REALISATION : Julien Maury, Alexandre Bustillo
PRODUCTION : La Fabrique de Films, Plug Effects, SND
AVEC : Chloé Coulloud, Félix Moati, Jeremy Kapone, Catherine Jacob, Marie-Claude Pietragalla, Béatrice Dalle
SCENARIO : Julien Maury, Alexandre Bustillo
PHOTOGRAPHIE : Laurent Barès
MONTAGE : Baxter
BANDE ORIGINALE : Raphael Gesqua
ORIGINE : France
GENRE : Fantastique, Horreur
DATE DE SORTIE : 7 décembre 2011
DUREE : 1h31
BANDE-ANNONCE
Synopsis : En Bretagne, la nuit d’Halloween. Lucie Clavel et deux copains décident sur un coup de tête de cambrioler la maison de Deborah Jessel, une professeur de danse classique, aujourd’hui centenaire énigmatique plongée dans le coma. Durant cette nuit tragique et fantastique, Lucie perse le mystère de cette maison et le secret de Deborah Jessel…
Il aura fallu quatre ans aux jeunes prodiges Julien Maury et Alexandre Bustillo pour transformer l’essai brillant d’A l’intérieur, leur survival ultragore qui avait éclaboussé les salles obscures en 2007. Quatre ans d’hésitation et de projets avortés, durant lesquels les deux compères, cinéphiles avertis et dotés d’une vraie personnalité artistique, auront été rattachés à la plupart des reboots de franchises horrifiques aux Etats-Unis, qu’il s’agisse de la saga Hellraiser, de la nouvelle version (assez foireuse) des Griffes de la nuit, ou encore du hardcore Halloween 2, qu’ils devaient vraiment réaliser avant que Rob Zombie ne décide de récupérer le projet. Le retour sur les terres hexagonales s’est donc fait en douceur, et sur un mode diamétralement opposé : bien que le sang continue d’y gicler à doses excessives, Livide apparait d’emblée comme le miroir onirique de leur précédent film, et signe ainsi la volonté des cinéastes de dévier vers la poésie gothique.
Pour autant, cette poésie était déjà présente dans A l’intérieur, même si les excès d’hémoglobine de ce film énervé ont sans doute fait plus d’impression chez les cinéphiles : il suffisait de se souvenir du sublime plan final, où une Béatrice Dalle défigurée laissait éclater son désir maternel avec le bébé arraché au ventre d’Alysson Paradis, à travers un léger zoom arrière qui isolait cette figure maléfique et tragique dans une obscurité de plus en plus prononcée. On pouvait retrouver ici l’une des caractéristiques du cinéma d’horreur italien période Bava ou Argento, à savoir le désir de capturer la beauté dans l’horreur, de trouver de la poésie dans des situations horrifiques en général figées dans le Grand-Guignol, et d’y dénicher une vraie émotion, sincère et jamais feinte. Sur ce point précis, Livide permet aux deux cinéastes en herbe de passer au niveau supérieur. Traversé de diverses réminiscences au monumental Suspiria de Dario Argento (ne serait-ce que par la présence d’une ancienne académie de danse qui renferme un terrible secret), ce film fantastique minimaliste s’installe dans un cadre très hexagonal (les côtes bretonnes et leur lot de légendes locales), pour y suivre les mésaventures de trois jeunes du coin, décidés une nuit à cambrioler la maison de Déborah Jessel, vieille professeur de danse centenaire plongée dans le coma, dont les rumeurs laissent croire à l’existence d’un trésor dans cette bâtisse aussi vaste que ténébreuse.
