli l’avaient même approché afin de réaliser Le château ambulant, finalement repris par le chef des lieux. Plus ambitieux, plus dense et plus beau que tous ses autres films réunis, c’est Summer wars qui fait désormais son actualité, conçu comme pour La traversée du temps au sein de studios Madhouse toujours aussi indispensables.
Voulu comme œuvre estivale pour public familial par Hosoda, le projet n’a pas lésiné sur les moyens en réunissant à chaque poste-clé des noms connus des passionnés. Satoko Okudera (La forêt de Miyori) au scénario ou Yoshiyuki Sadamoto (Neon Genesis Evangelion) au chara-design, le tout sous grande influence d’une culture otaku par essence attachée à l’histoire. En effet, nous sommes ici dans un Japon, et a fortiori dans un monde, dans lequel une plateforme communautaire virtuelle régit les habitudes sociales de ses utilisateurs et à plus forte importance les technologies de toute la planète. Sorte de fusion moléculaire entre Second Life et Facebook en mille fois plus sophistiqué, Oz est accessible via n’importe quel appareil pouvant se connecter à Internet. Et si l’on peut y acheter des voitures, des vêtements de marque pour habiller son avatar ou même régler réellement ses impôts, une imposante sécurité informatique empêche également de pirater ses comptes. Idéal lorsqu’utiliser celui du président des Etats-Unis permettrait d’envoyer un missile où bon nous semble. C’est pourtant cette même protection qui faillira quand Love Machine, une intelligence artificielle ultra développée, intègrera le système. C’est dans ce contexte que Summer wars verra décupler sa puissance thématique, le film se situant en parallèle dans un Japon rural qui jure a priori avec un tel postulat de départ. Deux mondes antinomiques malgré tout réconciliés par un cinéaste intelligent à plus d’un titre.
Intelligent oui, mais pas seulement dans la rencontre qu’il façonne entre traditionalisme et culture otaku. Avant tout, Summer wars est un spectacle visuel hallucinant lorsqu’il s’agit de pénétrer dans Oz. Dans sa cohérence, Mamoru Hosoda fait preuve d’un jusqu’au-boutisme aussi rare qu’il impressionne continuellement : quoi de plus pertinent finalement que de dépeindre un univers technologique à part entière à travers le superflat ? Ce mouvement artistique, qui puise ses inspirations dans la culture otaku, s’avère également original dans une utilisation destinée à visualiser le virtuel (l’otaku vit profondément sa passion jusqu’à vouloir faire partie du même monde, irréel donc), qu’il est totalement justifié à l’aune des multiples références qui parcourent l’œuvre. C’est d’ailleurs tout sauf un hasard si le dernier bébé du réalisateur possède des similitudes avec Superflat monogram, véritable court-métrage faisant office de publicité pour Vuitton et qu’il a lui-même mis en scène. On retrouve en outre dans les deux la forte influence de Takashi Murakami, artiste pionnier du superflat sans qui un film comme Speed racer n’aurait pu ressembler à ce qu’il est. Summer wars sonne ainsi comme un bel hommage à la sous-culture japonaise, au-delà même des clins d’œil qui arpentent le métrage.
De ce parti-pris visuel atypique, la narration bénéficie d’une clarté qui interdit la confusion entre réel et virtuel, nettement distingués. Mamoru Hosoda se paie même le luxe de jouer sur l’inconscient de son spectateur en bourrant les séquences intra-Oz d’idées géniales, toutes servant à préciser l’action en cours sans recourir à l’inutile verbiage de circonstance. Retranscrire les émotions des personnages du monde réel sur le visage et le comportement de leur avatar, les faire avaler littéralement par Love Machine, transformer celui-ci en un être plus charismatique qu’auparavant, le mode combat, etc. : classiques dans l’absolu (beaucoup de mangas bien connus y ont fait appel), toutes trouvent ici un emploi parfaitement justifié dans le sens où Oz fait constamment intervenir le méchant de l’histoire, une entité qui agit de manière tout à fait autonome, car non contrôlée par un utilisateur. Difficile de marquer son altération de façon plus claire sans jamais en expliciter ouvertement le sens. En résulte une limpidité exemplaire, aux enjeux merveilleusement exposés, la combinaison des deux rendant d’autant plus jouissifs des combats très élaborés. La mise en scène du cinéaste, modèle de cohérence, tire en effet pleinement profit de son décorum, en constante évolution, pour se renouveler. Qu’il s’agisse de fights au corps-à-corps, de poursuites ou de jeux de stratégie, chacune des séquences est prétexte à un découpage qui n’a pas peur de trop en faire dans l’icônisation et où la vivacité des bastons s’avère aussi jubilatoire que l’introduction lyrique au plus beau climax vécu depuis des lustres, tous genres confondus. Sous couvert d’une foison de détails hors norme et d’une animation splendide, parler d’inventivité revient à savoir manier l’euphémisme.
