REALISATION : Maïwenn
PRODUCTION : France 2 Cinéma, Les Productions du Trésor, StudioCanal
AVEC : Vincent Cassel, Emmanuelle Bercot, Louis Garrel, Isild Le Besco, Chrystèle Saint-Louis Augustin, Patrick Raynal, Norman Thavaud, Yann Goven
SCENARIO : Maïwenn, Etienne Comar
PHOTOGRAPHIE : Claire Mathon
MONTAGE : Simon Jacquet
BANDE ORIGINALE : Stephen Warbeck
ORIGINE : France
GENRE : Comédie, Drame, Romance
DATE DE SORTIE : 21 octobre 2015
DUREE : 2h05
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Tony est admise dans un centre de rééducation après une grave chute de ski. Dépendante du personnel médical et des antidouleurs, elle prend le temps de se remémorer l’histoire tumultueuse qu’elle a vécue avec Georgio. Pourquoi se sont-ils aimés ? Qui est réellement l’homme qu’elle a adoré ? Comment a-t-elle pu se soumettre à cette passion étouffante et destructrice ? Pour Tony c’est une difficile reconstruction qui commence désormais, un travail corporel qui lui permettra peut-être de définitivement se libérer…
Il serait a priori si simple de régler fissa le cas de Maïwenn en tant que cinéaste, quitte à adopter le tempérament d’un psy fatigué. N’y aurait-il donc à voir chez elle qu’une forme d’auto-analyse déclinée en quatre longs-métrages, connectés de près ou de loin à un passé tourmenté sur lequel la presse people aurait tant de facilité à faire ses choux gras ? En fait, le « oui » s’avère d’autant plus délicat à répondre que la « maïwhaine » en arrive à devenir un peu suspecte au fil des années. Sur le fond, il n’y a évidemment rien de mal à ce qu’une actrice décide d’enfiler la casquette de réalisatrice pour se raconter soi-même, surtout quand le premier stade de thérapie consiste en un règlement de comptes familial d’une violence inouïe (Pardonnez-moi), censé hurler en DV le tabou d’une enfance battue bien réelle. Mais dès que les stades suivants font mine d’aborder un sujet « autre » pour en fait tout ramener à soi-même, le problème apparaît. Qu’elle essaie de « déshabiller » les actrices dans tous leurs états (Le bal des actrices) ou de capturer le quotidien brut d’une brigade de protection des mineurs (Polisse), l’ex-femme de Luc Besson ne peut s’empêcher de monopoliser le cadre et de circonscrire l’enjeu du récit à sa propre personne, malgré un geste de cinéaste qui ne cesse de s’affirmer d’un film à l’autre. Qui est donc Maïwenn ? Une tête-à-claques égocentrique ou une vraie réalisatrice en devenir ? Accueilli de façon plus que mitigée au festival de Cannes 2015, Mon roi nous complique encore plus la tâche pour y répondre…
Histoire de tenter un élément de réponse, on pourrait souligner chez Maïwenn le désir indiscutable de rechercher la vérité à tout prix. La sienne, bien sûr, mais aussi celle qui irrigue une situation, qui tence les idées toutes faites, qui fait chauffer le fer des émotions jusqu’à réussir à le tordre. Et par extension, la volonté de ne pas chercher à s’assagir lorsqu’une situation ne l’implique pas. En s’intéressant à l’addiction amoureuse d’une avocate quadragénaire pour un bad boy restaurateur, Mon roi a semble-t-il déjà toutes les cartes en main pour faire bouillir la machine à hystérie propre au cinéma de Maïwenn. Déjà parce que le spectre de l’autobiographie se dévoile en filigrane, tant le protagoniste masculin serait – si l’on en croit les rumeurs – inspiré du play-boy Jean-Yves Le Fur, que Maïwenn épousa il y a 15 ans et avec qui elle eut un enfant. Ensuite parce que le scénario, pas neuf pour un sou sur le schéma d’une relation amoureuse toxique, cuisine chaque ingrédient au pluriel – grosso modo des engueulades et des rabibochages – au lieu de se rendre singulier en les dynamitant. Enfin parce que la narration accentue cette obsession de l’excès par l’ajout d’une sous-intrigue parallèle, assez déroutante au premier regard.
