RTT

C’est marrant à dire, mais depuis l’existence de ce site, la place n’avait pas encore été accordée à quelques « fleurons » de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la comédie française populaire. A cela, une raison aussi simple que coupante : pour deux ou trois réussites inespérées (à titre personnel, on vous recommande le récent et hilarant Case départ), on se tapait à chaque fois une honte carabinée devant une bonne vingtaine de navets, ce qui, sur certains points, ne méritait en aucun cas une analyse critique digne de ce nom. Comment réagir de façon calme quand le cinoche populaire français, financé en très grande partie par les chaînes de télévision et transformé depuis plusieurs années en fast-food désincarné, n’a que faire des enjeux d’un scénario ou d’une mise en scène, se contentant de torcher quelques divertissements vite-faits mal-faits, si tant est qu’on chope les aides publiques (dont celle du CNC) et qu’on dispose d’une ou deux stars bankable pour les rôles principaux. A l’heure actuelle, on se souvient encore de l’affaire Atomik Circus, premier film assez jouissif de deux frangins belges bien déjantés, sur lequel la plupart des financiers (surtout TF1) s’étaient littéralement effondrés en découvrant le résultat, pensant que le film pour lequel ils avaient fait un gros chèque était une comédie fun avec Vanessa Paradis et Benoît Poelvoorde, alors que les deux zouaves coincés derrière la caméra n’avaient pour seule envie que de livrer un ovni bizarroïde et bien Z, gorgé de gore cradingue, de cadrages pas possibles et de répliques à se rouler par terre. On aurait donc juste envie de leur dire qu’ils n’avaient qu’à lire le scénario qu’on leur proposait au lieu de s’arrêter à la page recensant les idées de casting, mais ce cas d’école reste assez représentatif du système de production à la française, lequel a fait main basse depuis déjà bien longtemps sur une industrie qui semble prendre son pied à se tirer une balle dedans. Tout cela n’a rien de nouveau, mais c’est important de le rappeler.

Soyons clairs dès le départ : RTT est si minable et insignifiant qu’il ne mériterait même pas qu’on en parle. Mais si l’auteur de ses lignes se permet d’octroyer un peu d’intérêt à ce qui s’apparente sans problème à une énième comédie formatée pour enfiler les zéros (aussi bien en qualité que sur le compte en banque des producteurs), c’est surtout parce que le film, outre les casseroles qui traînent à chaque nouvelle séquence, appelle de nouveau à une remise en question massive sur l’état du cinéma français. Certes, dénigrer l’humour gaulois, souvent taxé de franchouillard quand il n’est pas tout simplement privé du moindre enjeu (sinon financier), semble devenu aussi facile que de gueuler sur l’équipe de France quand elle n’arrive pas à shooter correctement dans un ballon. Mais le temps de parole accordé à tant de purges est devenu si important (il suffit de regarder les émissions d’Arthur ou de Drucker pour s’en rendre compte) pour que la consternation laisse désormais place à la colère. D’abord, allons-y mollo : en termes de filmage, le film qui nous intéresse ici n’est peut-être pas le pire exemple du genre. Mais rien que sa mise en chantier vaut déjà le détour et enterre celle dont nous parlions dans le précédent paragraphe : conçu à l’origine par Dominique Farrugia comme une vraie comédie d’aventures populaire, censée renouer avec la vitalité et l’humour des meilleurs road-movies à la française, le projet aura connu une écriture pour le moins chaotique qui aura, d’après les rumeurs, nécessité plusieurs réécritures avant d’aboutir à un résultat jugé satisfaisant. Notons aussi que le talentueux Julien Seri (Scorpion), désigné pendant un certain temps comme chef d’orchestre du projet, aura fini par aller lui-même taper la causette avec la porte de sortie : on ne sait pas trop pourquoi, mais on imagine que les mots « divergences artistiques » ont dû être prononcés à un moment. Puis, ce fut au tour d’Eric Lartigau (Prête-moi ta main) de reprendre les rênes avant de décliner l’offre, sans oublier un casting qui, entre temps, fut totalement modifié (Sophie Marceau et Jean-Paul Rouve étaient envisagés au départ). Déjà, tout semblait très mal barré, surtout quand, pour sauver les meubles, on ne trouve pas mieux que Frédéric Berthe, tâcheron dont la seule « audace » aura été de transformer la Star Academy en film (ça s’appelait Alive), pour enfiler une casquette de réalisateur dont personne ne veut. Mais voilà, quand on décide de chier une bouse, il ne faut pas qu’elle reste coincée, il faut la sortir coûte que coûte. Dont acte.

