REALISATION : Gérard Krawczyk
PRODUCTION : Gaumont
AVEC : Virginie Ledoyen, Maïdi Roth, Saïd Taghmaoui, Marc Duret, Dominic Gould, Marie Laforêt, Charlotte de Turckheim, Edouard Baer, Dominique Besnehard, Serge Reggiani
SCENARIO : Gérard Krawczyk, Alain Layrac
PHOTOGRAPHIE : Laurent Dailland
MONTAGE : Luc Barnier
BANDE ORIGINALE : Laurent Alvarez, Maïdi Roth
ORIGINE : France
GENRE : Comédie, Drame, Musical
DATE DE SORTIE : 27 août 1997
DUREE : 1h51
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Jeanne et Johanna sont amies et vivent à Decazeville, un « trou » de l’Aveyron qui tire toutes ses ressources de la mine. Jeanne est aussi introvertie et romantique que Johanna est extravertie et sensuelle. Toutes deux ont la musique dans la peau mais doivent se contenter des Sirènes, un groupe ringard qui écume les bals de villages. Un concours télévisé change la donne et permet à une chanteuse de sortir un album. Johanna s’y inscrit, mais, à la stupeur de tous, c’est la voix de Jeanne qui s’élève quand Johanna chante. Le simulacre est lancé. Johanna gagne haut la main le concours et se retrouve propulsée au hit parade. Son album, soutenu par les textes et la voix de Jeanne, fait figure de chef-d’œuvre et le succès grandit. Mais très vite, le torchon brûle entre les deux amies et tout va déraper…
L’affiche du film est déjà ironique en soi : le bleu qui absorbe le visage des deux actrices, leur forte différence de visibilité en fonction des échelles de plan, un titre au pluriel qui évoque autre chose si on le met au singulier, etc… On croit déjà à un film sur la drogue. Or, c’est avant tout de simulacre dont parle Héroïnes. Cette affiche en fait d’emblée l’illustration en imposant Virginie Ledoyen comme le double d’une Maïdi Roth effacée et placée en retrait. Nous sommes en 1997, le numérique et le virtuel ne sont encore que des vues de l’esprit, mais l’époque est déjà très marquée par le tsunami de la pop-musique, ascenseur social par excellence et machine à créer des stars préfabriquées qui, pour citer le rappeur Orelsan, ont en général vite fait de retourner à la précarité. Cela tombait plutôt bien : déjà réalisateur confirmé (on lui devait Je hais les acteurs et L’été en pente douce), Gérard Krawczyk faisait à ce moment-là son beurre sur des films publicitaires. De son propre aveu, il y avait quelque chose de fascinant dans l’idée d’y créer un personnage « parfait » à partir de petits morceaux prélevés sur d’autres personnes (les mains d’une première actrice, les jambes d’une seconde, le visage d’une troisième) afin de vendre un « produit ». Déjà l’idée d’une virtualité du corps, qui assimile celui-ci à un objet de vente (donc de désir) et qui privilégie le faire-savoir au savoir-faire. L’exemple souvent cité par Krawczyk est celui du groupe Milli Vanilli, tombé en déchéance totale après que ses deux chanteurs aient reconnu n’avoir jamais chanté une note de leurs tubes à succès. Si l’on ajoute à cela un roman de Didier Daeninckx intitulé Play-back (dont le film est une adaptation très lointaine) ainsi qu’un téléfilm tourné en Inde par Krawczyk autour de deux femmes ayant chacune leur propre conception de l’amour, l’origine de ce troisième film n’est alors plus un mystère pour qui que ce soit.
Même si une sortie en plein été ne lui aura pas permis de rencontrer le succès en salle, on ne peut clairement pas dire avec le recul qu’Héroïnes entrait dans cette catégorie de films en avance sur leur temps. Le simple fait de le revoir aujourd’hui à l’occasion de sa ressortie en Blu-Ray suffit à lui conférer un cachet très 90’s, ancré dans une époque ciblée qu’il s’agissait de capturer sur le moment et attaché à une musique très référencée qui avait toutes les chances de conserver de belles rides. On peut même considérer que cette peinture du showbiz musical par Gérard Krawczyk avait visé très juste en choisissant comme angle d’analyse une success-story créée par un mensonge et entretenue tant bien que mal par deux amies chanteuses. D’un côté, Jeanne (Maïdi Roth), jeune femme romantique, renfermée sur elle-même depuis la disparition de son père musicien, qui compose ses propres chansons. De l’autre, Johanna (Virginie Ledoyen), allumeuse cynique et extravertie, du genre à changer de mec tous les soirs et à privilégier les fringues aguicheuses dans un geste purement rebelle. Pour accéder à la célébrité, le stratagème est simple : Johanna chantera sur scène avec la voix de Jeanne. Succès immédiat, mais vite empoisonné.
