À l’apogée de l’industrie cinématographique hongkongaise, les fans ont vu se constituer une sorte de sainte trinité composée par John Woo, Tsui Hark et Ringo Lam. Si les deux premiers bénéficient d’une popularité toujours intacte malgré les années, Lam reste en revanche assez en retrait et finalement peu connu du grand public. Peut-être parce qu’à l’inverse de Woo et Hark, ses films ne bénéficient pas d’une empreinte esthétique immédiatement reconnaissable et donc saisissable par l’audience. On identifie rapidement la patte de Woo par ses scènes d’actions aux chorégraphies exceptionnelles, de même que le chaos visuel d’Hark n’a pas d’autre équivalent. Lam lui s’inscrirait plutôt dans la veine du cinéma américain seventies et plus particulièrement des films de William Friedkin où cohabitent brutalité du ton et ambiguïté du propos. Un style moins tape à l’œil, plus passe-partout au premier abord mais non moins maîtrisé avec un certain génie. C’est là un peu le drame de Lam. Il n’est pas assez marquant visuellement pour transporter les foules mais pas pour autant suffisamment malléable pour se contenter de jouer les simples fonctionnaires. Il en fera ainsi les frais avec Risque Maximum, sa première réalisation américaine. Extrêmement généreux et excitant au niveau de l’action, ce divertissement produit par Columbia Pictures peine à convaincre lorsqu’il tente de construire une réflexion identitaire autour de son héros. Une impression assez compréhensible par le fait que le studio n’était pas très à l’aise avec cette portée existentielle et demanda au cinéaste asiatique de revoir sa copie en conséquence. Il faudra tout le soutien de son acteur principal Jean-Claude Van Damme pour que Lam puisse ne serait-ce que réintégrer les multiples jeux de miroirs indispensables à l’illustration du propos.
« Les muscles de Bruxelles » ne tarit d’ailleurs pas d’éloges par rapport à son travail avec le réalisateur. Si Van Damme a travaillé avec les deux autres membres de la trinité HK, c’est avec Lam que la collaboration sera la plus harmonieuse. Loin d’un John Woo qui semble n’en avoir rien à foutre (la qualité de son Chasse à l’Homme parle pour elle) ou d’un Tsui Hark pas très content qu’on ose lui donner des cours de mise en scène (leur mésentente sur Double Team aura au moins le mérite de donner lieu à une succulente vengeance par le biais du cultissime Piège à Hong Kong), le réalisateur de City on Fire va considérer Van Damme non pas juste comme un artiste martial virtuose mais comme un acteur à part entière. La star de Bloodsport sera touchée de cette démarche et ne l’oubliera pas. Lorsque se met en place la production de Replicant cinq ans plus tard, Van Damme n’hésite pas ainsi à recontacter Ringo Lam pour le mettre en scène. Entre temps, le réalisateur est retourné à Hong Kong où il a notamment commis Full Alert que beaucoup considèrent comme son meilleur film (à quand diantre une édition DVD en France ?). Il n’est pas particulièrement motivé pour une nouvelle aventure américaine, surtout que le projet réinvestit le thème du double déjà approché dans Risque Maximum. Mais l’acharnement de JCVD finira par le convaincre. Cet acharnement est facilement justifié par l’enjeu du script pour le comédien.
En effet, l’histoire va l’obliger à jouer deux personnages différents. Ça n’est pas la première fois que l’ami Jean-Claude s’essaie à l’exercice. Risque Maximum comprenait donc déjà un peu de cette contrainte et Double Impact de Sheldon Lettich l’a obligé à se multiplier à l’écran. Néanmoins, Replicant est un challenge d’un tout autre niveau. Outre le caractère très opposé des deux personnages, leurs natures même tranchent avec tout ce à quoi le comédien nous a habitué. D’un côté, il interprète un tueur en série pyromane. De l’autre, il joue son clone, un personnage vierge de toute expérience humaine. Pour réussir à paraître crédible dans un tel rôle, il savait qu’il lui faudrait quelqu’un apte à le diriger correctement. Lam était ainsi la personne parfaite pour ce job. Dans une interview française (aussi désopilante que désolante) disponible sur le DVD, Van Damme explique ainsi que Lam lui a demandé de regarder énormément de documentaires National Geographic pour réussir à appréhender le comportement instinctif du clone. Ce dernier n’ayant aucun apprentissage du monde et de la vie, il s’agissait de réussir à trouver l’expression la plus primitive de ses émotions. Dans l’inintéressant commentaire audio, l’acteur va plus loin en affirmant que pour le personnage du tueur, Lam l’a poussé à puiser dans les émotions (exprimées généralement au gré de ses tristement célèbres monologues) pour nourrir son interprétation. Bref, Lam a recours à des orientations pertinentes pour tirer le meilleur des capacités de Van Damme. En se montrant aussi crédible dans un rôle que dans l’autre, ce dernier livre probablement ici la meilleure interprétation de sa carrière. Même la si souvent moqueuse critique lui fera un plébiscite et saluera la qualité insoupçonnée de son jeu.