Alors, pour commencer… eh ben, ça commence très mal. On aura beau dire que la voix off est un instrument aberrant quand le scénario dévoile un vide sidéral en termes d’enjeux, mais là, on touche le fond. Le temps d’une scène de poursuite en vélo minable, montée à la manière d’un Lego Technic, Kad Merad se mange un camion en pleine face et s’adresse au public : « Voilà, je m’appelle Arthur, je travaille dans un magasin de sport, je me suis fait larguer par ma femme et voilà ce qui arrive quand on veut rattraper une voiture de sport avec un vélo. Vous vous demandez peut-être comment j’en suis arrivé là ? ». Non, on s’en tape les cacahuètes… Ensuite, voilà Mélanie Doutey, actrice sexy et bankable, dont le personnage est ici présenté à la fois comme la nouvelle Fantomette (elle vole des tableaux dans des musées, façon Catherine Zeta-Jones dans Haute voltige) et comme petit élément déclencheur du récit : la rencontre entre le paumé et la voleuse n’est qu’un quiproquo déjà vu 4528 fois dans le registre du divertissement tous publics. Rien que dans la manière de mettre en place des enjeux, de construire une scène, de capter l’énergie d’un dialogue ou de jouer sur les antagonismes de deux personnages, le désastre se renifle sans effort particulier : on ne ressent jamais l’amour du travail bien fait (histoire de sortir une phrase débile), la volonté du réalisateur à intensifier une séquence en y ajoutant un nouvel élément narratif, la cohérence d’un scénario qui ne serait pas réduit à une succession de dialogues plats, ou encore, cette capacité devenue rare à sortir du filmage télévisuel plan-plan tel que les téléfilms de TF1 aiment se le fantasmer.

Mais que l’on s’inquiète encore plus, car la suite est un désastre sans nom : hésitant entre une cavale comique genre La chèvre (sans le rire) et une fuite mouvementée comme dans Guet-apens (sans l’intensité), Berthe n’arrive même pas à donner la moindre cohérence à son produit mort-né. La moindre amorce de situation comique, le moindre petit bout de dialogue, le moindre début de rythme, tout est immédiatement détruit par une fuite en avant même pas crédible et intéressante, avec la facilité en bandoulière, le racolage franchouillard comme ressort comique (deux flics coriaces suivent les deux héros en passant presque pour des gays : au secours !) et la flemmardise comme moteur principal. Citons deux exemples. Situation n°1 : les deux protagonistes sont en fuite dans les bayous marécageux, menottés l’un à l’autre, et dès que l’un a envie de pisser, on n’a droit à rien d’autre qu’une scène minable où le héros se vide la vessie (inutile de préciser que ce n’est jamais drôle). Situation n°2 : ne sachant plus quoi raconter d’intéressant (vu qu’il n’y avait déjà rien à la base), les scénaristes ont commis l’atroce erreur de greffer une love-story entre les deux héros, ce qui se produit lorsque, sur un bateau qui navigue sous le ciel étoilé (aïe aïe aïe !), Kad Merad lui sort un truc du style « Ta mère doit être une voleuse, elle a pris les deux plus belles étoiles et les a mises dans tes yeux ». Bon, ce genre d’énormité aurait pu peut-être avoir un impact chez Eric Rohmer ou dans une adaptation de Cyrano, mais on tient quand même à préciser qu’aujourd’hui, au 21ème siècle, en l’an 2011, dire un truc pareil à une fille risque de la pousser à éclater de rire et à vous prendre pour un dingo (au mieux) ou à vous filer une baffe pour ensuite vous larguer comme une chaussette (au pire). Mais là, non, Mélanie Doutey rigole et craque pour ce grand benêt, aussi charismatique qu’une chambre à air et jamais crédible lorsqu’il s’agit de sortir une vanne. Et encore faut-il que la vanne soit drôle, parce que là…

