REALISATION : Andrew Stanton
PRODUCTION : Walt Disney Pictures
AVEC : Taylor Kitsch, Lynn Collins, Samantha Morton, Willem Dafoe, Mark Strong…
SCENARIO : Andrew Stanton, Mark Andrews, Michael Chabon
PHOTOGRAPHIE : Dan Mindel
MONTAGE : Eric Zumbrunnen
BANDE ORIGINALE : Michael Giacchino
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Aventure, Science-fiction, Fantasy, Adaptation
DATE DE SORTIE : 07 mars 2012
DUREE : 2h20
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Le cinéaste oscarisé Andrew Stanton signe avec JOHN CARTER un grand film d’aventures qui se déroule sur la planète Barsoom (Mars), peuplée de tribus guerrières et d’extraordinaires créatures. Tiré du premier livre du « Cycle de Mars » d’Edgar Rice Burroughs, le film raconte le fascinant voyage de John Carter, qui se retrouve inexplicablement transporté sur Barsoom, au cœur d’une guerre mystérieuse entre les habitants de la planète. Parmi tous les êtres étranges qui peuplent cet univers, il fera la connaissance de Tars Tarkas et de la captivante princesse Dejah Thoris. Dans ce monde sur le point de disparaître, Carter va découvrir que la survie de Barsoom et de son peuple est entre ses mains…
Comment adapter aujourd’hui une œuvre comme John Carter ? C’est la grande question (et la grande crainte) inhérente à l’entreprise dans laquelle s’est lancé Andrew Stanton. La création d’Edgar Rice Burroughs a eu une influence massive sur la culture populaire. Source d’inspiration d’œuvres référentielles comme Dune, Star Wars, Superman ou Avatar, une adaptation ne pourrait passer que pour un ersatz de ces fils illégitimes. Le service marketing de Disney semble d’ailleurs l’avoir considéré comme tel et s’est complètement fourvoyé dans la promotion de sa marchandise. Plutôt que de jouer sur le caractère séminal d’une œuvre ayant été à la base de tant de rêveries artistiques, la chose est vendue comme le plus banal des blockbusters d’aventures tout juste bon à rameuter les quelques spectateurs encore debout après s’être farcis Sherlock Holmes 2 ou Voyage Au Centre De La Terre 2. L’identité propre du film et l’importance d’une telle concrétisation cinématographique sont sacrifiés sur de piètres tentatives de créer un classique buzz (voir cette horrible affiche teaser plus cryptique tu meurs). Naturellement, la réaction du public est prévisible : il ne se motive pas à se déplacer en salle. Sur ses trois premiers jours d’exploitation, la prestation enregistrée au box-office s’avère honorable mais loin d’être digne d’un produit de cette importance (cent millions de dollars récoltés par le monde pour un budget de deux cent cinquante millions hors frais de promotion). Le long-métrage devra surtout compter sur le bon vieux bouche à oreille pour remonter la pente. Il faut être franc, ça n’est pas comme ça que l’on espérait l’accueil de ce John Carter.
Pendant que d’autres s’en inspiraient, John Carter n’a fait que se morfondre dans un development hell durant près de quatre-vingt ans. Depuis le projet de film d’animation par Bob Clampett dans les années 30, les tentatives se sont multipliées avec à leurs têtes un large éventail de cinéastes des plus brillants (John McTiernan, Ray Harryhausen) aux moins inspirés (Robert Rodriguez, Jon Favreau). A chaque fois, la même rengaine est avancée autour des difficultés techniques et économiques pour concrétiser les visions de Burroughs. Lorsque Stanton pousse Disney à récupérer les droits désormais libres de John Carter et se voit par la même occasion confié la réalisation, la difficulté en question n’existe plus. La technologie actuelle offre l’opportunité de créer le monde imaginé dans les livres. Par ailleurs, la stature du réalisateur dans le studio (un pilier de Pixar responsable des fabuleux Monde De Nemo et Wall-E qui auront traumatisé le box-office) permet la constitution d’une imposante enveloppe budgétaire. La problématique matérielle s’envole donc. Pour un ancien projet mené par un Kerry Conran, ce dernier avait tiré les leçons de l’échec de son Capitaine Sky Et Le Monde De Demain (essai de film d’aventure rétro entièrement tourné sur fonds verts) en voyant la nécessité de tourner à la fois en studio et en décor naturel. Stanton tend lui-même vers cette idée en choisissant de réaliser le film sur des bases réalistes.