Pour Lam, il ne s’agit toutefois pas juste d’offrir un véhicule à la star aussi remarquable se montre-t-elle. L’excellente interprétation de Van Damme se doit d’être au service de la conception qu’il se fait du projet. En acceptant la réalisation, Lam va changer drastiquement la portée initiale de celui-ci. D’abord orienté vers le film d’action façon buddy movie, le cinéaste ramène Replicant à son style propre. Sur Volte/Face, John Woo avait limité les éléments de science-fiction pour tendre vers une surenchère opératique qu’il lui sied plus. Sur un sujet similaire (thématique autour la dualité de l’être dans un contexte faussement futuriste), Lam fait de même en éliminant l’argument comique de l’équation pour revenir vers le polar brut de décoffrage. Il s’approprie le projet et a cette fois-ci l’opportunité d’explorer pleinement le thème du double. A l’inverse de Risque Maximum, ce concept est le moteur même du film et ne peut ainsi pas être minimisé. Lam a tout le loisir d’explorer les mécanismes de son intrigue en montrant comment un flic (l’irremplaçable Michael Rooker) est chargé de retrouver un tueur à l’aide du clone de ce dernier. Le script passionne par le rapport humain qui s’établit entre les deux personnages, le premier étalant sur le second toute sa haine envers l’assassin en le traitant comme un chien. L’argument même de l’intrigue tend vers le subversif. Pour les autorités, le clone est la réplique parfaite du tueur et en conséquence est assujetti aux mêmes pulsions meurtrières. Le seul intérêt des responsables est en conséquence de réveiller le tueur à l’intérieur du clone pour avoir une piste afin d’arrêter l’original. Selon eux, l’individu est conditionné dès le départ et ne peut se construire à travers ses propres actes. Au sein du divertissement, Replicant questionne ainsi régulièrement la notion identitaire entre l’inné et l’acquis. Certains passages sont brillants en ce sens que ce soit lorsque le clone se livre à une variation du « je pense, donc je suis » de Descartes ou lorsque la simple mention d’un patronyme suffit à marquer l’antagonisme entre l’original et sa copie dans le combat final.
En parlant de combat, l’action chez Lam se montre toujours aussi brillante malgré une production un brin limitée budgétairement. Risque Maximum était le film d’une major et si les ayants droits disposaient d’un droit de regard sur le produit final, ils n’hésitaient pas pour autant mettre des moyens conséquents à disposition. Replicant est quant à lui une production Millennium. Ça n’est certes pas aussi miséreux que du Nu Image mais ça n’est pas non plus la panacée. En l’état, Replicant souffre des défauts récurrents du studio. La photographie manque souvent de teneur, la musique est complètement à côté de la plaque, le tournage prend trop souvent place dans de pauvres entrepôts… Mais Lam désamorce souvent la problématique en déployant le plus possible son approche d’un cinéma d’action rentre dedans. La première scène d’action en est un très bel exemple. L’excitation tient moins du spectaculaire déployé (quasiment inexistant) mais de l’enchaînement de l’action. A l’instar de la célèbre course poursuite de French Connection, Lam construit une séquence où se suivent une quantité de micro-évènements excitants, obligeant l’action à se déplacer d’environnement en environnement. Il crée par ses rebondissements constants une tension, les situations étant tellement variables que le déroulement en devient imprévisible. Lam compense un déchaînement irréalisable de gros moyens par un enchaînement judicieux d’affrontements violents. En ce sens, le cinéaste choisira de modifier le climax du film. Il vire ainsi la poursuite en hors-bords qui devait conclure le film. En remplacement, il rassemble en une seule séquence deux scènes d’actions jusqu’alors séparées pour les placer à la fin. En réunissant les péripéties dans une seule unité temporelle, il favorise ainsi une mise sous pression par une action étirée sur la longueur.
Bien qu’il ait dû sacrifier un peu de noirceur au montage (les scènes coupées insèrent quelques touches d’ambigüité supplémentaires et dévoilent une version plus violente du premier meurtre), Lam a su accomplir ici un petit bonheur de série B. Quel dommage qu’il se montre fort discret depuis. Ses dernières réalisations (une participation au décevant cadavre exquis Triangle et le bien nommé In Hell avec de nouveau JCVD) commencent à dater et on croise les doigts pour qu’il revienne un jour nous offrir encore un peu de cinéma punchy qu’il sait si bien faire.
Réalisation : Ringo Lam
Scénario : Lawrence David Riggins et Les Weldon
Production : Millennium Films
Bande originale : Guy Zerafa
Photographie : Mike Southon
Origine : USA
Titre original : Replicant
Année de production : 2001