Star Wars : Les Derniers Jedi

REALISATION : Rian Johnson
PRODUCTION : Lucasfilm , Columbia Pictures, Scott Free Productions, Walt Disney Pictures
AVEC : Daisy Ridley, Adam Driver, Mark Hamill, Carrie Fisher
SCENARIO : Steve Yedlin
PHOTOGRAPHIE : Roger Deakins
MONTAGE : Bob Ducsay
BANDE ORIGINALE : John Williams
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Science-fiction, Aventure
DATE DE SORTIE : 13 décembre 2017
DUREE : 2h32
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Les héros du Réveil De La Force rejoignent les figures légendaires de la galaxie dans une aventure épique qui révèle des secrets ancestraux sur la Force et entraîne de surprenantes révélations sur le passé…

La chair est faible, dit-on. L’auteur de ces lignes en sait quelque chose tant l’irrépressible attachement à l’univers Star Wars ne lui a jamais paru aussi pathologique. Fallait-il vraiment croire que Les Derniers Jedi marquerait enfin le retour de Star Wars dans toute sa splendeur ? Il y a eu le profond agacement envers un Réveil De La Force s’emprisonnant dans une formule sécurisante, il y a eu la tristesse à l’adresse d’un Rogue One si formaté qu’il se détournait de son véritable potentiel ; l’attente est-elle encore permise face de telles promesses bafouées ? La politique de Disney/Lucasfilm serait à elle-seule un motif suffisant pour mettre indéfiniment tous les indicateurs au rouge. En atteste le renvoi des turbulents Phil Lord et Christopher Miller du spin-off sur Han Solo au profit du plus transparent Ron Howard. On trouvera difficilement meilleure preuve d’une franchise restant dans des chemins balisés et refusant de laisser s’exprimer une voix propre. Il en va de même d’un trop orgueilleux Colin Trevorrow congédié de la réalisation de l’épisode IX et du retour du bon petit soldat J.J. Abrams. L’annonce d’une trilogie supplémentaire gérée par Rian Johnson appuie un peu plus cet état de fait, Rian Johnson, probablement la dernière note d’espoir quant au futur de la saga. Le réalisateur de Looper semble être un artisan idéal pour Star Wars. Cinéaste au style discret, il a su se montrer un conteur très attentif à la mécanique de sa narration et au sens qu’elle doit véhiculer, ce qui suffit à le placer un cran au-dessus d’un J.J. Abrams qui va rarement au-delà du paraître. Or c’est peut-être ce qui explique la problématique des Derniers Jedi. En effet, ce huitième épisode va intégrer avec audace et zèle son thème central.

Si on pouvait espérer de Johnson qu’il s’écarte de recettes trop connues, il s’avère que ça n’est pas tout à fait le cas. Les Derniers Jedi occupe au sein de la nouvelle trilogie une position similaire à celle de L’Empire Contre-Attaque. Passé l’allégresse du départ pour l’aventure et l’ivresse de la victoire, il est temps pour les personnages de revenir à la cruelle réalité. Dans le film d’Irvin Kershner, cela se traduisait par un virage vers la noirceur. Dès le premier acte, l’empire fond en force sur les rebelles et les met en déroute. Avec leurs compagnons, Han et Leia passeront le reste du film à être poursuivis. Cette situation inextricable s’amplifie par leurs sentiments conflictuels, chacun éprouvant au moins autant d’amour que de colère pour l’autre. Cette relation ne se résoudra qu’à partir du moment où l’un des deux disparaît. Quant à Luke, sa rencontre avec Yoda va bousculer tout ce qu’il croyait savoir jusqu’alors sur la force. Son apprentissage le conduit à saisir les responsabilités et risques liés à ce pouvoir. C’est ce que le passage de la grotte lui révèlera, le confrontant à la peur de devenir son ennemi. Ce qui amène avec plus de fracas la révélation clôturant cet épisode. La naïveté se perd dans la dureté de ces épreuves et si elles blessent, elles font également grandir.

Les Derniers Jedi investit ce domaine, tout en se proposant de le réinventer. Le film se résume en un mot : la désillusion. Sous cet angle, on peut considérer le film comme une nouvelle étape dans la destruction du mythe Star Wars soit comme une évolution logique du récit telle l’a été L’Empire Contre-Attaque en son temps. Il n’est guère aisé de trancher puisque le film fournit des armes pour les deux lectures entre références appuyées à son modèle et choix culottés pour représenter sa thématique. Sur ce dernier point, on sent l’apport de Rian Johnson. Dans Une Arnaque Presque Parfaite, il liait les manipulations inhérentes au genre à la caractérisation de ses héros. Il ne procède pas autrement ici. S’il y a un côté décevant dans l’aventure des Derniers Jedi, c’est justement parce que tous les personnages vont connaître la déception. L’enjeu principal de l’épisode tourne ainsi autour de l’alliance rebelle traquée par le Premier Ordre. Mais attention, il ne s’agit pas d’une haletante et grandiose poursuite où on essaie par exemple de semer l’adversaire dans un champ d’astéroïdes. Non, c’est une poursuite où chacun reste à distance raisonnable de l’autre, patientant jusqu’au moment d’abattre la carte maîtresse. Ça n’est pas exactement le type de péripétie prisée par le public. L’œuvre met l’accent sur l’aspect désenchanté de l’aventure, nous laissant comprendre qu’il ne suffit pas qu’un évènement soit central dans l’arc narratif pour qu’il soit grisant. Il y a une sorte de revendication de la lassitude qui se synthétise par ce plan où le général Hux cesse d’observer la flotte à travers la verrière pour se contenter d’hologrammes des vaisseaux.

