REALISATION : Matthew Vaughn
PRODUCTION : 20th Century Fox, Marv Films, TSG Entertainment
AVEC : Taron Egerton, Colin Firth, Samuel L. Jackson, Michael Caine, Mark Strong…
SCENARIO : Matthew Vaughn, Jane Goldman
PHOTOGRAPHIE : George Richmond
MONTAGE : Eddie Hamilton, Jon Harris
ORIGINE : Royaume-Uni
GENRE : Action, Espionnage
DATE DE SORTIE : 18 février 2015
DUREE : 2h09
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Kingsman, l’élite du renseignement britannique en costumes trois pièces, est à la recherche de sang neuf. Pour recruter leur nouvel agent secret, elle doit faire subir un entrainement de haut vol à de jeunes privilégiés aspirant au job rêvé. L’un d’eux semble être le candidat « imparfaitement idéal » : un jeune homme impertinent de la banlieue londonienne nommé Eggsy. Ces super-espions parviendront-ils à contrer la terrible menace que fait peser sur le monde l’esprit torturé du criminel Richmond Valentine, génie de la technologie ?
Dans ce monde, il y a certaines règles à respecter. Si on les enfreint, il faut accepter d’en subir les conséquences. Par exemple, il ne faut jamais marcher sur le pied de Matthew Vaughn. Sur le moment, il ne fera rien mais il notera cette impolitesse dans un coin de sa tête et il vous le fera payer plus tard. Sa filmographie semble ainsi se construire en réaction à des rendez-vous manqués ou des griefs à son encontre. Layer Cake s’apparente à du Guy Ritchie auquel on aurait greffé un cerveau. Ses ambitions de grand spectacle suite à son éviction du finalement pas terrible X-men : L’affrontement Final, il les reportera sur un exceptionnel Stardust. Histoire de mettre encore plus la honte au téléfilm réalisé par Brett Ratner, il démontre toute sa compréhension du film de super-héros avec le brillantissime Kick-Ass. Quand on lui offre enfin l’opportunité de réaliser un X-men avec Le Commencement, il s’y attelle tout en injectant sa frustration de ne pas avoir été retenu pour réaliser Casino Royale. Aujourd’hui, Vaughn achève d’assouvir ce besoin de s’emparer de la figure bondienne avec Kingsman. Comme pour les super-héros avec Kick-Ass, Vaughn va faire entendre sa voix par le prisme du post-modernisme. Mais par-delà ce dernier, il fait transpirer sa connaissance du genre et son talent d’exécution. Il saisit des qualités et des idées qui échappent désormais à ses homologues tout faits de premier degré. On n’est donc pas étonné de trouver en Kingsman un bien meilleur James Bond que toutes les production EON de l’ère Daniel Craig… et de ces trente-cinq dernières années !
Kingsman est né lors d’une conversation entre Vaughn et Mark Millar sur le tournage de Kick-Ass. Pas trop rancunier, Vaughn confie à l’auteur de comics avoir apprécié Casino Royale mais trouve très décevant son concept de genèse. Le film de Martin Campbell raconte les débuts de Bond mais on ne voit rien de sa formation et de la manière dont s’est créé fondamentalement ce charismatique agent secret. Millar partage son opinion et rebondit sur cette idée qui constituera la base de Kingsman. Pourtant, cette optique s’avérait risquée et disons même ridicule. Si Bond squatte les écrans de cinéma depuis plus de cinquante ans, c’est bien parce qu’il constitue un pur fantasme. Alpha male dans toute sa splendeur, Bond a des buts simples dans la vie : protéger le monde, tuer les méchants et prendre du bon temps en charmante compagnie autant que possible. Pour se faire, la politesse et le pacifisme ne sont pas toujours de mise mais son charisme et la classe injectée dans ses méthodes l’en excusent. Bond est quelqu’un que l’on voudrait être, cette entité primale prenant les choses en mains de la manière la plus directe. Veut-on vraiment nous mettre devant le fait que cette figure n’est pourtant qu’un homme ordinaire à la base ? Sur un tel registre, nombres de cinéastes auront su broder de formidables réflexions. Mais étrangement, Bond lui-même paraissait imperméable à de telles méthodes. Il n’y a qu’à ce souvenir du dernier acte de Skyfall révélant son enfance pour comprendre que l’aura du personnage ne ressort pas grandie d’un tel traitement. Vaughn et Millar vont pourtant réussir leur pari. Une victoire fonctionnant précisément par l’intégration du fantasme au sein de la narration.
Au départ, Gary n’est qu’un simple adolescent de la banlieue londonienne passant son temps à traîner en bande ou à se faire rabaisser par son alcoolique de beau-père. Il est aisé de se retrouver dans un tel personnage. Du coup, lorsqu’on lui offre l’opportunité d’intégrer une formation d’espion, le concept germe dans notre esprit : nous aussi pourrions devenir Bond. Après tout, Sean Connery n’est-il pas un rustre maçon écossais avant que Terence Young ne taille ce diamant brut pour en faire le célèbre espion ? Ce qui pouvait devenir quête de réalisme grisâtre et de psychologie à deux sous s’oriente alors vers une ambiance à la limite du conte. Néanmoins, l’idée aurait pu surtout tenir de l’opportunisme pur et simple, du calcul pour se mettre l’audience dans la poche à peu de frais (se rappeler comment Joss Whedon fait du geek collectionneur de cartes la motivation de ses super-héros dans Avengers). Mais Kingsman est bel et bien une œuvre sincère faisant de ce lien entre le héros et le public une véritable source de jubilation. Il est d’ailleurs conseillé ne pas seulement voir Kingsman mais aussi de le lire. Dans les grandes lignes, les deux œuvres sont semblables. Le déroulement est similaire, les enjeux sont identiques, les rebondissements peuvent être modifiés pour certains mais conservent une fonction équivalente. Toutefois, chacune comporte des détails spécifiques qui leurs confèrent une personnalité propre. Chez l’auteur de Wanted, on se la joue naturellement méchant garçon. Millar affiche son esprit frondeur et sa rafraîchissante immaturité en crachant son message à la gueule du lecteur (si tu veux être Bond, bouge toi le cul ! Commence par lâcher cette connerie de BD et sortir de chez toi, pauvre tache va ! ). Si Vaughn et sa coscénariste Jane Goldman ne rejettent pas cette attitude rebelle, ils vont grandement l’affiner.