Le craquage qui inaugure l’intrigue n’est pas romantique, mais plutôt organique : à la suite d’une violente chute de ski, Tony (Emmanuelle Bercot) se retrouve dans un centre de rééducation afin de réparer un genou aussi esquinté que son mariage, et se remémore alors les dix années de hauts et de bas avec un pervers narcissique nommé Giorgio (Vincent Cassel) qui l’auront conduite au bord du précipice. De par ce système de flashbacks successifs, parfois troué de scènes apaisées dans le présent, le film s’inscrit d’emblée dans le domaine de la thérapie intime : c’est d’ailleurs le discours d’une psychologue, visiblement intriguée par un tel accident de ski (ici laissé à l’état d’ellipse pour que l’hypothèse d’un suicide ne soit pas écartée), qui active la médication mémorielle de Tony. Sauf que le parallèle entre la love-story autodestructrice et les discussions de Tony avec des jeunes frimeurs issus des cités (dont le youtubeur Norman !) ne cesse de tirer le film d’un côté ou de l’autre sans parvenir à un vrai équilibre dramaturgique. D’un côté, la désintégration par l’amour, et de l’autre, la rééducation par l’amitié : c’est ça ? C’est tout ? Difficile à croire. Cette narration parallèle s’avère vite si artificielle qu’on préfère alors se focaliser sur l’histoire d’amour, avant tout moteur intime du scénario.
Si la théorie n’a ici rien de nouveau, Maïwenn redouble ici d’efforts dans la mise en pratique afin d’éradiquer – ou de transcender – les clichés inhérents à ce genre codifié qu’est la passion amoureuse. La stratégie est ici double, et elle fonctionne dans un cas, mais pas dans l’autre. Ça fonctionne parfaitement lorsque la réalisatrice s’obstine à pervertir la tonalité d’une situation déjà vue mille fois : chez elle, une simple scène de drague dérive vers l’insolite (pour forcer Tony à le revoir, Giorgio lui donne son portable au lieu du numéro !), un repas d’anniversaire en famille devient un spectacle des plus hilarants (en s’improvisant serveur et sommelier, Giorgio enchaîne les gaffes) et la visite d’un nouvel appartement ne donne ici rien d’autre que les prémices d’une violente cassure maritale (l’espoir d’un domicile familial se floute alors pour Tony). Dans ces moments-là, filmés de façon percutante et dialogués aux petits oignons, Maïwenn réussit le plus difficile : enrichir une situation par le truchement de deux tonalités, l’une qui soutient la situation codifiée, l’autre qui s’y installe pour mieux la tordre. D’une certaine façon, Mon roi est ainsi fait : le récit d’une passion amoureuse au premier plan, une suite de montagnes russes intérieures en arrière-plan, avec un indice de perversion qui joue le rôle de l’arbitre.
Mais là où Maïwenn chute de son piédestal, c’est à partir du moment où elle tente l’esquive par un jeu – ici totalement bêta – sur les mots et les symboles. C’est d’abord le genou de Tony qui se retrouve en ligne de mire dès le dialogue inaugural avec la psychologue : son irresponsabilité à l’origine de son accident est ici soulignée par un jeu de mot bidon que l’on croirait extrait d’une chanson de Zazie (prononcez « genou » lentement, ça devient « Je-Nous » !), et un texte ultra-pompeux sur la symbolique de l’articulation du genou l’incite ici à interroger son passé pour espérer aller de l’avant. Même lorsqu’il s’agit d’évoquer les hauts et les bas de la relation entre Tony et Giorgio, il suffit à la réalisatrice de rappeler le mouvement d’un électrocardiogramme au détour d’un dialogue (on vit si ça fait des zigzags, on meurt si ça reste plat) pour tenter de justifier ce mélange de calme et d’hystérie auquel son film pourrait être résumé – un peu facile comme idée. Sans parler de quelques dialogues imbitables qui annoncent le désastre à venir, aussi bien quand on démarre la relation sexuelle (« T’as pas trouvé que j’étais trop… large ? ») que lorsque l’idée du mariage est évoquée (« On va se marier ? Non, on va se marrer ! »).
