REALISATION : Benny Chan
PRODUCTION : Emperor Multimedia Group, JCE Movies Limited, Metropolitan FilmExport
AVEC : Jackie Chan, Nicholas Tse, Charlie Yeung, Charlene Choi, Daniel Wu, Dave Wong, Andy On, Terence Yin, Hayama Go, Coco Chiang, Kenny Kwan, Yu Rongguang, Chun Sun, Wu Bai
SCENARIO : Alan Yuen
PHOTOGRAPHIE : Anthony Pun
MONTAGE : Chi Wai Yau
BANDE ORIGINALE : Tommy Wai
ORIGINE : Chine, Hong Kong
GENRE : Action, Drame, Policier
DATE DE SORTIE : 13 juillet 2005
DUREE : 2h04
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Légende vivante de la police de Hong Kong, l’inspecteur Wing sombre dans le désespoir et l’alcool quand son équipe est entièrement décimée par le Gang des Cinq, dirigé par Joe. Un jeune officier parvient alors à le convaincre de réintégrer les rangs de la police et de retrouver les malfrats…
De façon tout à fait inattendue et méritante, Jackie Chan réinvestit sa facette de cascadeur fou pour la transformer en une sidérante séance d’auto-flagellation publique. Fallait oser.
Une « nouvelle » histoire de police, donc. Avouons qu’en 2005, on l’espérait en ce qui concerne Jackie Chan, méga-star de la castagne made in HK ayant fini par devenir sa propre caricature après plusieurs années d’exil à Hollywood. Sa filmographie est là pour en témoigner : il aura suffi du carton cosmique de Rush Hour en 1999 pour laisser l’ami Jackie s’enfoncer tout seul dans les méandres de l’actionner bêta, allant de Shanghaï Kid au Royaume interdit en passant par Le Smoking, Le Médaillon ou encore l’effroyable relecture du Tour du monde en 80 jours, bouses de très haut niveau pour lesquelles un bide maousse au box-office international faisait figure de juste punition. Rien d’étonnant à ce que les vrais fans de l’acteur en soient arrivés à ronger leur frein : fonctionnant sur une formule rance à base de gags galvaudés et de combats câblés, les derniers nanars de Jackie faisaient oublier l’immense artiste martial et clown cascadeur qu’il fut à la grande époque de Police Story et de Drunken Master 2, pour n’en retenir qu’une banale copie quinqua, contrainte à singer la posture du guignol caoutchouc et à faire appel à une doublure pour ses cascades les plus suicidaires. Mais qu’à cela ne tienne : après une décennie bien ramollo, New Police Story était bel et bien le film de la rédemption pour un performeur aux cartilages quelques peu abîmés. Retour à Hong Kong, certes, mais surtout retour aux sources pour un acteur conscient d’avoir lui-même vieilli et de devoir changer de registre. Et la solution trouvée avait de quoi laisser bouche bée : réinvestir sa facette de cascadeur fou développée dans la saga Police Story pour la transformer en une sidérante séance d’auto-flagellation publique. Fallait oser.
Dès le premier quart d’heure du film, on prend déjà la pleine mesure de la révolution en marche. Visage fiévreux et plissé, pantomime de loser alcoolique, démarche brinquebalante et humiliante à souhait, larmes mêlées aux gouttes de sueur : Jackie Chan rentre dans le film tel un héros brisé et résigné, littéralement mis à genou dans une ruelle glauque de Hong Kong où il va jusqu’à vomir ses tripes et son dégoût de lui-même. Presque du néo-Abel Ferrara dans un écrin néon à la Wong Kar-waï, où Jackie ne cache rien de son désir de privilégier la dramaturgie sur le cabotinage. Et c’est littéral : véritable œuvre psychologique qui se frotte aux codes de l’action (et non l’inverse), New Police Story s’engage sur un terrain que l’on ne soupçonnait pas acquis à un acteur comme lui et dynamite une par une toutes nos attentes. L’une des premières scènes du film est d’ailleurs un leurre bien senti : la formule gagnante de Police Story parait reprendre du poil de la bête en intronisant Jackie en sauveur-guignol d’une situation délicate (en l’occurrence une prise d’otage menée par un yuppie désespéré), en le plaçant face à des supérieurs bornés ou en en faisant l’objet de conquête d’une jeune femme jouée par la mignonne Charlie Yeung (The Lovers). Sauf que le protagoniste ne se veut plus ici le même que dans les quatre précédents films de la saga, signant de ce fait une rupture implicite avec le passé afin de viser autre chose. Et que le « new » du titre prouve assez bien que l’idée consiste moins à dépoussiérer une formule qu’à la transformer en palimpseste new look. On aurait pu voir là-dedans une solution de facilité, voire un piège fatal qui ancrerait le film dans une réactualisation techno des codes d’antan, mais la simple persistance avec laquelle Jackie cherche à se faire « vraiment mal » dans chaque scène – c’est-à-dire en souffrant intérieurement plus que physiquement – suffit à désintégrer cette lecture.
