Toute révolution comporte son lot de suiveurs et de profiteurs désireux d’obtenir leur part du gâteau. Durant la lente et longue gestation de leur mouvement, les révolutionnaires peuvent également rencontrer des alliés plus ou moins inattendus. Avant que l’abcès n’éclate définitivement, on peut sentir le vent du changement et ceux qui y sont attentifs peuvent en saisir l’essence. Ces derniers vont alors consciemment ou inconsciemment participer à la mise en place du grand débordement annoncé. Les grands exploits cinématographiques fonctionnent de la même manière. Si on revient à l’époque pas si lointaine de la sortie d’Avatar, le cinéphile se souviendra que deux films sortis quelques mois plus tôt avait déjà traité le thème de l’homme utilisant à distance son simulacre. Il y avait ainsi Clones de Jonathan Mostow où Bruce Willis enquêtait sur des meurtres dans une société où tout le monde pilote des modèles de beauté plastique. Il y a aussi Ultimate Game du duo Neveldine/Taylor où le bon peuple pouvait choisir de contrôler d’autres personnes dans des jeux de guerre ou un univers offrant la liberté à tous les excès. Bref, des films qui, sans avoir su combiner le fond et la forme avec autant de génie que Cameron, se montraient foncièrement influencés par ses procédés. Aujourd’hui, la nouvelle révolution qui s’annonce passe également en performance capture et se nomme Tintin. Une semaine avant la sortie du film de Steven Spielberg, vous pourrez voir une de ses productions : Real Steel. Bien que le film n’ait pas recours à la performance capture, il pose là des questions fondamentales sur cette nouvelle technologie. Enfin ça, c’est ce qu’il devrait faire.
L’Amérique dans un futur proche. Les matchs de boxe entre humains ont disparu de la circulation. Cette évolution n’est pas due à une interdiction gouvernementale visant à bannir l’exploitation du spectacle de la violence. En fait, c’est tout l’inverse. Afin de satisfaire un public de plus en plus avide de sauvagerie, les hommes ont été remplacés par des machines. Ceux-ci peuvent en effet déployer une brutalité sans borne et faire subir des outrages à l’adversaire bien au-delà des tolérances du corps humain. Ceux qui ont vu Transformers 3 où le public semblait accepter sans broncher que ces êtres mécaniques se lâchent dans les plus extrêmes excès gores comprendront que l’anticipation n’est pas sans fondement. Le souci dans ce remplacement généralisé est bien sûr la perte d’une partie de ce qui fait l’homme. C’est sur cette voie que semble s’orienter l’histoire de Real Steel. Nous suivons Charlie Kenton, un ancien champion de boxe qui a tenté de se reconvertir en manager de grille-pain géant. Une reconversion qui tend vers le désastre puisqu’il accumule échec et dette avec en sus une vie personnelle déplorable (sa petite amie est à deux doigts de l’expulser et il se retrouve avec un fils qu’il n’a jamais connu sur les bras). En soit, tout semble découler de son impossibilité à pouvoir pratiquer le sport qui lui est cher. En ne pouvant plus boxer, il n’a plus l’occasion d’explorer ses capacités et en conséquence de savoir qui il est. Forcé par son fils à transformer un robot d’entraînement en as du combat, il va trouver une échappatoire par la technologie même qui l’a mise au rencard.
En effet, il va se rendre compte qu’il est obligé de s’incarner dans le robot en lui injectant toute sa rigueur, son mode de pensée et sa vitalité qu’il ne pouvait exprimer jusqu’alors. Par ce médium, il arrive à retrouver ce qu’il était (un combattant) et retrouver l’estime de son fils (qui ne désirait rien de plus que son père daigne se battre pour lui). Comme exprimé plus haut, la production n’a pas eu recours à la performance capture. Mais cela n’empêche pas le propos du film de se retrouver dans le concept même de cet outil où l’humain arrive à naître au sein d’un corps entièrement factice. Real Steel n’emploie donc que la motion capture et après tout c’est suffisant pour le sujet. Les robots n’ayant aucune expressivité et la boxe étant avant tout une affaire de mouvements, cette technologie semblait adéquate. La production a pris toutefois soin de coupler la motion capture avec l’une des innovations mise au point par James Cameron sur Avatar : la simul-cam. Instrument beaucoup moins médiatisé que la 3D et la performance capture, la simul-cam est un outil pourtant des plus utiles pour les metteurs en scène de ce genre de grosse production. Cette caméra spéciale permet en effet de superposer immédiatement sur le moniteur les images tournées avec une version rudimentaire des sessions d’enregistrement dans le volume. Cela offre ainsi une clarté parfaite à toute l’équipe pour savoir comment composer avec les effets spéciaux et ne laisse personne dans l’expectative. En l’occurrence, la simul-cam est importante pour Real Steel puisqu’elle permet de mettre l’accent sur la parfaite corrélation entre l’être de chair et celui d’acier.
