REALISATION : Peter Ramsey, Bob Persichetti, Rodney Rothman
PRODUCTION : Sony Pictures Animation
AVEC : Shameik Moore, Jake Johnson, Hailee Steinfeld, Liev Schreiber
SCENARIO : Phil Lord Rodney Rothman
MONTAGE : Robert Fisher Jr.,
BANDE ORIGINALE : Daniel Pemberton
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Action
DATE DE SORTIE : 12 décembre 2018
DUREE : 1h57
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Spider-Man : New Generation suit les aventures de Miles Morales, un adolescent afro-américain et portoricain qui vit à Brooklyn et s’efforce de s’intégrer dans son nouveau collège à Manhattan. Mais la vie de Miles se complique quand il se fait mordre par une araignée radioactive et se découvre des super pouvoirs. Dans le même temps, le plus redoutable cerveau criminel de la ville, le Caïd, a mis au point un accélérateur de particules nucléaires capable d’ouvrir un portail sur d’autres univers. Son invention va provoquer l’arrivée de plusieurs autres versions de Spider-Man dans le monde de Miles, dont un Peter Parker plus âgé, Spider-Gwen, Spider-Man Noir, Spider-Cochon et Peni Parker.
En nous plongeant dans les aventures de Miles Morales, Spider-Man : New Generation se révèle être le meilleur film de super-héros de l’année. Parce qu’il a compris qu’être le meilleur, c’est avant tout être pleinement soi-même.
Dire que l’on attendait beaucoup de Spider-Man : Into the Spider-Verse (mettons de côté le banal titre « français » New Generation) tient de l’euphémisme. Lors de sa présentation au dernier festival d’Annecy, il avait confirmé l’enthousiasme généré par sa bande-annonce. Comme nous l’indiquions à l’époque, le projet laissait augurer un chamboulement salutaire dans le genre du film de super-héros. Que ce soit avec ses productions qui se suivent et se ressemblent ou ses machins boursouflés dont aucune prétention ne se concrétise à l’écran, sa qualité cinématographique paraît au plus bas alors que sa popularité est paradoxalement au plus haut. Il était peut-être enfin temps de profiter de cet état de fait pour justement tenter autre chose, quitte à payer les pots cassés. L’avenir nous dira si Sony Pictures Animation essuiera les plâtres avec cette expérience ; les premiers retours du box-office sont toutefois encourageants. Pour l’heure, disons-nous simplement que Into the Spider-Verse existe et c’est déjà un bonheur que ce soit le cas. Les réalisateurs Peter Ramsey, Bob Persichetti et Rodney Rothman ne se cachent pas de l’incroyable opportunité que représente cette entreprise. Logiquement, son statut particulier est intégré au sein d’un projet artistique ahurissant.
Même histoire, masque différent : tel est le principe qui semble dicter le récit de Into the Spider-Verse. Or n’est-ce pas la politique que le Marvel Cinematic Universe suit depuis une décennie ? Avec ses intrigues reposant sur des artifices similaires et une esthétique neutre n’autorisant que quelques ajustements cosmétiques, chaque film du MCU se conforme à un moule. Into the Spider-Verse pourrait faire pareil. Au travers d’un découpage se répétant, les Spider-Men ou Women provenant des différents univers exposent leurs origines. On relève ainsi la récurrence inéluctable du schéma. Into the Spider-Verse et MCU, même combat ? Pas vraiment et la fin du premier acte donne une clé de compréhension déterminante là-dessus. Venant tout juste d’acquérir ses pouvoirs, le héros Miles Morales assiste à la mort du Peter Parker de son univers. Ce Peter Parker pourrait se définir comme LE Spider-Man. A un défaut capillaire près, il est la version irréprochable du personnage. Il mène sa mission avec dextérité et passion, la population l’adore, ses ressources technologiques sont illimitées, il a su accorder toute sa confiance aux personnes qu’il aime… Sa vie est totalement accomplie. Même si certaines personnes comme le père de Miles le voient d’un mauvais œil, leurs opinions n’ont guère de poids. Ce Peter Parker est le Spider-Man idéal et on ne s’étonne pas qu’il nous renvoie à la trilogie de Sam Raimi. Et donc, il est dégagé d’emblée. Plus qu’un ressort dramatique contribuant au parcours de Miles, on peut y voir une note d’intention nous disant que le film n’est pas intéressé par l’idée de représenter un Spider-Man parfait. Into the Spider-Verse se distingue ici du MCU. Celui-ci se complaît dans une logique immuable car elle serait prétendument la plus aboutie et permettrait de suivre le meilleur chemin. Pour Into the Spider-Verse, ce « meilleur chemin » n’a pas d’importance. Ce qui importe tient plus aux variations et ce qu’elles signifient.