Inutile d’en rajouter des caisses sur le scénario, tant le résultat montre à quel point les responsables n’avaient absolument rien à faire de la cohérence de leur truc. Pour information, on va même en profiter pour préciser qu’ils ont été pas moins de cinq à travailler sur ce film, à l’heure où la multiplication des scénaristes sur un projet est unanimement considérée comme un vrai fléau… Mais bon, au bout du compte, on pourra accorder au film une qualité involontaire : constituer en soi une vraie mise en abyme de cette roublardise qui hante désormais la comédie française à vocation exotique. Ce n’est pas facile à admettre, mais ce parcours mouvementé d’un béret-baguette dont le séjour aux Etats-Unis va se transformer en cavale sans queue ni tête n’est pas sans évoquer l’état actuel de la comédie hexagonale, tellement enfermée dans sa bulle qu’elle se sent contrainte de s’expatrier ailleurs (voire de reprendre des formules déjà épuisées par d’autres), quitte à ne pas savoir quoi y faire ou quoi en retenir. Cela se ressent à la fois dans le « talent » des nombreux scénaristes du film, que l’on imagine moins désireux de travailler que de prendre leurs RTT, mais aussi dans ce que le film donne à voir d’une situation de comédie dans un cadre exotique, c’est-à-dire strictement rien. On est à des années-lumière de ce qu’un réalisateur comme Philippe De Broca avait su réussir avec L’homme de Rio, exemple indétrônable de comédie d’aventures parfaitement scénarisée et réalisée, renouant de façon magistrale avec le cinéma d’aventures de notre enfance.

Ne comptons pas non plus sur les numéros d’acteur pour rehausser le naufrage : outre un Manu Payet en flic super coriace (rires) et un Kad Marad toujours là pour prouver à quel point le navet est son plat préféré (surtout quand il est cuisiné n’importe comment), la belle Mélanie Doutey, pourtant si prometteuse à la sortie du Frère du guerrier, n’en finit décidément pas de dégommer sa carrière. En définitive, à l’instar du désastreux San Antonio, la seule vraie fulgurance d’un film comme RTT réside dans le je-m’en-foutisme total avec lequel il a été fabriqué, et devant la flemmardise aiguë des personnes qui filment et jouent leur rôle comme ils regardent passer les mouettes. Pour finir, un petit message pour nos producteurs obsédés par la poule aux œufs d’or : si vous tenez tant que ça à mettre en chantier des comédies sans intérêt, si vous tenez tant que ça à faire une affiche en faisant péter six ou sept stars pour le prime-time de TF1, si vous n’accordez aucune importance à la construction d’un scénario cohérent ou si vous pensez encore que la mise en scène est une spécialité alsacienne, au moins, faites en sorte qu’il y ait des gags, qu’ils soient drôles et qu’on puisse lever les pouces en l’air au lieu de les tourner pendant 1h30. Enfin, moi je dis ça, je ne dis rien…

Réalisation : Frédéric Berthe
Scénario : Mathieu Delaporte, Alexandre de la Patellière, Julien Rappeneau, Franck Magnier, Alexandre Charlot
Production : Dominique Farrugia, Cyril Colbeau-Justin, Jean-Baptiste Dupont
Bande originale : Maxime Lebidois, Maxime Pinto, Alexandre Azaria
Photographie : Giovanni Fiore Coltellacci
Montage : Damien Codaccioni
Origine : France
Date de sortie : 9 décembre 2009

Photos : © StudioCanal. Tous droits réservés

2 Comments

  • Ce que le cinéma français fait de pire en terme de comédie. Gags qui tombent à plat, acteurs en roue libre, longueurs en veux-tu en voilà et scénario d'une crétinerie incroyable ! Dommage pour la belle Mélanie Doutey qui offre néanmoins quelque chose d'intéressant à voir.

  • tangoche Says

    C'est marrant mais cette article me ferait presque penser à un règlement de compte avec un infâme connard qu'on aurait l'occasion de molester au poing américain, dans une ruelle sans issues, pendant qu'il est tenu à chaque bras par deux de tes potes.

    Point de critique mais on sent l'envie de régler un compte avec le cinéma de papy qui pourrit dans les placards étroits de nos productions hexagonales.

    Ca fait du bien.

    Sinon, rien à voir, mais en tant que comédie française, un copain m'as parlé de "Ni à vendre, ni à louer" qui serait un putain d'hommage (mais pas que) au cinoche de Tati!

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