Le Hobbit : un voyage inattendu

REALISATION : Peter Jackson
PRODUCTION : New Line Cinema, MGM, WingNut Films
AVEC : Martin Freeman, Ian McKellen, Richard Armitage, Ken Stott, Andy Serkis, Graham McTavish, Hugo Weaving, Christopher Lee, Elijah Wood, Cate Blanchett
SCENARIO : Peter Jackson, Philippa Boyens, Frances Walsh, Guillermo del Toro
PHOTOGRAPHIE : Andrew Lesnie
MONTAGE : Jabez Olssen
BANDE ORIGINALE : Howard Shore
TITRE ORIGINAL : The Hobbit: An Unexpected Journey
ORIGINE : Nouvelle-Zélande, Etats-Unis
GENRE : Adaptation, Aventure, Heroïc Fantasy, Adaptation
DATE DE SORTIE : 12 décembre 2012
DUREE : 2h45
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Dans Un voyage inattendu, Bilbon Sacquet cherche à reprendre le Royaume perdu des Nains d’Erebor, conquis par le redoutable dragon Smaug. Alors qu’il croise par hasard la route du magicien Gandalf le Gris, Bilbon rejoint une bande de 13 nains dont le chef n’est autre que le légendaire guerrier Thorin Écu-de-Chêne. Leur périple les conduit au cœur du Pays Sauvage, où ils devront affronter des Gobelins, des Orques, des Ouargues meurtriers, des Araignées géantes, des Métamorphes et des Sorciers… Bien qu’ils se destinent à mettre le cap sur l’Est et les terres désertiques du Mont Solitaire, ils doivent d’abord échapper aux tunnels des Gobelins, où Bilbon rencontre la créature qui changera à jamais le cours de sa vie : Gollum. C’est là qu’avec Gollum, sur les rives d’un lac souterrain, le modeste Bilbon Sacquet non seulement se surprend à faire preuve d’un courage et d’une intelligence inattendus, mais parvient à mettre la main sur le « précieux » anneau de Gollum qui recèle des pouvoirs cachés… Ce simple anneau d’or est lié au sort de la Terre du Milieu, sans que Bilbon s’en doute encore…

Une décennie sépare la sortie de Le Hobbit : Un Voyage Inattendu de la trilogie du Seigneur Des Anneaux. Dix ans est une durée courte en soit mais amplement suffisante pour cumuler des évolutions notables. De ce fait, l’attente engendrée par The Hobbit n’a plus grand chose à voir avec celle du Seigneur Des Anneaux. Pareillement, la manière dont elle a été pensée n’est pas comparable. En une décennie, l’équipe technique aujourd’hui reconstituée et les spectateurs ont changé. Les seconds se doivent ainsi de parcourir le travail des premiers avec une certaine ouverture d’esprit. Pas une mince affaire en raison d’une production médiatisée dont certains ressorts ont fait peur. Initialement confié à Guillermo Del Toro , le mexicain quitte le navire suite aux déboires financiers de la MGM. Peter Jackson reprend alors le flambeau mais la décision semble se faire à contrecœur. C’est que Jackson avait déclaré ne pas vouloir réinvestir la terre du milieu et l’embauche de Del Toro allait dans ce sens. Il n’en faut pas plus à certains fans pour paniquer sur une potentielle dégénérescence à la George Lucas. Où comment un cinéaste « prisonnier » d’un univers le réinvestit sans motivation pour satisfaire l’avidité du public. Vu le résultat de la prélogie, il y a de quoi angoisser. Le changement de réalisateur est d’autant plus difficile à digérer qu’il est d’office annoncé que la pré-production menée par Del Toro sera mise au placard. Un choix cruel mais cohérent par rapport au fait que le réalisateur néo-zélandais doit proposer sa vision et non celle d’un collègue. Là se trouve finalement le point rassurant de cette reprise en main. A l’inverse d’un Lucas dirigeant sa Menace Fantôme sur la base d’un manuscrit à peine achevé, Jackson ne veut pas se permettre de s’appuyer sur les concepts d’un autre pour poursuivre l’entreprise. En rejetant la vision de Guillermo Del Toro, il cherche à reconstruire la sienne. Le processus le force en conséquence à se reposer des questions et à réétudier l’essence de son histoire. Mais quand bien même il fournit ce travail, sa présence désormais au poste de metteur en scène pousse l’audience à la comparaison entre The Hobbit et Le Seigneur Des Anneaux.