D’ailleurs, on note à quel point le film se méfie des formules toute faites. Les productions actuelles du genre reposent trop sur la croyance que la verbalisation d’une idée suffit à la traiter. Si on peut trouver déplaisant l’humour second degré habituel de Christopher Miller et Phil Lord, il devient un moyen pertinent pour affirmer ce rejet. Tous les personnages se retrouvent gavés par la réplique « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » si abusivement répétée qu’on a envie de renier son message par pur esprit de contradiction. Lors de l’oraison funèbre de MJ, la déclaration que n’importe qui peut être un héros derrière le masque est ouvertement renvoyée à sa dimension métaphorique. Le caméo de feu Stan Lee enfonce le clou, remontant le moral de Miles en lui disant que le masque finit toujours par aller à son porteur… avant qu’un détail révèle la teneur mercantile de ce conseil censé le guider. On ne se construit pas en suivant littéralement des messages de vie ou en se conformant coûte que coûte à un schéma. Miles trouve finalement le meilleur mentor possible avec la version looser de Peter. Lui dont la vie est un naufrage intégrale lui donne la seule leçon qui vaille : on ne peut pas forcer les choses mais on peut les prendre comme elles sont et accepter de faire le grand saut.
L’accomplissement de Miles passe par l’abandon du costume typique de Spider-Man, déguisement ridicule absolument pas taillé à sa personne, pour revêtir le sien. Soit exprimer son propre style pour revendiquer son identité. C’est naturellement là que Into the Spider-Verse en met plein les yeux et embrasse tous les écarts fantaisistes interdis dans le MCU. Certes, être Spider-Man conduit à prendre un certain parcours. La naissance de capacités inespérées et incalculables, la confrontation à la mort amenant à considérer l’importance d’apporter quelque chose au monde, la difficulté de gérer un quotidien aux nombreuses facettes, le choix de ne jamais rester à terre et de toujours poursuivre ce qui lui tient à cœur… Autant d’éléments qui séduisent chez Spider-Man puisque nous renvoyant à ce que tout un chacun connaîtra à un stade de sa vie (ce qui fait que le personnage est si apprécié). En tant que Spider-Man, Miles ne fait pas exception à la règle. Malgré une aventure impliquant la collision du multivers, il complétera toutes les étapes du super-héros arachnéen. Mais la cohabitation des mondes parallèles met justement en évidence l’infinité des possibilités liées à ce déterminisme. Si chaque incarnation de Spider-Man affirme une approche esthétique différente, cette variété va au-delà de la simple coquetterie visuelle. Elle sonne avant tout comme une revendication de leur individualité et de la spécificité de leur version de l’histoire. Comme indiqué plus haut, Into the Spider-Verse se refuse à une verbalisation paresseuse. Il préfère la force de l’illustration, frappant directement au cœur le spectateur et le laissant comprendre par lui-même ce qu’il vient de ressentir. Si la stylisation est une préoccupation majeure de la production, c’est bien parce que l’essentiel passe par elle. La scène du graffiti est un exemple d’image l’emportant sur tout discours. En compagnie de son oncle, Miles exprime longuement sa créativité au travers de la réalisation d’un graffiti complexe. Au final, il recouvre celui-ci d’une silhouette noire impersonnelle. Tout le quotidien de Miles conté jusqu’alors se synthétise dans cette image.
L’expérimentation dans Into the Spider-Verse n’est donc pas un outil de plaisir stérile mais bien un authentique désir de dénicher d’autres méthodes narratives. Ce qui fait évidemment le caractère atypique de son visuel dans le paysage du cinéma d’animation américain. Même s’il ne rejette jamais le pouvoir d’abstraction de l’animation, celui-ci se laisse trop souvent dominer par l’ambition d’élaborer de techniques pour y injecter du réalisme. Cette orientation est après tout la plus évidente pour s’assurer la croyance du public envers ces personnages et leurs histoires. Anatomie de plus en plus travaillée, textures toujours plus détaillées, simulation physique proche de la perfection… Autant d’aspects dont Into the Spider-Verse se détourne pour pleinement traduire les codes du comics dans un cadre cinématographique. Le réalisme est récusé au profit de l’exagération (voir le design massif du Caïd renvoyant aux dessins de Bill Sienkiewicz) mais sans néanmoins sacrifier toute pertinence. L’usage de cadres reprenant les pensées de Miles est une bonne illustration d’une jonction bien dosée des deux médias. L’idée intervient précisément au moment où Miles est obsédé par plusieurs questions et n’arrive pas à les démêler ou les écarter. Si ces pensées s’imposent au personnage alors elles s’imposent également à l’image. Cohérent mais ne cherchant jamais à être trop propre ou lisse, Into the Spider-Verse finit par émettre une magie peu commune. Comme la planche de comics émergeant d’une page blanche, sa dynamique permanente communique ce sentiment d’une pulsion créatrice s’extirpant du néant. Les formes naissent et renaissent constamment, émettant une possibilité pour en sous-entendre une centaine d’autres.
C’est après tout ce que doit être un super-héros : un inspirateur, quelqu’un qui évoque quelque chose au plus profond de nous et pourquoi pas nous pousse à faire le grand saut. Impressionnant et galvanisant, Into the Spider-Verse a toutes ces qualités. Mais le futur de ce qui promet d’être une franchise n’est pas tout rose. Tout comme nous sommes ravis que le présent film a permis de remettre en avant le génial Peter Ramsey, on est aussi exalté qu’un spin-off sur les Spider-Women fasse revenir la talentueuse Lauren Montgomery à la réalisation de long-métrage. On le sera moins de la décision de Sony à vouloir breveter les procédés d’animation mis au point, brimant ainsi cette créativité que l’œuvre était supposée transmettre. Mais bon, ne faut-il pas faire avec ce que l’on a ?