Or Noir

Après le bide monstrueux de l’imparfait mais bien loin d’être crétin Sa Majesté Minor, on pouvait s’interroger sur la tournure que prendrait la carrière de Jean-Jacques Annaud. Le cinéaste qui avait jusqu’à présent réussi à faire accepter au public des projets tout aussi surréalistes que La Guerre Du Feu ou L’Ours avait-il perdu de son aura ? Il s’avère plutôt rassurant de voir que sa contre-performance au box-office n’a pas altéré son rythme régulier de production. Si il ne fait pas dans l’abattage industriel annuel, Annaud reste constamment actif et sert toujours métronomiquement ses films qu’il bichonne pendant plusieurs années. On pourrait toutefois sentir une moindre prise de risques à voir le cinéaste réinvestir le registre de la fresque historique qu’il connaît si bien. Choix sécuritaire ? On pourrait difficilement le croire face à son sujet autour de la découverte de pétrole en Arabie dont les répercussions se ressentent jusque dans l’histoire contemporaine. Et pourtant, si vous espérez une étude perspicace des tenants et aboutissants de l’Histoire avec un regard acerbe et critique, on peut vous dire que vous vous êtes trompés de salle. Avec Or Noir, Annaud nous rappelle plus qu’il est l’auteur de Stalingrad et de Sept Ans Au Tibet que celui du Nom De La Rose.

La comparaison est probablement exagérément péjorative puisque, bien que l’aspect un brin policé des deux films cités ne tiennent pas la mesure face à la richesse étourdissante du dernier, ils demeurent de beaux représentants d’une certaine idée de grand spectacle traditionnel. Et Or Noir en est également un. Toutefois, là où Annaud déçoit quelque peu, c’est dans son intérêt informatif. Mine d’érudition et d’anecdotes, sa capacité à intégrer enseignement et divertissement est un des fondements de la réussite de son œuvre. Dans le cas d’Or Noir, les découvertes historiques sont néanmoins étrangement peu nombreuses. Une problématique qu’on pourrait entre autre chose attribuer à l’origine du conflit entre les deux clans dont la nature nous renvoie à un autre film sur le pétrole. Il s’agit bien sûr du magistral There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson. Dans ce dernier, le réalisateur de Magnolia détaillait le rapport entre l’économie et la religion comme ciment de la société. Un conflit entre matérialisme et spiritualité aux barrières perméables et qui se retrouvent dans le film d’Annaud. Alors que le monde arabe était le centre culturel du monde jusqu’au milieu du XIIème siècle, le sultan Nessib joué par Antonio Banderas ne peut que contempler le retard de son royaume par rapport à l’occident. Pour lui, le pétrole est le moyen de combler ce retard et de redonner sa splendeur au pays. Pour le sultan Amar interprété par Mark Strong, il y voit au contraire un risque de laisser les étrangers envahir leurs terres et de diluer l’essence de leur civilisation. Une angoisse qui le pousse à s’enfermer dans les préceptes du coran, source de toutes les interprétations comme peut l’être la bible chez les chrétiens.

Pour Anderson, There Will Be Blood devait se conclure sur la mort de la religion par une économie qui n’a de son côté plus grand chose d’autre à faire que de reconnaître sa monstruosité. Pour Annaud, il s’agit de jouer la carte de l’équilibre. En soit, cela pourrait justifier la connotation policée donnée à l’œuvre avec son anti-manichéisme et son désir de prôner le juste milieu. Ainsi ouvre-t-il logiquement son film sur l’accord entre les deux seigneurs qui assurera une paix pendant plusieurs années avant la découverte du pétrole. Tout son long, Or Noir va prôner l’équilibre et la complémentarité comme facteurs de réussite. Une idée qui s’exprimera de belle manière dans l’une des dernières scènes. Suite au dernier assaut, un personnage féminin va de lui-même résoudre un problématique triangle amoureux qu’il ne désire pas afin de retourner dans son pays « où l’eau et la soif ne font qu’un ». Dans une démonstration un brin didactique, Annaud met en avant comment modernité et tradition doivent s’accepter mutuellement pour accomplir quelque chose de fiable. Les dégénérescentes de l’économie sont aisées sans retenue morale, comme le démontre cette scène où Nessib tente de corrompre un lieutenant ennemi en exhibant son briquet et porte-cigarette en or massif, symbole bling-bling de sa puissance acquise. De même, que peut attendre Amar d’écrits tellement opaques qu’ils peuvent interdire des choses véritablement nécessaires au bien-être de son peuple, comme la médecine ? La revendication de l’équilibre comme clé de tout problème est un choix rassurant et peu risqué mais a le mérite de toucher.