Or, on le sait très bien : The Hobbit n’est pas Le Seigneur Des Anneaux. Le premier n’a pas l’ampleur du second et adopte un ton nettement plus détendu. Du coup, comment Jackson et ses scénaristes vont gérer le revirement ? La question serait même : y aura-t-il un revirement ? C’est qu’à quelques mois de la sortie d’Un Voyage Inattendu, Jackson annonce que le diptyque initialement pensé deviendra une trilogie. Il est également établi que le troisième opus fera le lien avec Le Seigneur Des Anneaux. La décision apparaît aussi étrange que précipitée. Ça serait là la preuve que Jackson ne sait plus trop où il va et s’apprête à ressortir une formule connue. The Hobbit, conte bon enfant, subirait alors un laborieux étirement artificiel pour devenir une épopée gargantuesque. Mais il s’avère que cette nouvelle structure est surtout une énième démonstration de la constante réflexion de Jackson sur son histoire et sa capacité toujours surprenante à prendre des mesures drastiques pour la servir (se rappeler de la conception houleuse de Kong dans le film éponyme). Pour être tout à fait honnête, la critique sur le rapprochement entre The Hobbit et Le Seigneur Des Anneaux n’est pas complètement sans fondement. Jackson joue plusieurs fois sur un système de renvoi avec la trilogie originale. Si ces échos peuvent être plaisant (la réutilisation de certains morceaux musicaux), ils deviennent parfois des coups de coude forcés et amenés avec peu de naturel. A l’inverse de la prélogie, ces clins d’œil ne constituent toutefois pas la seule raison d’être du film ou une quelconque excuse pour ne pas raconter son histoire. Certes, le déroulement d’Un Voyage Inattendu est proche de celle de La Communauté De L’Anneau mais la qualité de cette dernière est inaliénable et est surtout parfaitement réadaptée à ce qui est conté ici.

Si on se concentre sur les enjeux de The Hobbit et du Seigneur Des Anneaux, il est assez évident qu’il n’y a rien de comparable. En soit, Frodon est mis au pied du mur et soumis à une épreuve auquel il ne peut se dérober. Soit il réussit à détruire l’anneau unique, soit le monde sera perdu. Pour Bilbon, le choix de partir à l’aventure se situe à un niveau moindre et favorise en ce sens le concept du dilemme. Il n’y a techniquement rien qui forcerait Bilbon à quitter son trou. Il n’a aucune connexion avec Gandalf et les nains. La quête de ces derniers ne lui rapporterait rien, si ce n’est une rémunération dont il ne semble pas avoir besoin. Pourtant, Bilbon choisit de partir avec la troupe. C’est sur ce point que Jackson concentre ses efforts : l’appel à l’aventure. Un Voyage Inattendu se construit là-dessus. Plutôt que d’introduire d’office un enjeu collectif, il décrypte un enjeu individuel qui va évoluer au fur et à mesure. En prenant le temps de détailler point par point l’intrusion du domicile de Bilbon par les nains, Jackson crée un brouhaha et une effervescence jubilatoire. Après une telle période de désordre, le silence régnant après leur départ dévoile tout le caractère morose de la maison.

