REALISATION : Tobe Hooper
PRODUCTION : Cannon Group, TriStar Pictures
AVEC : Steve Railsback, Peter Firth, Frank Finlay, Mathilda May, Patrick Stewart, Michael Gothard…
SCENARIO : Dan O’Bannon, Don Jacoby, Colin Wilson
PHOTOGRAPHIE : Alan Humer
MONTAGE : John Grover
BANDE ORIGINALE : Henry Mancini
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Horreur, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 18 septembre 1985
DUREE : 1h56
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Dans le sillage de la comète de Halley, l’équipage américano-britannique de la navette Churchill explore un gigantesque vaisseau spatial extraterrestre où ses membres découvrent trois sarcophages. Transférées sur Terre pour y être étudiées, les trois créatures révèlent rapidement leur véritable nature. D’humain, elles n’ont que l’apparence et vident quiconque les approche de son fluide vital pour gagner en puissance, en pouvoir de destruction. D’authentiques vampires en provenance du plus profond de l’espace…
C’est toujours triste à dire, mais il est des cinéastes longtemps portés aux nues par la critique et le public que l’on aimerait encourager, surtout au vu de leurs derniers faits d’armes, à lâcher leur caméra et à prendre leur retraite pour de bon. Tobe Hooper est assurément de ceux-là, inscrit depuis déjà bien longtemps à un club de cinéastes tantôt surestimés (comme Wes Craven) tantôt dépassés (comme Dario Argento), mais qui aura tout de même réussi l’exploit de cumuler désormais les deux adjectifs. Oui, l’homme a débuté en 1974 avec le mythique Massacre à la tronçonneuse, film d’horreur matriciel et insurpassable qui restera à jamais une référence dans l’Histoire du cinéma. Oui, il a ensuite signé l’un des rares exemples de blockbuster combinant horreur pure et fantastique populaire, à savoir le fameux Poltergeist, écrit et produit par Steven Spielberg. Mais depuis ce succès, et suite à de lourdes rumeurs invalidant son statut de metteur en scène sur ce film (omniprésent sur le tournage, Spielberg aurait soi-disant été le véritable réalisateur du film), l’image du bonhomme s’est affreusement ternie. Et après tant d’échecs au box-office et d’errance dans les méandres de la série Z, c’est dire à quel point on attend encore le film qui éviterait à Hooper de passer pour le dindon de la farce, de plus en plus dissimulé derrière l’aura d’un chef-d’œuvre pour conserver une réputation de génie qu’il n’avait peut-être jamais mérité.
Pour autant, au cours des années 80, la route de Tobe Hooper aura croisé celle du tandem formé par Menahem Golan et Yoram Globus, alias les pontes de la célèbre firme Cannon, réputés pour leur opportunisme et leur désir de s’attaquer à tous les genres populaires, pourvu que ça ratisse large et que ça capitalise sur le succès des franchises du moment. Ni grandes réussites artistiques ni grosses daubes torchées à la va-vite, les trois films qui naîtront de cette collaboration sont avant tout de purs produits de leur époque, réalisés dans des conditions délicates et plus ou moins incompris à leur sortie, qui achèveront de plonger Hooper dans les tréfonds de la série B cheap. Mais bien plus que L’invasion vient de Mars ou la suite totalement hilarante de Massacre à la tronçonneuse, c’est bel et bien le fameux Lifeforce qui aura connu le plus de désagréments, autant dans sa conception que dans sa réception. Alors que le résultat, enfin disponible en Blu-Ray dans sa version intégrale de 116 minutes, se révèle désormais à contre-courant de cette image de nanar foutraque en plus d’avoir étonnamment bien vieilli…
A la base de Lifeforce, il y a le roman Les vampires de l’espace écrit par l’écrivain existentialiste Colin Wilson, à travers lequel la Cannon voit déjà les prémices d’un gros blockbuster au budget conséquent (environ 25 millions de dollars). Et outre le choix d’un cocktail d’horreur et de science-fiction, le choix du scénariste Dan O’Bannon pour concevoir le script ne laisse d’ailleurs aucun doute sur le souhait du tandem Golan/Globus d’empiéter sur un territoire déjà magistralement labouré par le Alien de Ridley Scott. Reste que la production vire au chaos le plus total : O’Bannon tente d’implanter sa patte au projet tout en voyant son script subir de nombreux changements sans en être averti, le casting vire au casse-tête infernal (Klaus Kinski et Billy Idol avaient été envisagés), le tournage démarre avec une mouture inachevée du scénario pour se poursuivre avec pas mal de difficultés, le film finit par être remonté à n’en plus finir (la version exploitée en France aura été tronquée), et un résultat jugé trop fourre-tout achèvera de pousser le film vers l’échec commercial (à l’époque, le public privilégia Cocoon de Ron Howard). Revoir le film aujourd’hui anéantit pour de bon ce jugement faussé.