Le tournage prend donc place dans les splendides paysages de l’Ohio et de l’Utah auxquels s’intègreront avec un soin magistral les constructions martiennes (le superviseur des effets visuels Peter Chiang parlera en ce sens de « prothèses architecturales »). Pour les Tharks, extraterrestres de trois mètres dotés de quatre bras (un défi visuel insurmontable à une époque : la tentative d’adaptation du studio anglais Shepperton dans les 70’s les privera d’ailleurs de leur deuxième paire), c’est la performance capture à même le plateau façon La Planète Des Singes : Les Origines qui est requise. La technique sera au bout du compte peu exploitée en raison de contraintes liées à l’environnement (difficile pour les acteurs de marcher avec des échasses sur un sol accidenté sans se ratatiner) et à l’anatomie des créatures (le superviseur de l’animation Eamonn Butler estime que le personnage Tars Tarkas est basé à 10% directement sur le jeu de Willem Dafoe et à 90% sur une animation reproduisant son interprétation). Toutefois, la technique fonctionnera dans le sens qu’elle n’oblige pas les acteurs à jouer dans le vide. Se renforce ainsi le sentiment d’interaction des créatures avec le décor et les autres acteurs conduisant à une synergie à même de nous faire croire à l’univers dévoilé. Tourné en 35mm plutôt qu’en numérique (un pur caprice de cinéphile selon le réalisateur), Stanton utilise au bout du compte ses grands moyens modernes pour traduire un sentiment classique d’exploration. Un choix qui fait comprendre l’extrême pertinence de sa conception d’un film sur John Carter aux jours d’aujourd’hui.
Nous revenons là à notre question de départ : comment adapter John Carter dans les années 2010 ? Stanton doit se rendre à l’évidence que toute l’aventure de ce dernier sent le déjà vu avec son héros perdu dans un autre monde, ses supers pouvoirs, sa princesse en détresse, ses extraterrestre bizarres et autres royaumes à sauver. Fan des romans et conscient qu’il ne faut pas en trahir la mémoire, Stanton comprend qu’il ne doit pas chercher le salut dans une quête faussée d’innovation. Les scripts des précédents essais d’adaptation tentaient ainsi de remodeler l’univers. C’est le cas de Mark Protosevich (The Cell) éliminant les références à la guerre de sécession et ramenant la taille des Tharks à celle du héros. On peut également citer Terry Rossio (Pirates Des Caraïbes) qui fera de John Carter un habitant de Brooklyn adepte de la punchline. Accompagné de ses scénaristes Mark Andrews (Rebelle) et Michael Chabon (Spiderman 2), Stanton assume au contraire le traditionalisme de ses ingrédients et cherche avant tout à les accommoder avec excellence. L’objectif est réussi puisque John Carter offre probablement le traitement le plus époustouflant qui soit de la figure du héros.
