REALISATION : Peter Jackson
PRODUCTION : New Line Cinema, MGM, WingNut Films
AVEC : Martin Freeman, Ian McKellen, Richard Armitage, Orlando Bloom, Evangeline Lilly…
SCENARIO : Philippa Boyens, Peter Jackson, Fran Walsh, Guillermo Del Toro
PHOTOGRAPHIE : Andrew Lesnie
MONTAGE : Jabez Olssen
BANDE ORIGINALE : Howard Shore
ORIGINE : Etats-Unis, Nouvelle-Zélande
GENRE : Héroic Fantasy, Aventure, Adaptation
DATE DE SORTIE : 10 décembre 2014
DUREE : 2h24
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Atteignant enfin la Montagne Solitaire, Thorin et les Nains, aidés par Bilbon le Hobbit, ont réussi à récupérer leur royaume et leur trésor. Mais ils ont également réveillé le dragon Smaug qui déchaîne désormais sa colère sur les habitants de Lac-ville. A présent, les Nains, les Elfes, les Humains mais aussi les Wrags et les Orques menés par le Nécromancien, convoitent les richesses de la Montagne Solitaire. La bataille des cinq armées est imminente et Bilbon est le seul à pouvoir unir ses amis contre les puissances obscures de Sauron.
En arrivant au terme de la trilogie sur Le Hobbit (et par extension de sa saga sur la Terre du milieu), la série aura permis de confronter chacun au degré de flexibilité de ses acquis. Avec une décennie séparant la conception des deux trilogies, il était naturel que Peter Jackson et ses collaborateurs aient évolués. C’est d’autant plus flagrant qu’entre les deux a émergé le cinéma virtuel ouvrant de nouvelles perspectives auxquelles Jackson s’est montré sensible. Dans son ensemble, Le Hobbit s’apparente d’ailleurs à une tentative de pallier son absence d’incursion dans ce domaine (lacune qu’il pourra probablement combler avec son adaptation de Tintin Et Le Temple Du Soleil). Il n’y a qu’à voir le making-of du climax dans les forges de La Désolation De Smaug où Jackson filmera en premier lieu les prestations de ses comédiens avant de composer plus tard de son côté l’intégralité de la séquence. L’orientation aura été plus adaptée à une entreprise qui aura fonctionné comme une colossale improvisation. Conséquence d’une préparation expéditive suite au départ de Guillermo Del Toro et de délais imposés à respecter, toute la production aura été faite dans l’urgence. Précipitation entraînant approximations et erreurs par rapport à la vision artistique de son réalisateur qui fera tout pour les rectifier, l’outil numérique lui apportant le flexibilité nécessaire pour des changements souvent radicaux.
Une évolution de méthode et de manière de penser le cinéma qui peut rebuter (les différentes tentatives de cinéma virtuel ont démontré cette résistance) mais qui est d’autant plus forte dans le cas présent par l’existence d’un précédent. Les qualités esthétiques du Seigneur Des Anneaux sont utilisées comme référence pour mieux enfoncer Le Hobbit. Certes on pourra être chagriné de voir le conséquent travail d’animatronique et de maquillages mené par Richard Taylor mis en retrait. De même, Le Hobbit n’a pas fondamentalement la même puissance puisqu’il prolonge une expérience et n’a pas ce rôle de pionnier qu’avait Le Seigneur Des Anneaux. Il paie justement cette fidélité, cette parfaite cohérence artistique alliée juste à un changement de moyens. C’est ce point seulement qui entraîne ce grotesque sentiment de trahison aboutissant à un aveuglement. D’épisode en épisode, ce sont toujours les mêmes critiques qui sont revenues sur Le Hobbit. Or, La Bataille Des Cinq Armées est l’opus le plus particulier de toute la franchise, celui qui fait le plus preuve d’audaces… et d’imperfections également.
Concernant La Désolation De Smaug, nous avions émis de grosses réserves sur sa conclusion. Logiquement, l’ouverture de La Bataille Des Cinq Armées en fait les frais. En déconnectant la destruction de Lacville de l’histoire précédemment contée, le pauvre Smaug voit sa formidable personnalité sacrifiée. Il ne devient plus qu’une simple silhouette monstrueuse sans caractère. Il est heureux qu’un ultime échange entre le dragon et Bard vienne lui redonner son aura démoniaque. C’est précisément ce face-à-face qui semble justifier le choix de Jackson d’inclure la séquence dans La Bataille Des Cinq Armées. En effet, cette confrontation annonce ce qui constituera la nature de cet ultime épisode. Ayant récupéré la flèche noire capable de tuer le dragon mais perdu son arc dans l’action, Bard va élaborer une arbalète de fortune utilisant son propre fils dans le mécanisme. Bard vivait jusqu’alors dans la honte de son ancêtre qui n’a su protégé la ville lors de la première attaque de Smaug. Alors que les paroles de ce dernier tentent de le complaire dans sa médiocrité (renforcé par la taille démesurée de la créature se déplaçant dans la ville entièrement dévorée par les flammes), le lien se créant entre le père et son descendant va révoquer cet héritage déshonorant.
