REALISATION : Mikhaël Hers
PRODUCTION : Arte France Cinéma, MK2 International, Nord-Ouest Films, Pyramide Distribution
AVEC : Charlotte Gainsbourg, Quito Rayon Richter, Noée Abita, Megan Northam, Emmanuelle Béart, Didier Sandre, Thibault Vinçon, Laurent Poitrenaux, Lilith Grasmug, Zoé Bruneau
SCENARIO : Maud Ameline, Mikhaël Hers
PHOTOGRAPHIE : Sébastien Buchmann
MONTAGE : Marion Monnier
BANDE ORIGINALE : Anton Sanko
ORIGINE : France
GENRE : Drame, Romance
DATE DE SORTIE : 4 mai 2022
DUREE : 1h51
BANDE-ANNONCE
Synopsis : À Paris, dans les années 1980, Élisabeth vient d’être quittée par son mari et doit assurer le quotidien de ses deux enfants, Matthias et Judith. Elle trouve un emploi dans une émission de radio de nuit, où elle fait la connaissance de Talulah, jeune fille désœuvrée qu’elle prend sous son aile. Talulah découvre la chaleur d’un foyer et Matthias la possibilité d’un premier amour, tandis qu’Elisabeth invente son chemin, pour la première fois peut-être. Tous s’aiment, se débattent… leur vie recommencée ?
Hantée par tant de spectres cinéphiles, cette promenade mémorielle dans le Paris des années 80 accroît l’infinie préciosité du cinéma de Mikhaël Hers. Un bijou dont on ne voudrait jamais se séparer.
Elle se réveille tout doucement, très lentement, en plein milieu de la nuit. Elle fait quelques pas dans le couloir, jusqu’à atteindre le salon caractérisé par une immense baie vitrée offrant littéralement « fenêtre sur cour ». Par-delà la vitre, elle épie sereinement et silencieusement le monde extérieur, observe le spectacle des lumières de la vie nocturne, cale sa respiration et son énergie interne sur un temps pris en flagrant délit de ralentissement, pour ne pas dire de stase. Elle flotte dans l’éther de la nuit autant que nous tutoyons l’apesanteur sensorielle, piégés dans une proposition de cinéma où image et musique confinent à l’hypnose la plus inouïe… On vient de décrire une scène-clé des Passagers de la nuit. Mais on a surtout décrit une ambiance, une sensation – pour le coup celle que l’auteur de ces lignes chérit le plus au monde, et pas seulement sur un écran de cinéma. Cet état second qui relie le faux somnambulisme au plus prégnant et planant des rêves, qui engourdit légèrement l’organisme tout en radoucissant sa température interne, qui fragilise la dichotomie entre l’activité et le sommeil, qui confère aux silhouettes nocturnes une aura de zombie céleste et mélancolique… Voilà ce que le nouveau long-métrage de Mikhaël Hers cristallise encore mieux que n’importe quel autre film – hormis peut-être Lost in translation de Sofia Coppola. Et pour le coup, on parle aussi bien d’un film de cinéma que d’une constellation, parcourue de petits halos lumineux qui dessinent un chemin dans la nuit (avec un départ et une arrivée), pour des personnages assimilés à des étoiles ou des astres (brillants à l’œil nu mais peut-être déjà éteints depuis longtemps…). Beauté d’une œuvre spectrale, animée par un goût évident du fantomatique, par un cinéaste qui, après avoir tutoyé plus d’une fois l’état de grâce, aura fait briller cette année son plus bel astre dans le ciel étoilé de notre art préféré.