Tout réside ici dans les tempéraments très opposés des deux femmes : Jeanne croit à l’amour quand Johanna ne croit qu’au cul, la première reçoit tous les éloges en coulisses tandis que la seconde devient objet d’hystérie pour le public et les médias, la drogue et la rancœur vont vite s’inviter à la fête, la rédemption mettra fin à une descente aux enfers ayant eu pour climax une tentative de suicide, etc… En l’état, on pourrait si facilement reprocher au film d’enfiler les clichés sur les méfaits du star-system, mais ce serait se tromper de cible – on y reviendra plus bas. A travers cette histoire simple d’une amitié qui se transforme en vitrine fracturée, Krawczyk se fait avant tout le témoin d’un système où le physique prime sur le talent, où l’être (humain) s’écrase sous le poids du paraître (virtuel), où la vitrine est placée sous les projecteurs au détriment d’une vérité laissée en retrait. A ce titre, certaines scènes sont très évocatrices, en particulier une entrevue pour NRJ où Johanna devient malgré elle la madone d’auditeurs mal dans leur peau qui la remercient pour ses chansons.
Le réalisateur joue donc la carte de la sobriété et place sa mise en scène en retrait, histoire de voir comment les illusions générées (voulues ?) par le spectacle vont amener Johanna vers le plus autodestructeur des vertiges. Un vertige que les scènes du concert, à la fois dynamiques et toujours lisibles, donnent souvent à ressentir, surtout quand on voit à quel point les chansons écrites par Jeanne ont pour thème récurrent la maladie d’amour. Pour autant, sur ce domaine-là, Héroïnes n’échappe pas à la comparaison avec un autre film sorti en 2001, pour le coup plus radical et plus adulte dans son approche du star-system : Les jolies choses de Gilles Paquet-Brenner. Certes adapté d’un livre éponyme de Virginie Despentes, le film évoquait une situation similaire : suite au décès de sa sœur jumelle (une star trash de la chanson), une jeune femme jouée par Marion Cotillard décidait alors d’usurper sa place. La réalisation de Paquet-Brenner avait vite fait d’être qualifiée de racoleuse là où elle se faisait surtout frontale dans son tableau sans fard d’un monde soumis à tous les excès, reléguant la chair au rang d’objet de fantasme à exhiber. Même les effets de style exploités à outrance dans la plupart des scènes traduisaient en soi un dérèglement interne. De plus, aussi survoltée soit-elle en énergie comme en sex-appeal, Virginie Ledoyen est loin d’enflammer le Zénith autant que ne le faisait une Cotillard en transe lors du concert final des Jolies choses. Ici, on peut dire qu’elle se fait même voler la vedette par Maïdi Roth, superbe révélation qui aura ensuite décidé de privilégier sa carrière de chanteuse à celle d’actrice.
Au final, la valise de reproches que l’on peut adresser à Héroïnes vise tout ce qui est étranger à cette galaxie du showbiz. Très attaché aux décors provinciaux dont il aime épouser le quotidien, Krawczyk a planté ici sa caméra dans un Aveyron à la population minière (la ville de Decazeville). Mais ce qu’il y intègre navigue entre le hors-sujet et le n’importe quoi : notons un concert à la mine, avec Serge Reggiani qui chante du Trenet et une bagarre sur fond de la chanson culte du groupe Il Était Une Fois ! De plus, bien que chargé en dialogues punchy qui visent souvent fort et juste (surtout quand Johanna se lâche dans l’insolence verbale), le scénario laisse souvent trop le champ libre à des seconds rôles accessoires : Edouard Baer y mouline du vide en prof de philo, Charlotte de Turckheim déroule tout le champ lexical de la chaussure dès qu’elle ouvre la bouche, Saïd Taghmaoui fait le mariole dans les rayons d’une grande surface comme le caissier-cascadeur de Cashback, et Marie Laforêt décroche la palme du ridicule dans la peau d’une coiffeuse obsédée par Eddie Barclay (?!?) qui joue les majorettes à soixante balais. Pour ne rien arranger, Krawczyk se laisse aller à deux ou trois invraisemblances grossières (le costard-cravate qui vire imprésario après avoir flashé sur Johanna !), voire à de l’illustration pour neuneu en ce qui concerne la rédemption de son héroïne (il suffit de la filmer sur un banc, avec un bras plâtré, en train de lire Madame Bovary !). Sans parler d’une fin calamiteuse, déjà en raison d’une résolution bâclée du meurtre inaugural, ensuite à cause d’une happy end plaquée sur le générique à laquelle on ne croit pas un seul instant. Ou comment un film nanti d’un très beau relief thématique finit par s’effondrer sous le poids d’une écriture inégale. Le bilan est amer, donc.