Et la mise en scène, alors ? Voilà bien l’autre gros sujet qui fâche lorsque l’on parle de Maïwenn. Soyons aussi cash qu’elle : chacun de ses trois premiers films donnait souvent l’impression de n’être que le brouillon d’un film, composé de gros blocs de scènes enfilés comme des perles et sans monteur digne de ce nom pour structurer les raccords entre eux. Ce n’est pas le cas de Mon roi qui, en raison d’une mise en scène bien plus travaillée, s’impose clairement comme son film le plus abouti. Celle qui avouait il y a quelques années en interview « se foutre du cadre, se foutre de la lumière, et penser uniquement à ses acteurs » a visiblement compris son erreur, utilisant enfin le cadre et la lumière à des fins émotionnelles. Le tournage en caméra portée laisse ici la place à de vrais mouvements de caméra, les cadres sont posés et composés pour mieux structurer l’espace dans lequel se jaugent les personnages, et chaque scène se révèle suffisamment creusée et fouillée pour que le passage de l’une à l’autre ne paraisse pas trop brutal – une technique qui rappelle beaucoup Pialat ou Kechiche. De plus, au-delà d’une belle esthétique qui transpire de l’image, le fait d’avoir tourné le film en Scope impose surtout une horizontalité dans les échanges, où tout le monde est mis sur un pied d’égalité, sans prétention à feindre la modestie ni propension à juger qui que ce soit.
Les acteurs épousent eux aussi cette maîtrise du cadre, nous imposant pour de bon de considérer Maïwenn comme une prodigieuse directrice d’acteurs. Ici, il est clair qu’elle a su se surpasser. Déjà qu’imposer à Emmanuelle Bercot de pratiquer la mise à nu physique et psychologique sur tous les schémas envisageables n’était pas une chose acquise d’avance pour elle (un Prix d’interprétation cannois était sans doute assez mérité), mais qu’elle réussisse à donner à Vincent Cassel son plus grand rôle tient ici du coup de maître. Plus animal séducteur que jamais, inoculant un mélange équilibré d’amour et de venin dans chaque scène où il s’exprime, c’est clairement lui qui bouffe le film autant qu’il ronge les fibres émotionnelles de sa partenaire de jeu – le titre et l’affiche n’ont rien de mensonger. Du côté des seconds rôles, si elle n’offre qu’un rôle plus décoratif qu’autre chose à sa sœur Isild Le Besco, la réalisatrice tape néanmoins dans le mille en offrant à Louis Garrel le rôle du frère déconneur de Tony, pour le coup à contre-courant de cette image exaspérante de bobo dépressif qu’il traîne depuis longtemps – on n’avait jamais eu autant de plaisir à le voir jouer un rôle. Une distribution impeccable sur laquelle toute réserve ne manquera pas de s’écraser contre un mur.
Au final, histoire de revenir à notre interrogation inaugurale, il est encore trop tôt pour déterminer si Maïwenn réussira un jour à sortir de ses problématiques personnelles et de son sujet de prédilection (la passion amoureuse irrigue tous ses films) pour travailler un matériau différent sans utiliser son vécu comme une esquive. Ne serait-ce que sur le terrain de la mise en scène, Mon roi nous pousse néanmoins à la considérer comme ayant pleinement acquis son brevet de cinéaste après trois films où elle semblait encore tâtonner dans une forme gonflante de cinéma-vérité. Pourtant, la fragilité de son cinéma reste aussi persistante que ses défauts, ce qui nous pousse autant à lui transmettre de sincères encouragements qu’à conserver une certaine prudence. Son quatrième film nous identifie plus d’une fois à Tony vis-à-vis de Giorgio : il est bourré de défauts, mais rien à faire, on a envie de l’aimer. Quant à savoir si Maïwenn réussira encore à nous avoir à l’usure avec ses prochains films, ça, c’est une autre histoire. Affaire à suivre, donc.