Mikhaël Hers n’aura pas attendu son passage au long-métrage en 2010 avec Memory Lane pour imposer un style évanescent qui se reconnait désormais en deux cadres et trois raccords de plan. On ne frise d’ailleurs pas l’hyperbole en parlant d’évanescence parce qu’aucun autre mot ne pourrait mieux convenir en l’occurrence, tant tout ce qui intéresse et stimule ce jeune cinéaste français – l’un des plus précieux du moment – déroule par ses choix de narration et de mise en scène à peu près tout le champ lexical de l’infrasensible et de l’insaisissable. D’abord un rendu magistral du temps qui, par le biais d’une concentration accrue sur le non-dit résultant des paroles et des gestes, impose un rythme particulier qui offre sinon une nouvelle approche du monde, en tout cas une perception plus forte des divers niveaux de réalité qui caractérisent notre quotidien – peut-être qu’Eustache et Cassavetes ont enfin trouvé le digne successeur qui leur faisait jusqu’ici défaut. Ensuite un cinéma dit « de groupe » où plusieurs personnages mènent le récit par leurs déambulations hasardeuses, parfois au gré des petits incidents dans le trajet ou le comportement, souvent sans réellement savoir vers où ils avancent – encore et toujours cette lecture d’une vie de routine et de mouvement perpétuel qui consiste à toujours aller de l’avant. Enfin, et surtout, une poétisation constante du territoire urbain, pour le coup délesté de toutes ses composantes sociales (pas de constat chez Hers) et redevenu un lieu d’errance où des personnages réactivent leur mémoire, leurs souvenirs et leur mélancolie à mesure qu’ils apprivoisent le paysage de la ville. Et par-dessus cette trinité conceptuelle se superpose alors un motif constant, à savoir celui de la disparition.
Qu’il s’agisse d’un mort (Ce sentiment de l’été, Amanda), d’une fin annoncée (celle d’une amitié et/ou d’une jeunesse dans Memory Lane) ou d’une séparation (Les Passagers de la nuit), la disparition d’un personnage sert toujours à évoquer à demi-mots un secret ou un traumatisme, et ce alors même que les problèmes intimes ou existentiels ne sont ici qu’esquissés et jamais dramatisés à outrance – ça surgit sans prévenir et ça disparaît aussi vite. Le fait que l’absent soit cette fois-ci un mari divorcé, parti refaire sa vie avec une autre en laissant femme et enfants avec des vies à reconstruire, aide même à clarifier le propos : si le thème de la perte (deuil ou disparition) sert en général à rouvrir des plaies dans n’importe quelle structure dramaturgique, Hers s’en sert au contraire comme atout pour mieux les panser. C’est que chez lui, un beau et lumineux chemin de renaissance s’amorce toujours sous l’effet de la mélancolie, brisant ainsi les barreaux de cette prison intérieure cimentée par les regrets. Ce chemin-là, Les Passagers de la nuit en fait la plus parfaite illustration dès son prologue situé le soir du 10 mai 1981 : tandis que la rue célèbre l’élection de François Mitterrand, une jeune fille, sans nom pour l’instant (on reconnait juste la jeune actrice Noée Abita, revue récemment dans Slalom), fait courir ses doigts le long des lignes colorées d’un plan du métro parisien où chacune des stations s’illumine dès lors qu’un trajet est choisi. S’enchaîne alors un très bel effet de surimpression entre le plan du métro (un trajet précis s’illumine) et la jeune fille qui marche d’un air déterminé en nous regardant. Le cœur principal du film – et du cinéma de Hers en général – tient dans ce principe de segmentation expressionniste (plein de destins et de micro-histoires au sein d’une vaste cartographie), dans ce regard en construction vis-à-vis d’un trajet à embrasser soi-même, et aussi, mine de rien, dans cette lecture d’un Paris à double visage où le trajet « souterrain » (rêve ou espoir, en tout cas lumineux) se fait l’écho d’une réalité sociale « en surface ».
Pour autant, si la politique fait office d’arrière-plan, le film ne se laisse jamais phagocyter par un « grand sujet » qui lui serait inhérent. En choisissant d’englober son récit en 1984 par une ouverture et une fermeture à deux extrémités précises (une élection en 1981 et une réélection en 1988), Hers avait tout en main pour explorer les prémices d’une authentique désillusion politique (celle qui a vu les idéaux post-1981 fondre lentement un à un). Mais si cette désillusion est bien là, c’est uniquement en arrière-plan, laissant se superposer à elle un éventail d’épreuves sentimentales qui prennent le dessus. Quelles épreuves ? Rien que des enjeux de scénario mineurs que Hers revisite en enjeux existentiels majeurs : une séparation, deux passages à l’âge adulte, trois histoires d’amour, le tout enjolivé par un puissant sentiment de solitude. Et un cadre ciblé qui donne son titre au film : une émission radio de nuit dans laquelle un auditeur insomniaque, tantôt entendu à l’antenne tantôt caché derrière une vitre teintée dans le studio, se livre en toute franchise sur sa vie privée et ses états d’âme. Pour la petite histoire, il s’agit là d’une référence directe aux Choses de la vie, émission inaugurée en 1976 sur France Inter et présentée par Jean-Charles Aschero, dans laquelle une séquence intitulée « Quel est votre prénom ? » reposait sur le même jeu de mystère réciproque (un animateur connu interrogeait, sans jamais le voir, un invité caché qui livrait alors sa vérité intime). A bien y regarder, c’est un réseau solidaire des âmes solitaires qui s’organise alors par le biais d’un personnage-clé du récit, lequel embrasse alors le rôle capital du standardiste téléphonique : créer un lien avec l’auditeur, filtrer les âmes (plus ou moins) en peine, guetter la parole la plus partageable et la plus universelle possible, et confondre ainsi l’ordinaire et l’extraordinaire émaillant de tous ces « passagers de la nuit ». De là à croire que Mikhaël Hers voyait là une mise en abyme de son propre cinéma, il n’y a qu’un pas – écouter et saisir l’état d’âme avec pudeur a toujours été son dada. Mais jamais n’avait-il magnifié à ce point-là chacun de ses personnages en tant qu’héros du quotidien.