Cette phénoménale débauche d’énergie, Summer wars ne la réserve pas qu’au pan virtuel qu’il dépeint. On l’a dit, le film est dans un premier temps une affaire d’opposition entre deux notions, un combat entre traditions ancestrales et nouvelles habitudes de vie. C’est en tout cas ce que laisse entendre Mamoru Hosoda dans la première demi-heure, non sans donner, pourtant, quelques indices quant à l’évolution future du récit.
Certes, la famille est un élément primordial, celle du film étant vite caractérisée comme soudée et issue d’une longue lignée soumise à des conventions inébranlables. La géniale séquence du dîner appuie cet état de fait en forçant le spectateur à une identification brutale avec Kenji, le héros du métrage : seul au bout d’une table avec grand angle face à la tablée. Ces quelques minutes, très drôles, ont surtout pour but de nous noyer, en même temps que notre avatar, sous le poids d’une intense solidarité familiale et des coutumes qui lui sont liées. La rencontre de Kazuma n’en est que plus forte, car prenant place sitôt ce passage terminé : c’est seul qu’on le découvre, scotché à son ordinateur. La rupture entre le Japon rural et celui dépendant des nouvelles technologies est faite. Néanmoins, pas question pour Mamoru Hosoda de se laisser aller à de la critique moralisatrice telle qu’on y a souvent droit à notre époque. Ce qui aurait pu accoucher d’une prise de position surprend au contraire par son semblant de neutralité idéologique : une fois dévoilée l’identité virtuelle du jeune homme, connu et vénéré par des milliers d’utilisateurs d’Oz, Summer wars prend une tout autre dimension thématique, qui, on le devine très vite, n’aura d’autre velléité que de présenter ses deux mondes comme complémentaires. De même que l’on apprendra qu’Oz fut une source importante de connaissances pour Kazuma.
Pour le cinéaste, la modernité du monde n’est en rien incompatible avec les conventions qui l’ont façonné, les deux se nourrissant l’un l’autre de ce qui a fait l’Humanité : la communication. Aussi c’est bien la grand-mère, érigée en allégorie d’un mode de contact ancestral, qui permettra à l’Humain d’avancer, lors d’une apocalypse informatique réduisant à néant toute technologie. Ce qui n’implique en aucun cas la critique de son alternative « virtuelle » (le contact via Internet, donc), le cinéaste suggérant toujours dans son découpage l’ouverture d’un monde sur l’autre, à travers les cloisons de la maison principale notamment, donnant vue sur de magnifiques horizons.
Chronique d’une solidarité et d’un esprit d’équipe nécessaire (dont le très fort potentiel émotionnel trouvera apogée dans une ultime scène de « sacrifices »), réflexion sur l’importance de tous les modes de communication, hommage à la culture geek, Summmer wars est tout cela et bien plus encore. Parler de symbolique serait d’ailleurs long et fastidieux tant l’œuvre en est parcourue : le combat final dans le monde virtuel sur fond de Hanafuda, les bâtisses typiquement japonaises qui enferment Love Machine, l’informatique qui envahit la maison familiale.. Vous l’aurez compris, l’oeuvre possède une densité narrative que cette mini analyse n’aura fait qu’effleurer. Tout concourt « seulement » à réunir les peuples et les habitudes sociales au sein de ce qui fait la richesse de l’Humanité. Koï Koï !