REALISATION : David Robert Mitchell
PRODUCTION : Animal Kingdom, Northern Lights Films, Two Flints, Metropolitan FilmExport
AVEC : Maika Monroe, Keir Gilchist, Daniel Zovatto, Jake Weary, Olivia Luccardi, Lili Sepe
SCENARIO : David Robert Mitchell
PHOTOGRAPHIE : Mike Gioulakis
MONTAGE : Julio C. Perez
BANDE ORIGINALE : Disasterpeace
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Drame, Horreur
DATE DE SORTIE : 4 février 2015
DUREE : 1h40
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Après une expérience sexuelle apparemment anodine, Jay se retrouve confrontée à d’étranges visions et à l’inextricable impression que quelqu’un, ou quelque chose, la suit. Abasourdis, Jay et ses amis doivent trouver une échappatoire à la menace qui semble les rattraper…
Cela fait-il trop longtemps que vous n’avez pas flippé devant un film au point d’en faire des cauchemars ? Cela fait-il trop longtemps que vous désespérez de ne pas voir un jeune cinéaste réussir à reprendre le flambeau laissé par John Carpenter ? Cela fait-il trop longtemps qu’un pur film de genre n’avait pas à ce point titillé votre cortex au point de faire bouillir la marmite à niveaux de lecture ? Répondre trois fois par l’affirmative équivaudra à subir un choc pour le moins inattendu, tant visuel que cérébral, devant le second film de David Robert Mitchell (le premier, The Myth of the American Sleepover, était resté inédit en France). Le choc est d’autant plus fort qu’à bien y regarder, It follows n’a finalement pas grand-chose du thriller horrifique ayant provoqué des sueurs froides un peu partout dans les festivals (surtout ceux de Cannes et de Gérardmer), et encore moins d’un énième slasher ne servant qu’à ressortir bêtement l’éternel schéma puritain de l’Amérique vis-à-vis du sexe (en gros, baiser équivaut à être « puni »). Ce que l’on découvre est de l’ordre d’une passerelle à la fois sereine et insidieuse, d’une sorte d’entre-deux en tous points diabolique sur les terrains de la terreur atmosphérique et de l’introspection adolescente. Un peu comme si le rejeton halluciné de John Carpenter s’en allait rejoindre une cousine de Sofia Coppola dans son lit une fois la nuit tombée, avec le Horla de Maupassant sous le bras.
L’ambiance de pure terreur est en tout cas totale, garantie dès la mémorable scène d’ouverture du film : une adolescente en nuisette s’enfuit en pleine nuit, terrifiée par quelqu’un (ou quelque chose ?) qui la poursuit et qu’elle semble être la seule à voir, roule à pleine vitesse jusqu’à la plage, et finit par se recroqueviller sur elle-même, le dos à la mer et le visage face aux phares éclairés de sa voiture, scrutant avec beaucoup d’angoisse l’arrivée de cette mystérieuse présence. Le plan qui suivra, on ne le décrira surtout pas. En à peine trois minutes de métrage, tout est déjà là, lourd de multiples promesses, sourd de multiples morphologies d’inconfort et de peur, le tout avec une redoutable économie de moyens dans la mise en scène. Nuit sombre où l’on ne distingue que des bribes de reliefs, hors-champ invisible façon Jacques Tourneur, bande-son quasi bourdonnante qui se grave illico dans les tympans : il n’en faut pas plus pour placer le trouillomètre à zéro – voire un peu plus bas – et stimuler les terminaisons nerveuses.
Cela dit, à bien y regarder, le scénario d’It follows ne présente rien de spécialement tordu, voire même de fondamentalement original : Jay (Maika Monroe, un petit air de Gwen Stefani rajeunie), jeune et belle adolescente ayant eu un rapport sexuel, se retrouve pourchassée par d’étranges et effrayantes visions – il serait trop facile de les décrire comme des sortes de zombies – qui menacent de la tuer de façon extrêmement violente, et son seul espoir de se débarrasser de ces envahisseurs réside dans le fait de coucher avec quelqu’un pour lui transmettre cette « malédiction », un peu à la manière de celle qui piégeait pendant sept jours les héros du Ring d’Hideo Nakata. On sentait rôder d’ici l’approche du scénario puritain que l’on évoquait plus haut, et au final, on se rassure de constater que le film réussit à en être l’exacte antithèse. Parce que cette ligne narrative, a priori archi simple, se contente d’être magistralement tenue du début à la fin, et ce sans que le moindre filtre interprétatif ne soit privilégié par rapport à un autre.