Au premier abord, chacune de leurs trajectoires pourrait avoir l’air figée, pour ne pas dire cousue de fil blanc. La mère, Elisabeth (Charlotte Gainsbourg), subit de plein fouet les répercussions d’un divorce, devant faire face au célibat et au monde du travail tout en ayant ses deux enfants à charge. Le fils, Matthias (Quito Rayon Richter), ne s’intéresse pas aux cours du lycée et, sans aller jusqu’à se la jouer Antoine Doinel du pauvre, préfère glisser sur une vocation d’écrivain-poète qu’il se découvre petit à petit. La fille, Judith (Megan Northam), délaisse son examen du bac pour s’émanciper sur le terrain du combat politique en allant manifester dans la rue. Le grand-père, Jean (Didier Sandre), se sent glisser toujours plus vers la vieillesse mais s’efforce de rester bienveillant et protecteur envers sa famille. A l’extérieur de cette cellule familiale intérieurement chahutée règne un mystère qui restera diffus et intact jusqu’au bout. Celui de la star de radio Vanda Dorval (Emmanuelle Béart) pour laquelle Elisabeth joue les apprenties secrétaires. Celui, aussi et surtout, de la douce et belle Talulah (Noée Abita), ado zonarde et droguée autant qu’héroïne rohmérienne et rivettienne, qui entame une éducation aussi sentimentale que cinéphile une fois installée chez Elisabeth. La désillusion sous-entendue par le contexte politique achèvera ainsi de faire ressurgir le poids du réel à des degrés variables. Si Elisabeth et Matthias finiront par paralléliser leurs éducations sentimentales respectives en (re)découvrant l’amour et le goût de l’écriture, Judith assistera à la trahison de ses idéaux politiques, Talulah portera en elle le souvenir des héroïnes de cinéma qu’elle a vu sur grand écran (surtout la regrettée Pascale Ogier des Nuits de la pleine lune et du Pont du Nord) tout en étant toujours plus abîmée par sa vie d’errance, et Vanda subira de plein fouet la marche du monde capitaliste qui juge son émission de nuit peu intéressante parce que non compétitive.
Il y a plusieurs choses à tirer de cette saga familiale et amoureuse étalée sur sept années de la décennie 1980. D’abord la perte tangible d’une époque, d’un temps à jamais révolu (celui de l’enfance) que l’on sent lié au propre vécu d’un cinéaste bien plus proustien qu’on ne pourrait le croire. Vivre ce passé dans un temps présent plutôt que d’en recoller les morceaux est ici l’angle souverain d’un cinéaste qui privilégie les sens sur le sens, qui alterne les régimes d’image (tantôt nette tantôt granuleuse) et qui donne ainsi vie à un amas de souvenirs destinés à s’entrecroiser et à se répondre en boucle. D’où un montage quasi chamanique dans son agencement du temps, ne cessant jamais de remonter à l’origine de ce que l’on appelle le « souvenir » à mesure que le récit progresse et se projette. Et de facto, la mélancolie devient reine, ne laissant alors à la nostalgie que le rôle du fou qui n’intéresse personne. Là-dessus, prudence et rappel à la fois : par « mélancolie », on n’entend pas un vague état de tristesse ne visant qu’à appuyer la sinistrose à sens unique, mais bel et bien ce grand écart si typiquement rohmérien entre la tristesse pour ce qui disparaît et la curiosité pour ce qui émerge. On le ressent bien, les personnages des Passagers de la nuit n’épousent pas d’autre état à mesure qu’ils se confrontent au monde et à la ville, tous deux catalyseurs de résurgence mémorielle. Tristesse de voir les enfants quitter in fine le domicile maternel, tristesse de devoir se séparer d’un appartement n’ayant pas abrité la vie idéale à laquelle on aspirait, tristesse de devoir quitter une nouvelle famille par peur de casser ce qui est trop précieux, mais quoi qu’il en soit, conscience de devoir sans cesse aller de l’avant et de privilégier le souvenir de ce qui a été le plus beau à vivre, de tous ces instants privilégiés assimilés à des cadeaux éternels.