Les mots de Gandalf sur une aventure dont il ressortira changé à jamais prennent tous leurs sens. Pourquoi resterait-il à ce domicile finalement si triste et inintéressant malgré tout le confort qu’il comporte ? Pour les nains, reconquérir leur royaume (donc retourner au foyer) est une étape imposée pour renouer avec une part de leur grandeur. Pour Bilbon, quitter le foyer est l’opportunité de trouver cette grandeur mais elle doit résulter d’un acte volontaire. Or, malgré son impulsion initiale, il va traverser tout le film en proie au doute et remettre en cause sa décision. Le gros d’Un Voyage Inattendu se consacre ainsi à ce choix dont la résolution se trouvera dans la rencontre avec Gollum. Le point culminant de l’affrontement est amené très simplement par un champ-contrechamp. Rendu invisible par l’anneau, Bilbo s’apprête à donner le coup de grâce à la créature. Leurs regards se croisent et Bilbo interrompt son geste. Gollum scrute le fond de sa caverne, vide et silencieuse. Si Frodon voyait en Gollum ce qu’il risque de devenir sous l’emprise de l’anneau, Bilbon découvre en lui le reflet de ce qu’il sera si il reste enfermé chez lui. Par la profondeur du jeu d’Andy Serkis, on ressent alors cette pitié pour un être voué au néant qui retiendra l’épée de Bilbon.

C’est après ce passage que le hobbit participera enfin activement à l’action en se portant au secours de Thorin. Jusqu’à présent, Bilbon restait terriblement en retrait. Les affrontements les plus spectaculaires de la troupe se font en effet sans lui. Lorsque les nains attaquent les trois trolls, il se concentre sur la libération des chevaux. Pendant que l’équipée se frayera un chemin au milieu d’horde de gobelins, Bilbon est lui est pleine joute verbale avec Gollum. Cette mise en retrait qui peut rendre le personnage fade au cours du récit ne fait que renforcer sa décision de secourir Thorin. Elle permet également d’introduire l’autre point essentiel du film. Outre les scènes mentionnées, le film comprend d’autres moments spectaculaires amenés sous forme de pièces rapportées. Tout le film en lui-même constitue une histoire contée à posteriori que Bilbon écrit à destination de Frodon. La thématique prend son essor en revenant tout le long du film. Avant d’évoquer sa propre aventure, Bilbon nous relate l’historique de la montagne solitaire. Plus loin, on lui racontera la bataille aux portes de la Moria. Cette narration au sein même de la narration nous rapporte l’importance de raconter des histoires et ce qu’il faut en retirer (Gandalf n’essaie-t-il pas de convaincre Bilbon en évoquant l’histoire enjolivée de son ancêtre ?). Une mise en abyme qui, en soit, explique pourquoi l’échange de regards entre Bilbon et Gollum cité plus haut est si fort. D’une certaine manière, il explicite notre condition de spectateur. Bénéficiant d’une proximité certes factice, on contemple invisible les personnages en découvrant que leurs émotions trouvent un écho dans les nôtres.

Le film dévoile ainsi sa certaine complexité, lui permettant par ailleurs d’amener avec subtilité ce qui constituera le fameux lien entre The Hobbit et Le Seigneur Des Anneaux. Alors que le sorcier Radagast s’apprête à pénétrer dans le château où se terre le nécromancien, la séquence s’arrête. La suite sera relatée en flashback lorsque Radagast trouvera Gandalf. L’utilisation de cette méthode sur ce moment précis permet d’entrevoir ce que nous prépare Peter Jackson et ses scénaristes pour la suite. Les ombres du passé resurgissant par petites évocations pour influencer le présent nous amènent à considérer comment une aventure de maigre importance va déboucher sur de grandes conséquences. L’ultime séquence où un petit oiseau vient réveiller le dragon Smaug illustre cela. Auparavant, Jackson en aura livré une version hyperbolique lors du combat des géants de pierre où les nains s’avèrent peu de choses face aux monstrueuses rixes de ces créatures. La mise en place pertinente de ce rapport d’échelle annonce ainsi une progression assez incroyable.

Il faudra certes admettre que le développement de l’intrigue n’est pas pour autant parfait et que comme sur Le Seigneur Des Anneaux, il faudra attendre une version longue qui fluidifiera un peu plus l’ensemble (le plan de la bande annonce où Bilbo contemple l’épée brisée Narsil n’est pas dans le film par exemple). Mais qu’importent ces menus soucis face à un travail d’une grande rigueur et dont l’opulence visuelle est un plaisir de tous les instants.

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