Résumons l’histoire. Carter est un soldat conféré émérite récompensé pour ses nombreux faits d’arme. Suite au massacre de sa famille, il choisit de déserter et se lance dans la chasse aux trésors espérant par là obtenir une fortune qui lui permettra d’avoir la paix. Une quête bien peu estimable pour un prétendu héros mais qui le conduira à une mystérieuse caverne où il sera transporté sur la planète Mars (appelée Barsoom par ses habitants). Tout ce premier acte nous introduit donc l’idée d’un personnage brisé dont l’aventure lui permettra de se reconstruire en s’extériorisant de son environnement. De ce fait, Carter est assimilé dès son arrivée sur Barsoom à un être nouveau. La première chose qu’il doit faire est de réapprendre à marcher (la faible gravité martienne décuple la force de son corps), les autochtones le traitent comme un enfant et suite à un quiproquo linguistique, il se retrouve appelé Virginie. Un être virginal en somme qui à l’opportunité de tout recommencer. Sur Terre, Carter est un soldat qui a perdu toute raison de se battre. Sur Barsoom, Carter doit apprendre à contrôler ses nouveaux pouvoirs mais surtout s’interroge sur leurs utilisations. Se tisse alors une narration où chacune de ses actions le conduisent à redéfinir l’homme qu’il était. Exorcisant les fantômes de son passé (l’idée du flashback au cours d’une séquence de massacre) et assumant un rôle qu’il n’a pu remplir précédemment (il devient médiateur entre les peuples martiens alors qu’il n’a pu empêcher un massacre entre les indiens et la cavalerie), Carter embrasse un processus de transformation par lequel il trouve son essence héroïque. En guise de dernier acte, il fait ainsi ses adieux à son corps terrestre incarnant sa vie passée et incarne définitivement son moi martien. Ainsi, celui qualifié jusqu’alors de John Carter de Terre peut enfin pleinement devenir John Carter de Mars. Dans une sorte de pic envers le service marketing considérant que toute référence à la planète rouge est néfaste commercialement (dans le genre « raisonnement par l’absurde »…), le qualificatif « de mars » refera son apparition dans le titre juste avant le générique de fin afin de clairement signifier la transition.
Par ce traitement parfait du personnage titre, Stanton accomplit là ce qu’il voulait en rendant justice à la création de Burroughs et en construisant un film se suffisant à lui-même. Si la prestation au box-office risque de ruiner toutes possibilités de franchise, le film pourra toujours se savourer seul puisque relatant dans son intégralité le processus d’accomplissement du héros. Si certains détails peuvent frustrer (la menace insidieuse des therms est justement troublante par le flou sur leurs véritables motivations), Stanton demeure fidèle à ce qu’il voulait. On est loin du studio New Line qui coupe au dernier moment la dernière partie d’ A La Croisée Des Mondes afin d’offrir une conclusion policée ne résolvant aucun enjeux. On peut pourtant facilement imaginer des réclamations du studio pour écourter l’introduction sur Terre risquant de perturber le pauvre spectateur qui croyait voir de la simple SF-fantasy. Alors certes, certains choix demeurant dans le film peuvent paraître néanmoins étranges, notamment la scène d’ouverture. Toutes proportions gardées (nous sommes face à un long-métrage de deux heures et demie, pas une saga s’étalant sur une dizaine d’heures), celle-ci évoque le débat autour de la scène d’ouverture du Seigneur Des Anneaux. Au lieu d’imposer d’office le point de vue du héros qui sera celui adopté pour le reste du film, l’introduction présente de manière conventionnelle les enjeux de l’intrigue. Il s’agit là d’une obligation qui aurait pu probablement trouver sa place à un autre endroit dans le film. Ce genre de bizarrerie de montage, le film les collectionne notamment en certains passages où le rythme du découpage s’accorde mal avec ce qui a été tourné (les évasions à répétitions par exemple). Tout ceci paraît toutefois léger face au plaisir procurant un spectacle généreux et plus que malin dans sa conception (une production PG-13 à la violence intelligemment digérée et n’hésitant pas à mettre en avant les charmes de sa princesse aux magnifiques jambonneaux).
Filmé avec une grande élégance (ce qui vaut à la mise en scène de Stanton d’être qualifiée d’anonyme) et rythmé dans le plus pur esprit serial (les scènes d’action sont courtes mais spectaculaires et s’enchaînant de manière soutenue), John Carter rend plus que justice à la notion d’aventure. Epique dans son divertissement et profondément humain dans ses émotions, il est l’exemple même de ce que doit être ce genre de cinéma.