S’aimer, s’aider, se regarder, se percer à jour, mais ne jamais se déchirer. Atomisé non-stop par la bienveillance et la générosité, le conflit n’a pas voix au chapitre, comme en témoignent certains détails scénaristiques : ici, on continue d’entretenir une relation professionnelle teintée d’amitié avec une patronne peu étrangère aux coups de colère, on invite à une fête d’anniversaire un collègue de travail avec qui on a autrefois rompu brutalement et on offre à son enfant le cadeau d’un ex-mari envers lequel toute rancœur a disparu. C’est parce qu’ici, le temps qui passe et la vie en mouvement continu ne laissent perdurer que le best-of du passé. Hers assume en outre le fait de séparer chaque événement des conséquences attendues ou redoutées, laissant ainsi le récit flotter en suspension dans un présent à la fois incertain et protecteur où seules les images d’archives, entremêlées aux images du film, viennent réinjecter des traces du réel en guise de contrepoint. C’est au travers de ces images, traces vivantes des quartiers du Paris de l’époque (l’une d’elles, issue d’un documentaire de Claire Denis, fait apparaître le cinéaste Jacques Rivette en passager de métro !), que le romanesque, le seul, le vrai, apparaît tel qu’il est : un spectre issu du passé qui s’en vient revivifier le présent. Les traces mémorielles s’enchaînent alors sans discontinuer, mais celle qui transfigure Talulah en sœur jumelle de substitution de Pascale Ogier tend ici à supplanter toutes les autres : la cinéphile en plein éveil est finalement devenue un œil cinéphile à part entière, corollaire d’un subtil apprentissage du regard. Fixer son regard sur l’écran de cinéma, c’est mieux regarder le monde pour mieux le transfigurer et y trouver sa place, quitte à ce que la référence cinématographique achève de mythifier la forme errante et mélancolique qui nous caractérise. Dans une scène-clé sur un toit d’immeuble où elle partage un joint avec Matthias, Talulah disait déjà tout de son rapport au 7ème Art : aimer toujours plus les films à mesure qu’on les revoit et en fonction de l’humeur du moment, aller toujours au cinéma lorsqu’il fait froid parce qu’il nous réchauffe et qu’on s’y oublie soi-même. Qui oserait encore douter que le cinéma, en plus d’être plus beau que la vie, aide surtout à rendre celle-ci toujours plus lumineuse ?
Il faudrait enfin bien plus qu’un paragraphe pour synthétiser l’impact et la portée de la symphonie mélancolique composée par Anton Sanko – de très loin la plus belle BO entendue dans un film depuis très longtemps. Non seulement celle-ci épouse à merveille chaque composante de la mise en scène et du montage mémoriel opérés par Mikhaël Hers, mais elle amplifie l’état de stase et de flottement que l’on évoquait plus haut en se mettant plus que jamais au diapason de la dimension topographique du film. Sur ses trois premiers moyens-métrages (Charell en 2006, Primrose Hill en 2007, Montparnasse en 2009), Hers avait pu faire mine de bâtir une sorte de « cinéma de terroir » (on reprend ici les mots de Luc Moullet, son plus grand fan) à force de tourner dans un périmètre restreint de la banlieue ouest de Paris – un décor dans lequel les collines et les arbres déploient une forte présence sur le territoire urbain. Cela dit, ce champ d’action, exploré selon le fameux principe des cercles concentriques, s’est peu à peu élargi et transcendé dès le passage au format long : changement d’époque, de lieu (Ce sentiment de l’été s’aventurait à Berlin, à Annecy et à New York) et de perspective. Si Les Passagers de la nuit place désormais le cinéma de Hers à un zénith inespéré, c’est pour une double raison. D’abord un nouveau regard sur un Paris jamais aussi bien filmé qu’ici : underground des marginaux sur les quais de Seine, intérieurs modernes des bibliothèques et des maisons de radio, décor urbain nocturne dont les points lumineux jusqu’à l’horizon font penser à une constellation. Ensuite l’atmosphère du lieu que Hers capture là encore par un tournage en extérieurs, en lumière naturelle et aux heures magiques (le petit matin ou le crépuscule) en jouant à loisir sur le cadrage de la nature en amorce des lumières lointaines de la ville. Panoramas dévorés par la nuit, vues embrumées de l’architecture parisienne, voix off hypnotiques, aubes bleutées et crépuscules immobiles composent ainsi une cartographie magique et musicale des années 80. Avec en plus une texture de la pellicule et une captation de la lumière qui infusent ce doux spleen ouaté, assurant de facto l’intemporalité suprême du style du cinéaste. En l’état, c’est si sublime qu’on rêverait que ce film ne prenne jamais fin.