Pour un Star Wars, Les Derniers Jedi a donc une narration étonnamment statique et cette impression se renforce quand on comprend que le personnage de Rey passera pratiquement tout son temps sur l’île où on l’avait quittée à la fin du Réveil De La Force. Le spectateur va découvrir en même temps qu’elle un Luke Skywalker bien loin de ses espérances. Si on fantasmait un maître jedi digne et solennel, le premier contact se conclut sur un geste pour le moins inattendu. Au contraire du mentor sage et aguerri, on trouve un homme ne se considérant pas apte à enseigner. Brisé par son expérience avec Kylo Ren, il voit que les années n’ont pas fait plus de lui que le jeune incrédule contemplant béatement l’horizon. L’arc du personnage entend redonner un sens à cette contemplation. C’est à ce stade qu’il faut se demander si les choix du long-métrage sont si payants que ça. Car si on peut voir une certaine beauté dans cette fin (précédée d’une magnifique iconisation du héros), sa justification peine à convaincre et à délivrer une authentique portée dramatique. On pourra dire la même chose de la révélation sur les parents de Rey : grand objet de spéculation pour les fans, elle est finalement dénuée d’importance et consolide le personnage dans sa terrible solitude (angoisse soulignée par l’incontournable épreuve de la grotte où l’immensité de son pouvoir symbolisé par une multiplication de son image finissait par la renvoyer à son propre reflet). L’information est insignifiante et son impact l’est tout autant.

Les Derniers Jedi baigne dans un océan de frustration. Or comme exposé plus haut, il est compliqué d’appréhender une narration visant un tel état émotif. Est-ce que le film est décevant parce qu’il joue sciemment sur cela ? Ou est-ce tout simplement parce qu’il est raté ? Prenons la partie sur Finn et Rose. Par bien des aspects, elle correspond à la première hypothèse. La rencontre entre les deux personnages joue d’ailleurs totalement sur le principe du désenchantement et une nécessité de revoir tout ce que l’on croit pour avancer. L’idéalisme de ces protagonistes se doit d’évoluer dans un univers impliquant uniquement des nuances de gris, que ce soit par cette planète-casino prestigieuse mais bâtie sur la maltraitance d’animaux et l’esclavagisme ou par la caractérisation du personnage interprété par Benicio Del Toro. La leçon sera d’autant plus amère que toute leur aventure s’avèrera sans aucune utilité pour l’histoire. Un concept osé mais gangréné d’autres peu en accord avec cette ambition. La présence de capitaine Phasma pour dix minutes montre en main est-elle véritablement une idée exacerbant le désappointement ? On y verrait plutôt du fan-service express.

Si Rian Johnson est un narrateur talentueux, il n’en demeure pas moins qu’il a du de toute évidence se conformer aux injonctions du studio. On peut ainsi suspecter que ce ne soit pas lui qui ait décidé qu’à intervalle régulier, Rose ou Finn répèteront qu’il faut dénicher un décrypteur parce que c’est leur mission. Ce genre de leitmotiv tient plus d’une écriture par algorithme, calculant froidement et sans conscience ce que le film a besoin pour être suivi par le spectateur. Et Les Derniers Jedi n’est pas avare dans le recours à cette méthodologie procédurière proposant moins un cheminement émotionnel qu’un paquet cadeaux fourre-tout. On traitera de cette manière les porgs, créatures mignonnes traversant tout le film dans l’unique but d’alimenter sa caution kawaii (les vulptices auront en comparaison une justification minime mais bien présente). En ce sens, on détecte encore dans cet opus la senteur de préfabriqué de son prédécesseur. Le renouvellement d’un schéma rebattu se heurte au flot de clin d’œil confortant une certaine idée de Star Wars. On ne comptera pas le nombre de fois où Rey déclare sentir le conflit en Kylo Ren et à l’inverse, on cherchera désespérément à quel moment John Williams transfigurera ses partitions.

Il y a toujours ce sentiment de sécurité qui prévaut et se retrouvant symboliser par un passage précis. Dans une scène-clé, les vestiges d’une bibliothèque Jedi sont détruits. Cette perte est qualifiée de sans grande gravité car si ces livres contenaient un savoir, ils ne peuvent incarner à eux-seuls ce qu’est la religion des jedi. Pour autant, avant la fin du film, un plan viendra nous soulager en montrant que les livres préservées. Entre formatage ne se préoccupant d’aucune prérogatives narratives et décisions très clairement surprenantes, se positionner vis-à-vis d’une émotion aussi délicate que la déception devient un insoluble casse-tête. L’humour particulièrement prononcé de cet épisode apparaît surtout comme un outil pour amuser la galerie. Cependant, il répond à l’objectif de l’histoire quitte à rendre grotesque les personnages (tout le traitement du général Hux). Mais il devient un peu gênant quand il accompagne l’arc de personnages inconsistant (les rapports de Poe Dameron avec le vice-amiral Holdo) ou maladroit dans l’exploitation de sa mythologie (la fameuse scène avec Leia ou l’issu de la bataille finale).

Les Derniers Jedi affirme que l’échec est le meilleur des professeurs. L’enseignement est primordial mais n’a de valeur que si l’élève en tire les conséquences qui s’imposent. C’est sur ce point que Les Derniers Jedi ne cesse de nous faire douter, divertissement déployant à la fois son talent (la fort belle bataille sur la planète couverte de sel) et son renoncement (la pauvreté de mise en scène du combat dans la salle du trône convoquant pourtant le spectre d’Akira Kurosawa). Ça n’est pas le plan final qui nous éclaircira, promettant des jours prochains aussi nouveaux que semblables. On peut le voir sous un œil optimiste ou comme une énième démonstration d’un produit voulant ménager la chèvre et le chou. Au bout du compte, tout ne se juge plus qu’à notre capacité à croire en Star Wars.

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