[Critique rédigée le jour de la sortie du film, et légèrement actualisée]
Contrairement à ce que l’on serait tenté de croire en s’adonnant à la lecture de 90% de la presse, écrite ou sur le net, il demeure la certitude suivante : Le drôle de noël de Scrooge n’est pas un film d’animation. Et oui, sans un soupçon d’investigation, ou tout simplement en suivant avec professionnalisme l’actualité d’un sujet qu’ils sont censés connaître, il était bien évident que Le Monde, Le Figaro, L’Express ou même Première ne sauraient expliquer mieux que le dossier de presse en quoi les images du film, obtenues grâce au procédé de performance capture inauguré sur Le pôle express, ne sont pas résultantes d’un travail d’animateurs mais bien de performances d’acteurs bien réels ! Motion-capture, dessin animé, voix… tous ces termes ne peuvent en aucun cas se suffire à eux-mêmes (quand ils ne sont pas simplement hors-sujet) pour expliquer concrètement la révolution que constitue une telle méthodologie. Il convient donc malheureusement de s’en affranchir sans l’aide des dits spécialistes afin de prendre conscience de l’avancée que vit le cinéma depuis quelques années. Sorti peu avant Avatar, le film de Robert Zemeckis ici traité n’était au final qu’un simple apéritif. Aussi apetissant soit-il.
Enième adaptation de la nouvelle éponyme de Charles Dickens, A Christmas Carol en VO, Le drôle de noël de Scrooge ne restera pas dans les mémoires pour le récit qu’il met en images. Quiconque aurait lu sa version manuscrite ou ne serait-ce que vu le moyen-métrage des studios Disney de 1983, Le noël de Mickey, se retrouvera en terrain connu dans lequel aucune surprise ne sera à attendre. Et c’est bien là le « défaut » majeur du film, Robert Zemeckis ne s’en servant que de prétexte à l’étalage de sa créativité artistique. C’est bien simple, après avoir pris conscience que rien ne viendrait mettre à mal l’esprit et l’identité de l’histoire originale, on oublie littéralement le fond pour apprécier ce qui s’avère être l’essentiel dans le cas présent. Un mal pour un bien qui fera passer la performance capture comme gage absolu de qualité. Le réalisateur le dit lui-même : seule l’imagination de l’auteur constitue une limite à ce procédé qui tendait à l’époque à se démocratiser (ce que le futur Secret de la licorne de Steven Spielberg réussira peut-être). Et après l’ultra-épique La légende de Beowulf, et peu avant le chef-d’œuvre de James Cameron, on ne pouvait que prendre un pied monstrueux en s’imaginant quels récits pourraient y être adaptés dans le futur, les capacités démontrées dans le cas présent sonnant comme une évidence absolue.
A l’époque d’Apparences ou même de Contact, Robert Zemeckis se plaisait déjà à multiplier les mouvements de caméra virtuoses, annihilant toute contrainte physique et faisant du même coup de sa caméra un point de vue réellement omnipotent, à savoir le sien. Le cinéma virtuel (autre nom donné à la performance capture) lui offre depuis Le pôle express cette liberté totale à laquelle il aspirait alors, et la (toute) relative timidité de sa mise en scène dans le film précité est désormais bien loin. C’est bien simple, le bonhomme s’amuse comme un fou avec sa caméra (qui n’en est pas une au sens communément accepté) et défie les lois de la prise de vue avec une rare ingéniosité. De ce plan-séquence aérien (où l’objectif se permet un rapide arrêt… à l’intérieur d’une vitre, ni plus ni moins) nous présentant le Londres du milieu du XIXème siècle… à un autre, à hauteur d’homme et où l’on traverse une foule pour stopper notre course devant un Ebenezer Scrooge esseulé, Le drôle de Noël de Scrooge s’autorise dés lors des partis-pris de mise en scène simplement hallucinants. Le tout avec une cohérence narrative absolue, comme lors de la visite du fantôme des Noëls passés où l’antihéros, étouffé par d’insupportables souvenirs, se voit traduite à l’image par un plan-séquence de plus de dix minutes, dans lequel la caméra multiplie les mouvements avec une grâce à peine croyable, au gré d’apparitions et de disparitions de personnages, quand ce n’est pas simplement l’architecture qui y est totalement renouvelée en temps réel. En l’état, c’est purement orgasmique, les idées visuelles foisonnant sans nous laisser le moindre répit.
On se prend même à se demander si le cinéaste fait consciemment sien un passage du The lodger d’Alfred Hitchcock, film muet dans lequel ce dernier représentait visuellement les bruits de pas qu’entendaient les personnes se trouvant à l’étage en dessous. En termes de point de vue littéralement divin, c’est un hommage justifié que constituerait la venue du fantôme des Noëls présents. Quand bien même, le découpage de la séquence permet des compositions de cadres (dans le cadre) purement logiques vis-à-vis du contexte dans lequel est placé le personnage. Jim Carrey retrouve à ce titre un rôle digne de son talent, prenant un plaisir communicatif à passer de la composition inédite que lui confère le rôle de ce vieillard aigri, à celui, purement corporel, du fantôme des Noëls à venir. Une idée de casting inédite qu’autorise seulement ce cinéma virtuel, qui renforce la suspension d’incrédulité jusqu’à des fins insoupçonnées. Seul bémol, le regard de certains personnages ne rendait pas encore tout à fait justice à un casting en tous points impeccable.
Tant est si bien qu’au final, le plaisir du film n’est procuré que par l’image, par un procédé simplement extraordinaire dans sa finalité et dans les possibilités esthétiques, narratives ou spatiales qu’il autorise. Le cinéma d’auteur terminal en somme, dixit Arnaud Bordas, dans lequel Le drôle de noël de Scrooge fait déjà très belle figure. En des termes sensoriels, on n’en est même qu’aux débuts.
Réalisation : Robert Zemeckis
Scénario : Robert Zemeckis d’après l’oeuvre de Charles Dickens
Production : Jack Rapke, Steve Starkey et Robert Zemeckis
Bande originale : Alan Silvestri
Photographie : Robert Presley
Montage : Jeremiah O’Driscoll
Origine : USA
Titre original : A Christmas Carol
Année de production : 2009