Dès l’instant où notre star à la cinquantaine naissante subit une scène réellement tragique et traumatisante, assistant impuissant au massacre de tous ses coéquipiers dans un labyrinthe high-tech aux allures d’escape game morbide, le ton est donné. Face au temps qui aura défilé trop vite, face à une époque qui n’obéit plus aux mêmes règles, face à un monde revisité en jeu vidéo grandeur nature, face à un nouvel ennemi qui absorbe le futur au lieu de rester figé dans le passé, il est temps d’admettre son impuissance et, pour rebondir, de soigner le mal par le mal dans un élan de cruauté contre soi-même. Le caractère bondissant du kung-fu n’est donc plus un enjeu en soi, mais juste un passage obligé pour Jackie, ici décliné par à-coups lors d’une confrontation succincte ou d’un faux climax final à l’intérieur d’un magasin Lego, tandis qu’une poignée de cascades folles (dont une descente en rappel en vélo le long d’un building !) et de fusillades surdécoupées se mangent la plus grosse part du gâteau. N’allons pas dire par là que les scènes d’action de New Police Story auraient pour vocation de tomber toujours à plat, mais il est clair qu’on ne s’en préoccupe pas vraiment. Tout ce qui guide le récit se résume à un Jackie Chan enfin capable d’investir l’espace scénique à des fins purement émotionnelles, magnifiant la rédemption de son personnage de flic déchu en se plaçant au cœur d’une suite d’épreuves profondément dramatiques et en osant ainsi le défi le plus décisif de sa carrière d’acteur (de son propre aveu, jouer l’émotion lui a toujours paru plus difficile que de sauter entre deux immeubles !). Chaque nouvelle péripétie au cœur du récit, confrontant souvent la pression du travail de flic aux déboires de la vie privée, prend ainsi aux tripes dès lors qu’elle oublie l’action pure au profit d’une dramatisation foudroyante, avec comme point culminant un suspense stressant à base de billes métalliques sur une bombe décorée en jeu d’équilibre. Dans ses moments-là, on ne voit plus Jackie Chan comme avant : le cascadeur rigolo disparaît au profil d’un acteur habité, bouleversant et régénéré.
On l’aura bien compris : Jackie Chan est ici un vestige d’antan qui se retrouve soudain entouré par des jeunes, que ce soit ceux qui ne cessent de le porter au pinacle (dont un jeune coéquipier joué par Nicholas Tse, acteur vedette du génial Time and Tide) ou ceux qui transforment son existence en chemin de croix toujours plus douloureux. D’un côté la mise en valeur protectrice du passé, et de l’autre le saccage pur et simple du présent au profil d’un chaos tous azimuts, propagé par une armada de gosses de riches nihilistes, sans idéaux et en mal de sensations fortes, qu’un jeune sociopathe humilié par un père commissaire et carriériste embarque de plein fouet dans sa haine viscérale des forces de l’ordre. Au beau milieu de tout cela, la posture de Jackie reste finalement la même. Côté fond, derrière le clown et la star se cache encore l’humaniste discret, ici fort d’un discours touchant sur la valeur de l’effort et de la sagesse qu’il adresse implicitement à la jeunesse – la superbe scène finale qui éclaire tout le récit en est une très belle preuve. Côté forme, son ego enflé qui aura fait office de « seul maître à bord » sur ses films les plus glorieux devient ici une force insoupçonnée, surtout avec rien d’autre que ce tâcheron de Benny Chan à la réalisation. En effet, si ce dernier a parfois pu surprendre via une certaine maîtrise visuelle et un goût évident pour la dramaturgie (on se souvient des trois destins croisés de Divergence), son statut de « valeur sûre » de l’industrie ciné locale aura surtout engendré des produits commerciaux et sans âme comme Who am I (déjà avec Jackie Chan), Big Bullet ou encore Heroic Duo. Sans surprise, sa mise en scène se veut là aussi de la (jolie) poudre aux yeux. Ainsi donc, les quelques plans ahuris qui zèbrent le film ici et là sont traités moins comme des néo-perspectives à la Michael Mann que comme des effets de style élégants et branchouilles, en accord avec le jeunisme triomphant des années 2000. Pure démarche de mercenaire high-tech, donc, renforcée là encore par des effets spéciaux en 3D, un casting de jeunes premiers de la cantopop pour jouer les vilains, et des clins d’œil gadgets aux univers du jeu vidéo et des sports extrêmes. Une couille dans la soupe aux nouilles, donc ? Pas du tout.
L’intelligence de Jackie Chan aura consisté à prendre acte de cette réactualisation (désormais généralisée) du blockbuster HK pété de thunes, histoire que Benny Chan puisse mener sa barque le mieux possible pendant que lui s’évertuerait à laisser la puissance de son jeu d’acteur véroler de l’intérieur une entreprise a priori trop classique et trop bien rodée. Ou comment le « petit dragon » d’antan se fait soudain plus adulte et mature qu’il ne l’a jamais été à force de jouer les morpions subversifs dans un cadre qui fut autrefois son propre empire. Paradoxe gonflé que voilà, mais bel et bien en accord avec cette volonté d’envoyer une vraie et grande lettre d’excuses à ses fans les plus désillusionnés ainsi qu’à lui-même. Même le simple fait de nous balancer son traditionnel bêtisier des cascades ratées en guise de générique final produit le même effet : on ne voit plus un guignol exhibant ses plaies et ses bosses dans un curieux élan de masochiste, mais un vrai acteur qui se « met en scène » avec d’insistants regards caméra adressés à des destinataires bien identifiés. Si l’on doit encore dénicher une certaine forme de scarification à la fin d’un film de Jackie Chan, il est évident qu’elle est à la fois morale et émotionnelle, et que, pour la première fois, elle vise aussi bien le spectateur que l’acteur. Au fond, peut-être que ce cher Jackie devait en passer par une telle remise en question de son propre style pour lui redonner le ravalement de façade salutaire dont il avait cruellement besoin. Pour autant, pas sûr qu’il ait fini par en retenir la leçon : l’année suivante, le bougre débutait le tournage de Rush Hour 3 aux Etats-Unis avant d’entamer à nouveau une décennie de produits hongkongais sans âme ni ambition artistique. New Police Story restera donc une digne parenthèse, heureuse et puissante. Le reste, c’est une autre histoire. Non pas de police, mais de polissage.