REALISATION : Franck Khalfoun
PRODUCTION : La Petite Reine, Orange studio
AVEC : Elijah Wood, Nora Arnezeder, America Olivo…
SCENARIO : Alexandre Aja, Grégory Levasseur, C.A. Rosenberg
MONTAGE : Franck Khalfoun, Baxter
PHOTOGRAPHIE : Maxime Alexandre
BANDE ORIGINALE : Rob
ORIGINE : France
GENRE : Horreur, Thriller, Remake
DATE DE SORTIE : 02 janvier 2013
DUREE : 1h29
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Dans les rues qu’on croyait tranquilles, un tueur en série en quête de scalps se remet en chasse. Frank est le timide propriétaire d’une boutique de mannequins. Sa vie prend un nouveau tournant quand Anna, une jeune artiste, vient lui demander de l’aide pour sa nouvelle exposition. Alors que leurs liens se font plus forts, Frank commence à développer une véritable obsession pour la jeune fille. Au point de donner libre cours à une pulsion trop longtemps réfrénée : celle qui le pousse à traquer pour tuer…
A Hollywood plus qu’ailleurs, il y a remake et remake. D’un côté, il y a le simple désir de capitaliser à plein régime sur un matériau existant, ce qui consiste donc à le réadapter sans réel changement ni risque pour les neurones, et ce dans une optique purement commerciale. Un tableau qui reste le plus fréquent à apparaître au sein de la galerie, inutile de se le cacher. Et de l’autre côté, on peut parfois oser une autre démarche, qui consiste à ne pas jouer le jeu du décalquage sans âme pour conférer bien au contraire une vraie singularité à un canevas connu de tous. En cela, que serait donc l’image du remake parfait ? Une œuvre qui transcende le matériau d’origine par une nouvelle approche stylistique et narrative ? Un film qui reprend tout à zéro et redéfinit les règles à sa sauce ? Quelque chose entre les deux ? Les exemples les plus célèbres ont beau ne pas être très nombreux (True Lies de James Cameron, Scarface de Brian De Palma, Le convoi de la peur de William Friedkin, etc…), chacun d’eux tend à valider plus ou moins chacune de ces règles. A la longue, on finira tout de même par croire que la formule magique réside peut-être dans un entrisme des plus vicieux, dans cette façon de jouer le jeu du décalque pour se livrer en secret à un torpillage absolu.
Installé aux Etats-Unis depuis le succès d’Haute tension, le tandem formé par Alexandre Aja et Grégory Levasseur est sans doute le plus beau représentant de ce parti pris : le brio avec lequel le duo se sera attaqué au reboot de films cultes aura abouti à deux éclatantes réussites, avec le désir souterrain et plus pervers qu’il n’en a l’air de poser un regard coup de poing sur l’Amérique (les essais nucléaires dans La colline a des yeux, le Spring Break dans Piranha 3D). Les voir s’attaquer au remake de Maniac n’était en revanche pas pour nous réjouir : si les films de Wes Craven et de Joe Dante avaient fini par prendre de vilaines rides avec le temps (et, ainsi, par révéler leurs défauts inavouables), celui de William Lustig restait encore aujourd’hui un classique inoxydable, pour ne pas dire le genre de film intouchable où la question d’un remake était à la limite du tabou. Mais voilà, ils ont quand même osé. Avec une arme de destruction massive qui nous force à capituler.
Encore aujourd’hui, que peut-on retenir du film-choc de William Lustig ? Déjà qu’il constitue encore l’exemple-rêvé du film de psycho-killer, propice à une immersion des plus dérangeantes au cœur de la psyché d’un cinglé. Mais surtout, et c’est une évidence qui continue de faire l’effet d’une gifle, le film tenait avant tout à deux éléments d’une importance capitale : une ambiance malsaine retranscrite par un tournage caméra à l’épaule (le naturalisme de l’image donne encore des sueurs froides) et le jeu saisissant de Joe Spinell, acteur massif à la gueule mythique qui trouvait ici le rôle le plus marquant de sa carrière (en plus d’être coscénariste du film). Le reste, des sonorités stridentes de Jay Chattaway aux effets gore signés Tom Savini, était au diapason de ce petit film fauché qui n’avait pas volé son statut de référence. Reste que si le film de Lustig pouvait être l’alpha du genre, cette nouvelle version de Maniac en constitue l’oméga. Comprenons par là qu’Aja et Levasseur, épaulés par le très éclectique Thomas Langmann à la production, l’ont clairement envisagé comme une variation qui pousserait le concept jusque dans ses ultimes retranchements. Faut-il en déduire que le film de Lustig n’allait pas assez loin dans l’immersion au sein d’un esprit malade ? Dès la scène d’ouverture du film, le « oui » reste la seule réponse possible, tant ce remake ne cache rien de son astuce suprême : conserver les repères principaux du récit d’origine (une suite de meurtres sous forme de dérive nocturne) et ses bases œdipiennes (un psychopathe hanté par les souvenirs d’une mère violente et prostituée) pour les inscrire dans un processus artistique diamétralement inversé.