Mais comme rappelé plus haut, tout ceci ne sont que des instruments et n’ont de sens que si on sait les utiliser. On approche alors de l’écueil de taille de Real Steel : son réalisateur. Shawn Levy est le genre de yes-man dont le travail apparaît tellement insignifiant qu’il ne provoque que l’indifférence. Ses films ne causent aucune animosité mais ils se laissent juste suivre avec un ennui poli. On les regarde calmement comme si on était à un cocktail mondain. On se dit qu’il y a du beau monde, que c’est bien d’être ici mais on ne va pas pour autant s’y éterniser. De manière prévisible, on pouvait considérer que Levy n’était pas la personne apte pour se charger du projet… et il nous donne bien raison. Inutile de dire que Levy ne se préoccupe guère de la thématique de la réincarnation. Il le dit d’ailleurs lui-même à longueur d’interview : Real Steel n’est pas un film de robots mais un film sur la relation entre un père et son fils. Admettons que ce soit le seul sujet du film. Est-ce que cela justifie pour autant d’exposer si mollement le rapport entre les deux personnages ? En l’état, il s’agit de critiquer un cinéaste à la vision tellement simpliste qu’il ne saisit aucune opportunité. En l’occurrence, on se serait attendu à ce que la relation père-fils se construise par l’intermédiaire du robot. Or, Levy adopte un point de vu unilatéral et n’exploite jamais cet aspect pour donner du relief à une histoire si banale. Ah, il nous sort bien le thème du robot comme père de substitution dans une scène… une seule scène qui n’aura aucune influence sur le reste du long-métrage. Levy revendique son film comme un hommage à Rocky mais il n’offre qu’un service de fan boy en alignant références (« Tu vois Rocky il a combattu Apollo et ben mon robot y va combattre Zeus, le père d’Apollo ») sans comprendre qu’il s’agissait avant tout d’offrir un parcours humain où le sport était la clé de l’accomplissement (le héros robotique s’appelle Atom, soit la plus petite partie d’un corps simple ou un appel à transcender la moindre fibre de son être). On passera de même sur des raccourcis narratifs pénibles (et hop une petite tirade du héros pour expliquer tardivement le background) pour se consacrer sur un constat technique pas plus reluisant.
Enfin, soyons honnêtes : Levy est entouré de personnes qui connaissent leurs métiers. Les outils cités plus tôt sont tout à fait maîtrisés malgré une finalité discutable. Les robots impressionnent par leur puissance (les combats ont été supervisés Sugar Ray Robinson qui a pris soin de ménager réalisme et sens dramatique) et leur photoréalisme est saisissant (la frontière entre les animatroniques du plateau et leurs copies numériques semble définitivement abolie). Mais Levy semble prendre plaisir à manger ce caviar avec les doigts. Il suffit de voir comment il met au même niveau la coordination des mouvements de combat de Hugh Jackman avec le robot pour le climax et les chorégraphies de danse idiote de son fils pour se rendre compte qu’il n’a rien compris. Le manque de vivacité qu’il injecte à la mise en scène (cette manie de prolonger des plans au montage alors qu’il n’y a plus rien à voir) et son manque d’idées (les mêmes plans larges, contre-plongées et travellings sont utilisées sur tout le film) en foutent un coup au spectacle. Le seul salut proviendra du travail de Mauro Fiore. Si les images de Levy dégagent un semblant de puissance, c’est bien grâce au directeur de la photographie d’Avatar. L’art avec lequel il peint grâce à la lumière donne une saveur et du relief à un divertissement si plan-plan au final.
Déjà incapable d’exploiter le caractère ludique (La Nuit Au Musée) ou juste purement comique (Crazy Night) de ses concepts, Shawn Levy foire consciencieusement tout ce qui pouvait faire de Real Steel une œuvre passionnante. Depuis Jon Favreau et son Iron Man 2 (ou comment toucher cinquante thèmes forts à la seconde sans en traiter aucun), on avait rarement vu un réalisateur exprimer un tel désintérêt qu’il en vient à saborder son propre film.
Réalisation : Shawn Levy
Scénario : John Gatins
Production : Dreamworks
Bande originale : Danny Elfman
Photographie : Mauro Fiore
Origine : USA
Titre original : Real Steel
Date de sortie : 19 octobre 2011
NOTE : 2/6