REALISATION : Xavier Durringer
PRODUCTION : Naïa Productions, Océan Films, Vito Films
AVEC : Sami Bouajila, Tewfik Jallab, Hugo Becker, Kool Shen, Hubert Koundé, Seth Gueko, Mélanie Doutey, Sonia Couling, Flore Bonaventura, Dosseh, Nessbeal, Hache-P, Chalad Na Songkhla
SCENARIO : Xavier Durringer, Jean Miez
PHOTOGRAPHIE : Marie Spencer
MONTAGE : Julien Rey
BANDE ORIGINALE : 38ème Donne
ORIGINE : France
GENRE : Thriller
DATE DE SORTIE : 20 février 2019
DUREE : 1h35
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Une équipe d’anciens braqueurs est arrivée au paradis : Phuket, une île idyllique au sud de la Thaïlande. Désormais commerçants, ils coulent des jours heureux. Jusqu’au jour où le diable débarque : Mehdi, condamné à 15 ans de prison lors du braquage, vient récupérer sa part du gâteau. Seul problème, il n’y a plus de gâteau. Et le diable est affamé…
Dans le genre « film de petites frappes du tierquar qu’on catapulte dans des décors de rêve juste pour rouler des mécaniques », on pensait avoir atteint des sommets avec Le Raid de Djamel Bensalah. Mais il y a désormais pire. Et bien plus drôle, en plus…
Pour certains d’entre vous, les vacances ont déjà commencé ou s’apprêtent à l’être. Et comme la salle obscure n’est pas forcément la mieux gâtée en cette période de disette culturelle, il est devenu assez fréquent – en tout cas chez l’auteur de ces lignes – de se rabattre sur le DVD, histoire de pouvoir troquer le traditionnel « livre de l’été » contre un nanar cinématographique très reposant pour les neurones, à se caser pépère entre une virée à la plage et une cuite à la sangria. Ça tombe plutôt bien : Paradise Beach sort enfin en DVD après une carrière en salles désastreuse en février dernier, et s’offre illico presto une place de choix parmi les insanités filmiques capables de faire rimer « digression estivale » avec « régression neuronale ». Le plus étonnant, c’est que le bousin est dû à ni plus ni moins que Xavier Durringer, dramaturge inspiré dont on était sans nouvelles côté cinéma depuis La Conquête, biopic toc façon Les Guignols de l’Info sur l’actuel sex-toy de Carla Bruni. Or, tout homme de théâtre qu’il soit, Durringer aurait bien du mal à dissimuler son goût pour les intrigues viriles et brutales au vu de sa (courte) filmographie, et pour cause : la Thaïlande n’est pas une terre inconnue pour lui (il y avait déjà tourné le film de boxe Chok Dee) et le scénario de Paradise Beach présente des éléments en lien avec le parcours réel de son ami ex-braqueur Jean Miez – ce dernier redevient donc ici son coscénariste vingt-deux ans après J’irai au paradis car l’enfer est ici. C’est cette fois-ci sous la chaleur de Phuket qu’il embarque une troupe de comédiens confirmés et de rappeurs branchouilles, histoire d’y dérouler une énième histoire de règlements de compte sur fond d’amitié fragilisée. Soit les retrouvailles tendues de six anciens braqueurs, mises à mal par l’obsession de l’un d’eux (Sami Bouajila), fraîchement libéré, à réclamer sa part du braquage qui l’a envoyé au placard pour 15 ans. Et comme ses cinq complices d’antan ont cramé tout le butin pour devenir de simples commerçants dans ce paradis thaïlandais, la situation va vite dégénérer…
Sur le papier, on sent déjà l’affaire cousue de fil blanc, formatée en thriller viril sur le thème éculé du « retour de l’ex-taulard », où les conflits de personnages stéréotypés vont s’enchaîner jusqu’à prendre des proportions tragiques. A l’écran, ça descend pourtant plus bas que ça. Plus les « acteurs » de Paradise Beach se lancent mollement dans un concours ininterrompu de répliques sacerdotales (75% de vulgarités débiles, 25% de monologues bien lourds), plus le film révèle sa véritable nature : moins un thriller cherchant modestement à apporter sa patte au genre qu’une grosse entreprise malhonnête, visant à offrir de copieux congés payés sur les plages chaudes de Phuket à une équipe flemmarde, formée de brillants acteurs fourvoyés et de rappeurs aussi crédibles en acting que Doc Gynéco à un meeting de l’UMP. Soit une belle bande de couillons testostéronés, ici incapables de dépasser la caricature caillera qu’ils singent jusqu’à l’overdose, sans doute parce que leur propension à jouer les gros durs qui en ont dans le slip n’enrichit en rien une intrigue post-it qu’ils contribuent eux-mêmes à écrire par leur bêtise. Fondamentalement, Paradise Beach ne raconte rien, et ce n’est pas en y intégrant un vague suspense sur le mode du « qui a trahi qui ? » que les choses vont s’arranger. Il suffit de repenser au Sabotage bien vénère que David Ayer avait concocté il y a cinq ans : un réel enjeu fataliste suffisait alors à crédibiliser le destin tragique d’une troupe de soldats d’élite borderline menée par Schwarzenegger. Durringer, lui, a fait le choix d’épouser les mêmes contours du je-m’en-foutisme que son casting, le long d’un pitch tout en finesse et en profondeur pyscologique (sentez l’ironie dans ma faute d’orthographe…) où l’idiotie crasse d’un groupe de potes soudés suffit à les dessouder. Et pour étoffer correctement un récit où les pires choix possibles font office de dramaturgie, il vaut mieux s’appeler Abel Ferrara ou Sam Peckinpah.
