REALISATION : Cédric Kahn
PRODUCTION : Pathé, Fidélité Productions, France 3 Cinéma, Akkord Film Produktion GmbH
AVEC : Roméo Botzaris, Isabelle Carré, Vincent Lindon, Nicolas Briançon, Alicia Djemaï, Rodolphe Pauly, Jean-Marc Stehlé, Marc Sedze, Mado Sedze, Marlène Casaux-Glaire
SCENARIO : Ismaël Ferroukhi, Cédric Kahn, Denis Lapière, Gilles Marchand, Raphaëlle Valbrune
PHOTOGRAPHIE : Michel Amathieu
MONTAGE : Noëlle Boisson
BANDE ORIGINALE : Gabriel Yared
ORIGINE : Allemagne, France
GENRE : Drame, Fantastique
DATE DE SORTIE : 20 juillet 2005
DUREE : 1h40
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Le soir de Noël, alors que chacun déballe avec joie ses cadeaux, Charly, petit garçon de huit ans, découvre avec grande déception une immense maquette d’avion, alors qu’on lui avait promis un vélo. Patrick, son père ingénieur en aéronautique, meurt peu de temps après, sans avoir eu le temps de remplir la promesse qu’il avait faite à son fils. Mais la tristesse laisse vite la place à l’émerveillement lorsque Charly découvre que sa maquette n’est pas ordinaire : son avion est « vivant » ! Il part alors dans une folle aventure avec son nouvel « ami », afin de retrouver son père pour le remercier pour ce cadeau inespéré…
Cédric Kahn qui s’essaie au conte pour enfants, ça donne quoi ? Moins une parenthèse dans sa carrière qu’un ovni incompris, poétique et bizarre, dénué de mièvrerie et zébré de fascinantes zones d’ombre.
Nombreux sont les acteurs à avoir un jour décidé de passer derrière la caméra jusqu’à en finir par en faire leur principale activité. En revanche, l’inverse est beaucoup moins fréquent, sans doute parce que peu concevable – créer soi-même a l’air plus stimulant et gratifiant que de servir la création d’un autre. D’autant plus atypique est donc le cas de Cédric Kahn, ancien assistant-monteur pour Maurice Pialat (notamment sur Sous le soleil de Satan) qui aura ensuite embrassé une très belle carrière de cinéaste, avant de subitement bifurquer au début des années 2010 vers une large collection de rôles dramatiques dans laquelle il aura excellé à plus d’un titre, et ce au point de laisser de côté sa casquette du réalisateur – Fête de famille, son dernier film à ce jour, remonte déjà à 2019. Or, si le parcours de Kahn a de quoi surprendre, ses films avaient déjà fait fort en la matière tant le bonhomme n’avait de cesse que de prendre la tangente à chaque nouveau projet. Si le réalisme âpre de Pialat avait infusé son premier film Bar des rails, la suite fut différente, pour ne pas dire déstabilisante. Qu’il s’agisse d’un drame sexuel et cérébral (L’Ennui), d’un gros fait divers criminel (Roberto Succo) ou d’une adaptation de Simenon revisitée en fugue lynchienne (Feux rouges), le style Kahn avait valeur de tête chercheuse, naviguant entre scénarios originaux et adaptations d’autrui avec une indiscutable maîtrise mais au détriment du moindre fil d’Ariane permettant de les relier. C’est paradoxalement grâce à L’Avion, en l’état son film le plus inhabituel, que les choses ont l’air plus claires. Quand bien même la presse de l’époque ne se sera pas ménagée pour rejeter un tel film, sans doute parce qu’incapable d’admettre qu’un auteur de films sombres et adultes puisse prendre la poudre d’escampette du côté du « film pour enfants », il suffit de lire entre les lignes – deux visionnages du film suffisent – pour y glaner le fil directeur de la filmo de Kahn. Soit des personnages rongés par une obsession qui les rend maladifs, dangereux ou pathétiques. Dans le cas de L’Avion, parenthèse fantastique autant que projet personnel (Kahn voulait faire un film que ses propres enfants aient l’âge de voir !), l’obsession se fait tout à coup bienveillante, heureuse, positive… mais pas dénuée d’inquiétude pour autant.
Toute adaptation soit-il du premier cycle en quatre tomes d’une bande dessinée franco-belge de Denis Lapière et Magda Seron, L’Avion avait fait le choix de s’en éloigner considérablement en escamotant tout son contenu sombre et non exempt de cruauté. En effet, sous couvert de la confrontation d’un enfant de six ans à une série de phénomènes surnaturels, la tétralogie « Cap’tain Foudre » de la BD Charly laissait planer folie et mort dans une intrigue fouillant très loin les traumatismes liés à l’enfance, et ce alors même qu’il y était surtout question de la relation qu’entretenait l’enfant avec un jouet futuriste doté d’une vie propre et d’un pouvoir destructeur. Avec la complicité de plusieurs scénaristes (dont l’un des auteurs de la BD et un Gilles Marchand passé expert en matière de scénarios troublés), Kahn valide cette idée selon laquelle une œuvre originale est un matériau censé nourrir un film au lieu de le définir. Au-delà du fait d’angéliser l’œuvre initiale et de changer la nature du fameux jouet (le vaisseau spatial devient ici une simple maquette d’avion), Kahn met au défi son audience, contrainte de laisser de côté son sérieux papal et son cynisme récurrent pour réactiver au contraire son innocence et son âme d’enfant. Les fans de la BD auront certes toutes les raisons valables de râler, a contrario des intellos ne voyant dans le conte qu’un sous-genre désespérant pour la ménagère et ses marmots. On conseillera très fortement à ces derniers de revoir d’un œil vraiment attentif E.T. de Steven Spielberg, dont le film de Kahn se veut une sorte d’avatar déguisé. Pas seulement parce qu’il en revisite quelques éléments au premier plan (l’âme rouge fluo de l’avion, l’enfant sur un vélo la nuit dans la forêt, l’envol dans le ciel étoilé sur fond de la Lune) mais parce qu’il s’en réapproprie l’arrière-plan sur le deuil métaphorique et la lecture du merveilleux en tant qu’échappatoire.