Un exemple représentatif serait la nature de l’organisation Kingsman. Dans la bande dessinée, il s’agit d’une agence d’espionnage classique et assez anonyme que l’on suppose affiliée au gouvernement. Vaughn et Goldman vont lui octroyer un historique bien plus précis. Fondée à la fin du XIXème siècle, Kingsman était en premier lieu une prestigieuse entreprise de tailleurs. La donne changera avec le déclenchement de la première guerre mondiale. Les associés verront leurs progénitures partir au combat pour ne jamais revenir. Disposant d’une richesse qu’ils ne pourront plus léguer, ils choisissent de l’utiliser pour créer un organisme capable de prévenir de telles catastrophes. Kingsman est ainsi né en marge des gouvernements par l’action civique de quelques simples citoyens. Dans l’exposition, cette genèse peut paraître comme un détail anodin mais celui-ci prend tout son sens vis-à-vis de la menace du film. Vaughn conserve le plan machiavélique imaginé par Millar mais en modifie judicieusement l’exécution. Bien que le méchant reste cette figure d’entrepreneur à la Steve Jobs dans les deux médias, celui-ci affichait avec plus de véhémence ses préoccupations de geek. Ainsi les kidnappings rythmant la première moitié de l’œuvre portaient sur des célébrités comme Ridley Scott, qu’il ne désirait pas voir périr dans la catastrophe planifiée (après tout, que serait le monde de demain sans le réalisateur de Prometheus ?). Vaughn et Goldman reportent le principe sur les acteurs politiques et autres grands dirigeants de ce monde qui acceptent de se faire complice du bad guy. Ils jouent sur notre regard méfiant envers des institutions se complaisant tellement dans l’importance de leurs décisions qu’elles finissent par traiter la population comme du bétail. Inutile de préciser que la séquence où tous ses protagonistes se font rendre la monnaie de leur pièce est un exécutoire parmi les plus jouissifs du cinéma de ces dernières années.
Le fait est que malgré son passif, Kingsman lui-même pourrait les rejoindre sans l’intervention de son héros. Lorsque Galadad propose Gary comme candidat, le directeur de Kingsman accueille son choix avec condescendance. Gary n’a guère le profil des autres aspirants sortant des meilleures écoles et subit le mépris que les puissants réservent à ceux qu’ils jugent inférieurs. En ce sens, Vaughn fait preuve d’une certaine précision pour construire sa transformation d’homme de la rue à sauveur du monde. Il élimine ainsi les éléments de la bande dessinée qui pourraient prêter à confusion sur les capacités de son personnage. Exit donc le lien de parenté entre Gary et son mentor qui aurait pu passer pour du piston pur et dur, la motivation liée à une question d’honneur n’excusant pas l’incompétence. Il évite également de laisser entendre que le personnage a été entièrement formaté par son entraînement. Dans le comic, le héros survivait à une tentative d’empoisonnement grâce à un tour de passe-passe. Il attribuait ce talent aux enseignements de l’agence. Dans le film, il le présente ouvertement comme un talent qu’il a maîtrisé bien en amont de sa formation. Tout ce type d’ajout nourrit notre identification à ce personnage et l’exaltation dans ce qu’il accomplit.
Si Kingsman est bien un conte dont la morale serait « les manières font l’homme », alors le moindre mérite de Vaughn est d’avoir su l’appliquer à lui-même. Actuellement, il reste un des rares cinéastes à savoir manier l’art délicat de l’équilibre. Kingsman est donc ancré dans le réel mais ne renie pas la puissance du fantasme, vulgaire mais jamais insouciant, excentrique mais constamment réfléchi. La mise en scène de Vaughn sait toujours doser ses effets à l’image de son climax alternant les spectaculaires séquences de panique à grande échelle avec un drame nettement plus intime et glauque. Il s’assure toujours de la crédibilité de ses scènes d’action mais ne va pas pour autant tourner le dos aux décors inspirés à la Ken Adam ou réfréner les extraordinaires chorégraphies d’un Brad Allan exploitant toute sa formation auprès de Jackie Chan. Voilà qui fait comprendre sa frustration à ce qu’on l’écarte souvent des projets les plus colossaux et son inflexible désir de combler ces lacunes. A ce petit jeu, on espère maintenant qu’il comblera prochainement le fait de ne pas avoir été choisi pour réaliser le prochain Star Wars. Etant donné la présence de Mark Hamill dans Kingsman (tout à la fois la BD et le film), il y a parier que le cinéaste a déjà de la suite dans les idées.