Signalons enfin que les dernières paroles prononcées en off par Charlotte Gainsbourg, au-delà de parachever le parcours intime vécu par les personnages et la myriade d’émotions partagées par les spectateurs, ne pourront que toucher le cinéphile en plein cœur :
Je me suis réveillé tard ce matin. Je ne sais plus trop ce qui se passait dans mon rêve, simplement nous étions là, tous ensemble, comme avant. J’ai essayé de poursuivre ça dans mon demi-sommeil le plus longtemps possible. Il y avait quelque chose de chaud, d’éternel, que la lumière du jour ne pouvait plus retenir. Au petit déjeuner, je vous ai lu ces quelques mots […] entendus hier soir : « Il y aura ce que nous avons été pour les autres. Des bribes, des fragments de nous que parfois ils crurent entrevoir. Il y aura ces rêves de nous qu’ils nourrirent. Et nous n’étions jamais les mêmes. Nous étions chaque fois ces inconnus magnifiques, ces passagers de la nuit qu’ils inventaient telles des ombres fragiles, dans de vieux miroirs oubliés au fond des chambres ». Ça vous a fait sourire. Et vous m’avez dit : « Tu pourrais lui écrire, toi aussi, non ? »
Difficile de résister à l’envie d’y lire un écho discret et cotonneux à ce que l’on continue d’être au fil des années : rien de plus que de modestes explorateurs de cette nuit de la cinéphilie (donc celle de la mémoire) et de cette salle obscure que l’on persiste à hanter de notre présence pour qu’elle puisse continuer à nous (re)définir en retour. Accompagner le crépuscule d’une année aussi instable et tourmentée ne pouvait ainsi se faire autrement que par l’écriture de cette critique, véritable lettre de remerciements adressée à Mikhaël Hers, talent immense que l’on continuera de suivre à la loupe et auteur complet d’un pur chef-d’œuvre dont on ne souhaiterait jamais se séparer. Une nuit va bientôt s’achever. Finissez-la bien, en groupe si possible. Demain sera un autre jour.
2 Comments
J’ai beaucoup aimé le film et la très belle critique lui rend un hommage d’une grande sensibilité. Toutes les émotions sont là dans ces mots » l’apesanteur sensorielle » » œuvre spectrale » » goût du fantomatique » qui décrivent si bien l’ambiance parfois indicible de cette histoire de famille, qui entre séparation, douleur et retrouvailles, répare ses fêlures, panse ses chagrins, se reconstruit .Images d’une ville, la Maison de la Radio, la nuit …Une décennie où pointent déjà les angoisses contemporaines .Une œuvre mélancolique où pour ces naufragés de la nuit, se retient le temps, en suspension. Une ville, une époque, une famille dans le territoire du quotidien et des émotions.
« Poétisation du territoire urbain » , oui surtout pour ceux comme moi qui avait 20 ans à cette époque. Se remémorer les plans de métro qui affichaient en clignotant le parcours à suivre ( rien de mieux n’a été fait depuis). Et malgré ce puissant sentiment de solitude, on circule et le temps qui passe et celui d’une éducation sentimentale familiale, en douceur et sans conflits. D’où peut-être une certaine mélancolie. Saluons aussi tous les interprètes.