It follows a cela de brillant qu’il renoue avec la fonction première d’un grand film de genre (surtout celui du film de zombies), c’est-à-dire la faculté d’exploiter un canevas précis à des fins allégoriques. Et ici, il y a de quoi faire, entre l’idée d’une contamination virale chez les jeunes par le sexe renvoyant à la peur du sida, l’appréhension résultant des effets secondaires d’un rapport sexuel (surtout la perte de virginité, sujet-épicentre de tous les teen-movies), la présence d’un parasite indéfinissable qui se transfère d’un corps à l’autre (souvenez-vous de Frissons de David Cronenberg), la menace exponentielle d’un boogeyman ressenti uniquement par l’adolescent maudit qui en est la future victime (le spectre de Freddy Krueger n’est jamais très loin), ou encore la façon dont ce tueur invisible, déjà très peu vêtu (voire pas du tout) et changeant sans cesse d’identité, tente d’éliminer sa victime dans une violente étreinte, pour le coup assimilable à un viol (s’agirait-il de la matérialisation d’un vieux trauma d’enfance lié au sexe ?) ou même à une absorption d’identité (il est aisé de lire le film comme une variation sexuelle de The Thing). Même le décor sélectionné, à savoir une jolie banlieue pavillonnaire de Detroit qui jouxte d’autres territoires bien plus délabrés et déliquescents, a de quoi réveiller la fibre politique du cinéma de George Romero, histoire de conférer à ces « zombies » une dimension d’animaux sociaux, victimes de la crise promptes à hanter une génération insouciante, laquelle en est alors réduite à refiler ce « mal » à son voisin, si possible le plus faible, telle une patate chaude.
Toutefois, si It follows réussit autant à stimuler l’interprétation sans jamais donner l’impression de se servir de l’abstraction comme d’une esquive, c’est avant tout grâce à sa superbe mise en scène, pour le coup d’un minimalisme et d’une beauté visuelle qui touchent au faramineux. Citer John Carpenter comme influence centrale est un euphémisme, tant David Robert Mitchell réussit ici à tutoyer avec brio ce qui faisait la patte du cinéaste d’Assaut, sans chercher pour autant à le plagier ou à le supplanter. Gestion démentielle du hors-champ, usage métronomique et parfois quasi symétrique du format Scope, découpage alternant les plans fixes et les zooms insidieux pour mieux entretenir le mystère d’une présence invisible, bande sonore monstrueuse qui alterne des bourdonnements au synthé (pour mieux se calquer sur la peur de l’héroïne) avec des nappes électro-anachroniques façon 70’s (la BO atmosphérique est un régal de tous les instants), mouvements de caméra utilisés à bon escient pour susciter la trouille… Sans parler de ce tableau décalé de l’adolescence US, ce décorum photogénique d’une génération éthérée, insouciante, alanguie dans son propre cocon d’indolence et de somnolence, telles des figures lynchiennes figées dans un état second et sur lesquelles un Mal insidieux en arrive à s’abattre sans aucune alerte. De quoi ramener It follows à sa dimension (inavouée ?) de conte irréel, chargée d’une pesanteur à la fois douce et effrayante, dont l’ambiguïté provient autant des effets surgissant dans le cadre que du cadre lui-même. Pétrifié par l’angoisse, on ne sait plus s’il vaut mieux être face à l’écran ou dans l’écran. C’est dire la puissance sensorielle de cette œuvre décidément unique en son genre.
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C’est un film fascinant et angoissant dont le sentiment de terreur naît davantage du fantastique que de l’horreur. Il distille cette forme de malaise que l’on attribue à « l’inquiétante étrangeté ». Qui n’a jamais rencontré ce sentiment étrange et effrayant dans quelque situation pourtant familière ? Quelque chose qui nous dépasse, semble venir d’un autre lieu de soi ou d’ailleurs. L’inquiétante étrangeté, c’est quand l’intime surgit comme étranger, inconnu, autre absolu, au point d’en être effrayant. ( Freud en a défini les situations susceptibles de la provoquer : quand il y a un doute qu’un personnage animé en apparence animé ne soit réellement vivant et, inversement, la peur qu’un objet sans vie ne se mette à s’animer ( pantin, poupée , etc) ; les fausse reconnaissances d’un autre ; la présence ou le sensation d’un double ,terreur et sidération devant certains récits, quand ils évoquent symboliquement la peur de la castration ; la répétition de situations semblables qui provoque un effet déréalisant proche du rêve : retour inlassable au même point,etc ) Donc dans le film, inquiétante étrangeté dès les premières images : une scène d’ouverture sublime qui annonce déjà l’emprise de l’angoisse et l’immersion en caméra « subjective » dans l’univers mental tourmenté de l’adolescence.
L’on peut y découvrir l’illustration de l’impact du « pubertaire » sur la psyché adolescente (par cela on entend tous les processus psychologiques qui se déroulent pendant la longue période adolescente…Un vécu d’étrangeté induits par ces transformations corporelles, pulsionnelles, qui peut déclencher chez l’adolescent, chez son entourage, une réaction d’affolement, de répulsion, d’effroi, et une anticipation péjorative de ce qui va advenir ….) J’ai été sensible à cette représentation d’une présence menaçante, qui vient révéler et représenter voire résorber les angoisses intimes liés au désir et à la pulsion sexuelle, voire ses éventuels traumas.
Bien entendu le film qui a une superbe mise en scène, a plusieurs niveaux de lecture, comme le montre ce bel article .
On peut y lire aussi une métaphore des dangers qui guettent parfois cette jeunesse (allusion au SIDA à travers ce « mal » indéfinissable qui se transmet d’un corps à l’autre par assimilation sexuelle). Une jeunesse qui semble favorisée dans une banlieue plutôt cossue mais dont l’avenir peut être incertain dans ce Detroit en déliquescence laminé par la crise et dont elle franchit la frontière matérialisée par un grillage, séparant deux mondes (franchissement d’un interdit ?)