Cette qualité tient à la juxtaposition de cette notion d’équilibre au personnage principal joué par Tahar Rahim. Comme l’aura montré récemment Mathieu Kassovitz avec L’Ordre et la Morale, l’art de mettre en scène une réalité historique passe par la création d’un point de vue et d’un personnage apte à véhiculer tout le panel d’émotions entourant les évènements. Annaud utilise de cette manière le prince Auda. Pris entre un frère noble athlétique et un autre bâtard converti à la science, Auda est le point d’équilibre entre les deux notions. Le récit se construit autour de la construction de ce statut. Une évolution assurant une deuxième partie riche en aventures et péripéties où le bibliothécaire érudit va se muer en homme de terrain. Cette seconde moitié est même peut-être un peu trop chargée. Le rythme est déjà un brin abrupte dans la première moitié (la découverte du pétrole se fait en deux temps trois mouvements) mais l’emballement de l’action devient parfois carrément perturbant par la suite. L’un des exemples les plus frappants sera un rebondissement pour le moins étonnant servant à assurer la progression symbolique du personnage. On aura à peine le temps d’assimiler émotionnellement l’information qu’un nouveau rebondissement apparaîtra… et sera lui-même balayé par le lancement immédiat d’une scène d’action ! Si le processus met la pression au spectateur qui sera incapable de souffler, il l’empêche de prendre le temps de s’attacher sentimentalement à ce qu’il voit et à en saisir la portée. Un défaut contrecarrant un spectacle savamment troussé où le cinémascope, le soin de la reconstitution et la dynamique de la mise en scène remplissent pourtant de passion.

C’est après tout là la principale réussite du film que d’avoir su nous offrir du bon gros divertissement populaire. Annaud est un champion en ce domaine et Or Noir en est bel et bien la preuve. Reste quand même à savoir si le cinéaste s’accordera à l’avenir de se réaventurer dans des défis plus originaux.


Réalisation : Jean-Jacques Annaud
Scénario : Menno Meyjes et Jean-Jacques Annaud
Production :
Bande originale : James Horner
Photographie : Jean-Marie Dreujou
Origine : France
Titre original : Or Noir
Date de sortie : 23 novembre 2011
NOTE : 4/6

1 Comment

  • fab34 Says

    Bon j’ai pas tout lu j’avoue.
    Mais moi je voulais juste ajouter que j’ai beaucoup aimé ce film pour l’avoir vu. C’est film extrêmement fin et habile, je trouve.

    1 – L’opposition crédible et honorable.
    Déjà tous les protagonistes sont crédibles dans leur opposition : il y a une opposition forte entre le respect de la tradition et le confort de l’argent, mais il n’y a pas de sous-entendu manichéen (où est le mal, où est le bien dans ce film?). De plus, chaque personnage est honorable : aussi bien le père adoptif que le père biologique, chacun souhaite le meilleur pour son peuple, mais avec des visions différentes du bien. Ne serait-ce pas là le grand problème que l’on rencontre aujourd’hui chez nous en politique??

    2 – La force du destin et du changement
    Au milieu de contraste, le seul qui ne sait pas choisir son camp, c’est le personnage principal. C’est sur les épaules du personne hésitant que tout le poids de la décision repose. Que choisir entre ces 2 pères ? Il aime les 2 mais il va devoir se battre contre lui-même pour choisir son destin. Et ca je pense que c’est l’un des principal problème que renconte un homme au cours de sa vie. Le jeune intellectuel va devoir devenir un guerrier car le monde extérieur le-lui impose…

    Pour conclure, je pense que ce film est une très belle illustration à la fois du problème intérieur des hommes (quel destin choisir?) et le problème en communauté (quel politique pour notre pays?). La cerise sur le gateau, les cadres sont magnifiques et c’est un film d’action, du cinéma !

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