En tant que tel, le concept de vue subjective n’a rien d’une révolution (des cinéastes comme De Palma ont su l’employer avec une virtuosité quasi inégalée), mais le fait de l’établir comme parti pris de mise en scène sur près de 90%, en vue d’épouser la subjectivité du serial-killer et ses perceptions sensorielles, reste en soi une idée de génie pour favoriser la réinvention d’une figure aujourd’hui galvaudée (l’errance d’un personnage dangereux). Un peu comme si Carpenter s’était mis en tête d’étirer la mythique scène d’ouverture d’Halloween jusqu’au point de non-retour. Pour autant, le réalisateur Franck Khalfoun (déjà responsable d’un 2ème sous-sol peu marquant) ne joue pas dans le terrain du filmage ininterrompu en temps réel : en guise de révérence envers un genre qui se veut viscéral et perturbant, le montage évite le piège du plan-séquence à l’infini, joue très précisément sur les ruptures de perception et de point de vue, ose parfois laisser de côté son concept au détour d’une action précise (un déferlement de coups de poignard dans un parking, un scalpage sadique dans une chambre d’hôtel), et du coup, fait mine de respecter le principe d’une immersion subjective absolue pour mieux le vriller par des effets de mise en scène très classiques (une simple rotation de point de vue à 180°, par exemple). Certes, on aurait pu considérer par là que Khalfoun aurait fait preuve de maladresse en osant par instants un découpage plus « traditionnel », hormis dans quelques flashbacks et scènes oniriques où le changement d’angle trouve un beau point d’ancrage. Pourtant, on aura du mal à ne pas y voir au contraire l’une des astuces du projet : si le film doit perturber les sens du spectateur et annihiler toute possibilité de distanciation, autant en passer par ces ruptures de filmage. La caméra subjective impose un effroi des plus sidérants, mais l’immixtion de petites parcelles d’objectivité dans ce processus en décuple la portée désorientante.
Étant donné que le Maniac original restait également une œuvre profondément terrifiante, il était vital que ce remake porte l’objectif à un nouveau degré. Et là encore, le parti pris de Khalfoun déploie une efficacité redoutable dans la mise en scène de la terreur : en collant aux déplacements de son protagoniste et en laissant filtrer de simples détails corporels (surtout les mains et les pieds), le réalisateur installe un dispositif qui rend plus effrayante chaque montée graduelle de tension, au point de rendre l’acte meurtrier infiniment moins insoutenable que ce qui le précède. Dans cet univers subjectif où la bande-son suffit souvent à créer le malaise en adéquation avec les images (voir comment la respiration rauque de Frank Zito s’inscrit sur chaque séquence de surveillance), le voyeurisme est bien sûr de mise, en particulier lorsque le sexe joue un rôle déterminant dans le réveil des pulsions violentes.
Sur ce point, le second meurtre, qui prend place dans l’appartement d’une jeune nymphomane, enregistre une saisissante proximité physique entre le tueur et sa future victime, que la caméra se charge de rendre aussi charnelle et sensorielle que possible. Et d’un autre côté, le fait d’avoir installé une idylle naissante entre le tueur et une jeune photographe (jouée par la très jolie Nora Arnezeder) amène cette mise en scène du contact corporel vers un trouble supplémentaire, noyant ainsi le sentiment amoureux et la pulsion meurtrière dans un même bain d’incertitude. Quant à l’appartement de Frank, situé dans l’arrière-salle d’une boutique de mannequins, il reste le reflet d’un monde artificiel et pourtant idéalisé. Si la figure féminine possède une incarnation précise dans Maniac, c’est celle de la pureté, forcément impossible mais recherchée envers et contre tout (ceci reste l’épicentre de la folie de Frank), d’où le contraste entre une mère salie par le vice et une potentielle petite amie aux allures de vierge immaculée. L’incroyable richesse de ce remake tranche donc là encore avec la tonalité unilatérale du film original, à travers lequel Lustig restait avant tout collé aux basques de son protagoniste au point de transformer en satellites la plupart des seconds rôles (dont la charmante Carolyn Munro). Khalfoun, lui, va infiniment plus loin sur le fond, épaulé en cela par une forme sidérante de beauté.
Sur le reste du film, on pourrait évidemment en remettre une couche sur ce qui constitue ces innombrables qualités, de l’envoûtante bande originale de Rob (l’une des plus abouties que l’on ait pu entendre depuis très longtemps) jusqu’aux nombreux clins d’œil envers le film original (voire comment la silhouette de Frank Zito, grossie par reflet sur une surface de voiture, redonne vie à l’image mythique de l’affiche du Maniac original). Mais rien ne mériterait davantage de louanges que la prestation d’Elijah Wood, bien au-delà du moindre superlatif. On se doutait depuis quelques films de la brillante reconversion de l’acteur, notamment au travers de son rôle de psychopathe cannibale dans le Sin City de Robert Rodriguez, mais pas au point que le candide Hobbit d’autrefois ait pu définitivement laisser la place à la figure de boogeyman la plus glaçante du moment. En investissant le rôle d’un Frank Zito 2.0 qui tranche radicalement avec la silhouette massive de Joe Spinell, le jeune acteur démontre ici toute la logique de son jeu bipolaire, passant de l’innocence la plus évidente à la perversité absolue sans aucune variation d’intensité dans le regard. Le choix de l’acteur, pourtant très contesté par les fans du film original, s’impose ainsi comme une magistrale idée de casting, servant à merveille la thématique désenchantée du film et l’optique du tandem Aja/Levasseur d’avoir souhaité offrir à leur tueur un double visage, à la fois prédateur des autres et proie de lui-même. Délice de la désorientation, là encore, qui n’en finit jamais d’habiter ce stupéfiant film-choc, digne de ravir la place de son modèle sur le trône du genre.