Certes, le film prend vite l’allure d’un vaste melting-pot thématique, allant de l’expédition spatiale en terre inconnue (encore et toujours Alien…) jusqu’à une invasion extraterrestre à la sauce Body Snatchers, sans compter quelques détours inattendus du côté de la réflexion philosophique (interrogation centrale : notre force vitale perdure-t-elle encore après la mort ?), du thriller à énigme, du zombie-movie, du gothisme flashy, du trip psychanalytique, du film de vampires modernisé, de l’érotisme soft et même du spectacle psychédélique où se déchaîne un torrent d’effets spéciaux… Ça fait beaucoup. Or, si la greffe fonctionne, c’est parce que Hooper fait mine de prendre son sujet improbable au sérieux tout en se lâchant comme un petit fou sur les ingrédients antagonistes qu’il propose à chaque scène. Ainsi donc, le cinéaste sort l’artillerie lourde dans le déferlement visuel et pyrotechnique, donnant même parfois à son film le relief d’une curieuse anthologie du genre qui mélange tout et son contraire sans jamais perdre de vue la ligne narrative qu’il s’est fixé. Une générosité totale qui, au bout du compte, génère chez le spectateur une sorte de double effet Kiss Cool : adhérer pleinement au mixage glouton de plusieurs tonalités ou s’amuser ironiquement du premier degré avec lequel une telle intrigue est traitée. Chacun choisira son camp, mais dans les deux cas, le plaisir ressenti renverra à l’aspect barré des meilleures séries B des années 80, en général gonflées d’une sacrée ambition conceptuelle.
Le soin apporté à chaque élément formel du film est indéniable : la photo d’Alan Hume enfile les variations colorimétriques comme des perles, la musique d’Henry Mancini et les effets spéciaux signés John Dyskstra n’ont globalement pas pris une ride, et la mise en scène de Tobe Hooper, couplée à un découpage d’une grande précision, orchestre un crescendo maîtrisé à partir de cadres brillamment composés. Pour autant, la qualité du spectacle proposé n’est pas la seule raison qui aura permis à Lifeforce de se bonifier avec le temps. Le symbolisme sexuel de son intrigue y est aussi pour quelque chose, surtout au vu de certains décors (un vaisseau alien en forme de spermatozoïde, un tunnel au look d’artère sanguine qui mène les cosmonautes aux trois sarcophages, etc…) et surtout du thème de la possession, ici revisité sous l’angle d’un virus qui se propage de corps en corps par les étreintes et aspire la force vitale de son hôte en exploitant ses sentiments les plus secrets, fanant au final son organisme pour n’en laisser qu’un squelette pourrissant. A ce stade, l’analogie avec les effets dévastateurs du sida n’est plus une vue de l’esprit. Et tant qu’on parle de sexe, il est impossible de passer sous silence l’élément le plus mémorable du film, à savoir la prestation totalement dénudée de Mathilda May, ici dans l’un de ses premiers rôles, dont la plastique et le regard perçant créent une emprise diabolique. Une prestation à l’image du film tout entier, si généreux et agréable à revoir qu’il suscite une vraie nostalgie.