La Désolation De Smaug tournait autour de la résurgence d’un mal auquel personne ne prêtait attention. La Bataille Des Cinq Armées aurait logiquement pu poursuivre le travail en parlant de la nécessité à faire face à ce mal. Or, cette orientation semble beaucoup trop simpliste pour Jackson et ses scénaristes. La Bataille Des Cinq Armées ne se concentre pas sur cette notion de devoir incontournable mais plus globalement sur les conséquences du mal. Que se passe-t-il lorsque la collectivité est soumise au plus grand des malheurs ? Ce malheur ne peut-il engendrer que d’autres malheurs supplémentaires ? Au contraire, ne pourrait-il pas devenir un générateur d’espoir ? A l’issu de la séquence d’ouverture, les rescapés de Lacville trouvent un nouveau souffle avec l’avènement de Bard comme leader. Dans le même temps, ils sont prêts à lyncher Alfrid qui est l’ultime représentant d’une ancienne autorité synonyme d’oppression. Le film joue constamment sur les paradoxes et marie ensemble les émotions les plus opposées. Le spectacle cherche à accomplir les plus grands écarts de ton, offrant tout autant de la pure tragédie (la trajectoire de Thorin et sa famille) que de la comédie monty pythonesque (toutes les apparitions d’Alfrid).
Le pari était ambitieux… peut-être trop ambitieux vis-à-vis de la façon dont l’entreprise aura été menée. Si le long-métrage partage cette même « musicalité » qui faisait le charme absolu de La Désolation De Smaug, de tels mariages font ressortir le profond déséquilibre narratif entre les personnages et les différentes sous-intrigues. Avec une durée relativement courte au regard des standards de la série (seulement 2H20), La Bataille Des Cinq Armées est l’épisode qui affirme le plus ouvertement la nécessité de la politique des versions longues. Le spectateur en a pris l’habitude mais jamais cela n’était apparu comme une nécessité si absolue. Voilà qui est fort ennuyeux, rendant certains aspects profondément frustrants et agaçants (le sauvetage à Dol Guldur qui a pour seule conséquence de remettre Gandalf dans la partie). Il y a clairement une déception dans ce sentiment d’assister à un montage incomplet. Ce caractère inabouti devient d’autant plus dangereux par rapport à la volonté d’aller à contre-courant des attentes du public. Qu’attendons-nous en allant voir un film intitulé La Bataille Des Cinq Armées, ultime épisode d’une des sagas les plus impressionnantes jamais tournées ? Logiquement, il s’impose l’idée d’un baroud d’honneur surpassant en spectaculaire le pourtant énorme Retour Du Roi. Si c’est ce que vous recherchez, vous ne serez pas récompensé. Jackson semble considérer que surenchérir après Le Retour Du Roi conduirait précisément à l’overdose d’extraordinaire qu’on lui reproche depuis le début du Hobbit. Alors certes, La Bataille Des Cinq Armées comporte son lit d’images incroyables. Mais Jackson n’y voit pas là l’intérêt principal de son œuvre.
C’est définitivement les personnages qui ont la part belle. Au lieu d’accorder toute son importance au gigantisme de la bataille, le récit se focalise sur les actes individuels se déroulant dans celle-ci. La thématique de la réaction au mal se constitue par le décorticage de ces parcours personnels. Il en résulte une sensation de ne pas contempler un tableau d’ensemble mais des détails qui se révèlent néanmoins primordiaux dans sa compréhension. La Bataille Des Cinq Armées raconté par Jackson devient une collection de moments tiraillant le spectateur entre exaltation et désespoir. Un instant de coopération entre deux personnages jusqu’alors opposés peut ainsi céder la place à une démonstration de pur égoïsme. La résolution de la romance entre Tauriel et Kili résume parfaitement toute cette ambivalence, la concrétisation de leur amour s’accompagnant de la plus profonde tristesse. Mais à ce petit jeu, c’est probablement l’issue de la bataille qui dénote toute l’intelligence de Jackson et ses scénaristes. Il y aurait de quoi s’offusquer par l’énième intervention opportune des aigles. Sauf que Jackson joue là avec ses propres règles et l’impact de ce deus ex machina est ici transfiguré. Choisissant de traiter leur arrivée par le point de vue de Bilbon, il relativise totalement leur importance. Oui, les aigles vont aider les forces du bien à triompher. Comme Pippin des décennies plus tard, il lance un « les aigles arrivent ! » mais celui-ci n’a aucun réconfort dans sa situation (l’image en plongée avec leurs ombres projetées au sol fait passé ces sauveurs pour des anges de la mort).
Les évènements du Retour Du Roi se finissaient dans le triomphe et la célébration. La Bataille Des Cinq Armées se conclut elle sur une victoire dénuée de la moindre image festive. De retour dans sa maison pillée en son absence, Bilbon reste immobile. Il hésite à tâter une nouvelle fois l’anneau récupéré au cours de son aventure. Comme le désormais lointain royaume d’Erebor, il doit reconstruire un monde… pour le meilleur et le pire. Comme toute grande œuvre fantastique, La Bataille Des Cinq Armées est riche d’enseignements et de philosophies délivrés par le prisme de l’imaginaire. Il rejoint le rang de ces œuvres qui favorisent l’ouverture d’esprit, cultivent notre vision du monde, nous aident à nous accepter nous-même et à accepter les autres. Aujourd’hui plus que jamais, une telle œuvre aussi imparfaite soit-elle est primordiale.