Le fait d’apprendre que ce projet ait été initialement proposé à Olivier Marchal finit presque par tomber sous le sens. Tant de personnages unilatéraux, de violence gratuite et de virilité pseudo-argotique prouvent que Xavier Durringer n’a pas hésité à reprendre ici les ficelles créatives les plus irritantes du réalisateur de MR73, tout en tâchant de meubler du néant avec des punchlines d’une incroyable subtilité. Dans un cas, ça peut donner une insignifiante discussion sur le golf qui s’achève par un sublime « Ne confonds pas mettre la balle dans le trou et se la mettre dans le trou de balle ». Dans l’autre, ça se contente de citer une phrase fétiche de Desproges (« Si la violence ne résout pas ton problème, c’est que tu n’as pas frappé assez fort »), histoire de faire du pied au rappeur à QI de Booba qui l’avait casée dans l’un de ses tubes (Seth Gecko, aussi tatoué qu’un maori, aussi charismatique qu’un enjoliveur). Inutile aussi de compter sur de rares instants plus posés et apaisés, en général ceux qui mettent en valeur le pourtant excellent et trop rare Hubert Koundé (décidément abonné à vie aux rôles de « grand frère zen » depuis La Haine), tant l’absence totale de conviction s’y mange la plus grosse part du gâteau. Quant aux femmes, elles n’ont pas la moindre voix au chapitre : leur utilité se limite ici à chialer (Mélanie Doutey), à se faire humilier (Flore Bonaventura) et à disparaître de l’intrigue lorsque le mec à qui elles servent de faire-valoir se fait descendre (ça veut tout dire). Au moins, elles ne subissent pas l’insulte d’un troisième acte aussi foireux, lequel ne servira qu’à faire s’effondrer les fondations branlantes de ce projet ni fait ni à faire. Le temps d’un faux twist que l’on avait déjà grillé à la simple lecture du synopsis, l’intrigue sortira soudain de sa logique flemmarde et laissera ces crétins irrécupérables s’entretuer dans un maelström d’incohérences parfois hilarantes. C’est à se demander si les acteurs avaient une idée précise du rôle qu’ils étaient en train de jouer, et surtout, si l’écriture du script n’aurait pas été improvisée en marge des fontaines de binouze englouties par toute l’équipe à chaque apéro de fin de journée.
La seule échappatoire pour apprécier Paradise Beach est donc très simple : débrancher son cerveau dès le pré-générique et profiter autant de son cadre idyllique que de ses innombrables énormités. Déjà incapable de raconter une histoire crédible, Xavier Durringer n’en rate pas une pour transformer son montage en défilé de photos de vacances d’été sur Instagram, abusant même ici et là de filtres colorés comme s’il voulait imiter le Nicolas Winding Refn d’Only God forgives. Sauf que si ce dernier usait du néon pour revisiter Bangkok en labyrinthe mental et ténébreux où pullulaient les thématiques œdipiennes, Durringer ne vise ici qu’un esthétisme flashy qui, comme dans tout clip de R’n’B gavé de frime grasse, se sert du clinquant pour tenter de dissimuler du néant. Vert bouteille, jaune pisse, bleu indigo, rouge vermillon, violet zinzolin : toutes les teintes possibles y passent à mesure que l’éclairagiste change les ampoules, mais pas de quoi en tirer la lecture sous acide d’une intrigue aussi fade. Pour le reste, facepalm total du côté de l’action pure (une baraque à frites vandalisée… et c’est tout !) et vision de la Thaïlande à base de clichés culturels de publicité d’aéroport (une chambre, une plage et un bar à putes !). Quant à ces Tony Montana de supérette, les voir jongler non-stop entre les insultes viriles et les câlins bien niais met le film en PLS comme après un grand écart foireux. A bien y réfléchir, on ressent ici le même plaisir honteux que devant un DTV de notre Steven Seagal adoré : une violence bête et idiote, une niaiserie à côté de la plaque, une gratuité naissant du je-m’en-foutisme de ses têtes d’affiche, un réalisateur qui prend ses vessies pour des lanternes, et un fou rire nerveux qu’on n’arrive pas à réfréner. Le résultat coche donc toutes les cases du petit film méconnu qui ne recevra jamais le soutien de nos confrères en pull cachemire de la presse écrite bobo, mais aussi celles du nanar à grosses couilles qui sent davantage la transpiration que l’inspiration, qui se marie très bien avec la bière et le chichon, et qui, d’ici un ou deux ans, sera offert avec un plein d’essence dans votre station-service préférée. En attendant, pour vos vacances d’été, il y a là tout ce qu’il faut pour se vider la tête après l’avoir cramée pendant une journée de bronzage.