Inutile d’en dire davantage, d’une part parce qu’il est facile de deviner que le cambriolage va mal tourner, d’autre part parce que le film s’avère assez imprévisible dans sa deuxième moitié. Que l’introduction du film soit un poil trop longue et surligneuse d’intentions n’est paradoxalement pas un problème : tout comme cela pouvait être le cas dans A l’intérieur, les réals prennent le temps de poser leur atmosphère, de créer une similarité avec leurs personnages. Le cadre de la Bretagne, extrêmement bien exploité dans la première demi-heure (merci à la photo signée Laurent Barès), renoue avec le fantastique suggestif des giallos italiens comme avec la beauté esthétique de certains essais français récents comme Derrière les murs. Le tandem Maury/Bustillo semble travailler le cinéma en esthètes dont la mise en scène et les fulgurances esthétiques suffiraient en principe à donner chair aux sentiments de leurs personnages, ce qui n’est pas du tout pour déplaire. Afin de laisser libre cours à leurs innombrables idées et de faire en sorte que tout puisse tenir en un seul récit d’à peine 1h30, les deux cinéastes construisent leur récit comme un pur exercice de style, à la fois esthétique et sensitif, débutant par une narration épurée et très linéaire, pour ensuite, dès l’instant où le cambriolage de la maison tourne au désastre sanglant, osciller vers une narration onirique que n’aurait pas renié le Christophe Gans de Silent Hill.
Du coup, Livide devient une sorte d’hydre à deux têtes dont on ne sait jamais trop si la réunion de ces deux entités distinctes serait vraiment nécessaire, ne serait-ce parce que l’atmosphère brumeuse du film se répercute sur les enjeux dramatiques, au point de donner au film des allures de cauchemar tour à tour doucereux et terrifiant. Le cambriolage de la maison, très progressif et suivi quasiment en temps réel avec un montage qui limite les coupes autant que possible, est ainsi à double tranchant : on a d’abord l’impression d’être dans un train fantôme insidieux et adroitement pensé, où les rebondissements inattendus et les giclées gore clouent le spectateur à son siège, puis de basculer dans une autre dimension où s’opère une inquiétante valse des temporalités. La présence de quelques flashbacks, pour le plupart très bien amenés, déballent une beauté esthétique souvent faramineuse (voir la superbe envolée de la jeune ballerine vampire dans les airs), mais n’installent pas forcément un lien direct avec le parcours de l’héroïne, seul réceptacle intimiste des réminiscences de la tragédie qui s’est déroulée entre ces murs. Cette façon de donner à l’héroïne le simple rôle du regard du spectateur, vite dérouté par le basculement narratif du récit, constitue la principale faiblesse du film, et ne donne au public qu’une présence passive. Même chose lors d’un final rappelant très fortement celui de Blade 2, où les idées visuelles des deux réalisateurs semblent un peu trop plaquées sur l’intrigue sans que cela soit justifié.
Côté interprétation, c’est aussi un peu inégal : si l’inattendue Catherine Jacob se révèle excellente en infirmière aux intentions noires, on ne peut pas en dire autant de Marie-Claude Pietragalla, reine de la danse théâtrale qui semble tellement persuadée d’être l’objet de toutes les attentions dans ses scènes qu’elle en arrive à surjouer comme une patate. Quant aux jeunes acteurs, ils ne sont pas suffisamment crédibles pour qu’on ait envie de s’attacher à leur sort : outre deux acteurs de LOL toujours pas extraits de leur image de « bôgoss » à la sauce AB Productions (Félix Moati et Jérémy Kapone), la belle Chloë Coulloud ne réussit pas toujours à dégager une vraie émotion et, à certains moments, en arriverait presque à ressembler à un clone désincarné d’Alysson Paradis. Pour autant, ces quelques imperfections ne dénaturent en rien la stupéfiante beauté du film ou ses idées plastiques : même en recyclant quelques scènes de leur précédent film (la salle de bain, avec une Béatrice Dalle en fantôme surgi du passé, renvoie à la scène du miroir dans A l’intérieur), Julien Maury et Alexandre Bustillo ont su poursuivre dans leur voie et rester fidèles à leur amour du genre. Si l’on pourra regretter de ne pas retrouver l’énergie et la rage de leur premier film, Livide s’avère plus abouti en terme de mise en scène et de production design, et donne vie à des séquences que l’on croirait extraites d’une ghost-story ibérique à la sauce Nacho Cerda ou Jaume Balaguero. Les réalisateurs partagent les mêmes thématiques que leurs compatriotes (l’enfance, la différence, la mélancolie, etc…), et leur film, sincère et brillamment exécuté, leur emboîter le pas avec une sacrée poésie. Laquelle fait vraiment son effet, au point qu’on puisse se surprendre à écarquiller les yeux devant des scènes qui, en général, par leur violence ou leur radicalité, devraient nous inciter à les fermer. Que de promesses pour la suite…