Les deux films ne parlent au fond que de la même chose : un jeune enfant en manque de repères, fragilisé et inquiet de par l’absence du père (divorcé et invisible chez Spielberg, décédé et imperceptible chez Kahn), et que le surgissement inattendu du fantastique va accompagner sur un temps imparti afin de l’aider à affronter le moment inéluctable de l’adieu (un « envol » vers le ciel), cristallisant de facto le deuil de la figure paternelle en même temps que le passage à l’âge adulte. Certes, Cédric Kahn n’est pas Steven Spielberg, et la comparaison n’est pas du tout à son avantage. Aussi éblouissante soit-elle dans la pure composition de ses cadres en Scope et dans la nature musicale du montage (la partition lyrique de Gabriel Yared sert ici de guide constant), sa mise en scène ne peut espérer égaler la complexité et la sophistication de celle de Spielberg, et se borne à magnifier une enfilade de péripéties prévisibles ou à expliciter inutilement la nature surnaturelle de l’avion par le biais d’un cliché photographique. Même du côté du casting, ça coince un peu : les enfants n’ont pas ici la crédibilité ni le charisme adéquat pour tutoyer le degré d’émotion attendu – en particulier l’insupportable gamine espagnole qui accompagne le « Petit Prince » habillé en kimono – alors que les adultes s’en sortent infiniment mieux (Vincent Lindon en père dépourvu de pathos, Isabelle Carré en équilibre optimal entre douleur et confusion). De même, si le « méchant scientifique » incarné par Nicolas Briançon réussit à n’être ni salaud ni ridicule ni caricatural, il n’arrive jamais à la cheville d’un Peter Coyote que Spielberg réussissait à rendre d’abord inquiétant via un objet symbolique – un simple trousseau de clés – puis nuancé et bienveillant une fois à visage découvert.
Là où Kahn se distingue avec brio, c’est dans sa façon de gérer l’immixtion du conte dans la réalité, que ce soit à l’échelle d’une scène entière ou d’un simple plan. A titre d’exemple, la longue scène d’infiltration dans la base aéronautique – qui ressemble de loin à un château moderne – frise la relecture du film d’espionnage à regard d’enfant, presque comme un jeu où déjouer les obstacles serait trop simple pour être vrai. L’inévitable scène de l’envol, ici traitée sur un mode onirique, inverse subtilement la place des étoiles par le biais de la nuit américaine – on regarde moins le ciel que les reliefs pyrénéens et les lumières de la ville et de la route. Lorsque le cinéaste laisse son protagoniste errer la nuit dans une forêt symbolique, il fait renaître une angoisse en lien avec les plus effrayants contes enfantins, avec cette végétation ample au sein de laquelle l’enfant paraît trop petit pour ne pas se perdre et ce « grand méchant loup » qui tente de piéger l’enfant en se faisant passer pour un parent. Même le climax final, qui donne à la Dune du Pilat un statut d’éden illusoire au bord de la mer, touche au sublime par le biais d’un deal frontal entre la mort et le réel, avec une mère aimante qui prend le relais d’un avion aux pouvoirs épuisés et d’un messager éphémère reliant son fils à son mari disparu. Des moments magnifiques, d’autant plus acceptables en tant que tels en raison d’une inquiétude sourde – l’un des partis pris favoris de Kahn – qui aura jusqu’ici bel et bien pris racine. Un jouet aérien dont le blanc immaculé et l’absence de jointures en font presque un fantôme, un réel qui s’effrite lorsque le fantastique laisse place à l’angoisse (la crise d’hystérie de l’avion qui « attaque » la maison, l’enfant qui grimpe sur le toit en se croyant capable de voler avec son jouet, la mère qui se réveille en voyant son fils menaçant au pied de son lit…), une nuit américaine qui redessine la nuit du réel en espace onirico-cauchemardesque… Cette cinégénie de l’inquiétude devient le sel d’un conte aussi poétique que bizarre, capable d’abriter de fascinantes zones d’ombre sous un écrin d’une simplicité désarmante, et conférant ainsi à L’Avion une singularité en parfait accord avec le style de son créateur. Si s’adresser à un jeune public avec pureté et sans propension à la mièvrerie relève de la haute voltige, Cédric Kahn n’a pas démérité.