Hanna

REALISATION : Joe Wright
PRODUCTION : Holleran Company, Studio Babelsberg
AVEC : Saoirse Ronan, Eric Bana, Vicky Krieps, Cate Blanchett
SCENARIO : David Farr, Seth Lochhead
PHOTOGRAPHIE : Alwin H. Kuchler
MONTAGE : Paul Tothill
BANDE ORIGINALE : The Chemical Brothers
ORIGINE : Royaume-uni, Allemagne, Etats-Unis
GENRE : Conte, Action
DATE DE SORTIE : 06 juillet 2011
DUREE : 1h57
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Hanna, 16 ans, n’est pas une adolescente comme les autres. Élevée loin de tout par son père, Erik, ex-agent de la CIA, elle n’ignore aucune des techniques de combat ou de survie qui font les plus redoutables soldats. Erik lui a enseigné tout ce qu’elle sait à partir d’une encyclopédie et d’un recueil de contes de fées. Formée depuis son plus jeune âge, Hanna est une combattante parfaite. Séparée d’Erik, Hanna découvre le monde extérieur pour la première fois et se lance dans la mission que sa famille doit achever. Elle est prête. Pourtant, avant de pouvoir retrouver son père à Berlin comme prévu, elle est capturée par les hommes de l’agent Marissa Wiegler, une femme que bien des secrets relient à Hanna et Erik. Détenue quelque part dans une base souterraine, Hanna parvient à s’échapper. S’adaptant à un environnement inconnu, la jeune fille doit survivre. Alors que Marissa la pourchasse, de plus en plus proche, Hanna doit faire face à de stupéfiantes révélations qui vont bien au-delà de sa propre identité…

Lors de la sortie en salles du Soliste, le troisième long-métrage du britannique Joe Wright, Michel Cieutat publia dans le magazine Positif un entrefilet d’une vingtaine de lignes dont l’enthousiasme était à la mesure de sa distribution dans l’hexagone. Le court article s’employait à critiquer « la fougue incontrôlée » de Wright faisant sombrer le film dans « un manque de cohérence stylistique » qui ira jusqu’à « ôter toute crédibilité à l’entreprise ». En gros, on reproche au réalisateur de Reviens-Moi de s’adapter aux besoins de chaque scène en utilisant l’intégralité des possibilités de l’outillage cinématographique pour nous faire partager les émotions des personnages. Une bien curieuse opinion à laquelle on pourrait opposer celle d’un autre collaborateur de Positif, l’estimable Philippe Rouyer. Il faut le voir dans l’inégale émission Le Cercle où à l’occasion de la ressortie de L’Etrangleur de Boston, il décryptera la bave aux lèvres les différentes expérimentations mises en œuvre par Richard Fleischer pour nous permettre de rentrer dans la tête du personnage titre. Ce que sous-tendrait l’article de Cieutat serait-il la nécessité d’une approche cinématographique balisée afin de pouvoir considérer le travail de Joe Wright avec un œil attentif ? Cela serait renier la grande qualité de sa jeune œuvre. Alors que ses deux premiers films s’inscrivaient dans un des genres les plus académiques qui soient (le drame historico-romantique), il se refusait à se conformer stricto-sensu aux procédés clichés de réalisation aussi mortifiants que pompeux. À une rigidité d’esprit, il optait au contraire pour la vision d’un spectacle fourmillant d’idées visuelles et vivifiant par sa recherche constante de sensations nouvelles. Une qualité qui se retrouve naturellement dans son dernier né, Hanna.

Qui est Hanna ? Une adolescente de seize ans élevée par son père au fin fond de la Finlande pour devenir une tueuse hors pair. A la lecture du pitch, tout le monde s’est imaginé une version de Kick-Ass avec l’inoubliable Hit Girl en personnage principal. Un apriori intégralement faux et largement amplifié par le choix d’une sortie estivale trompeuse. Les amateurs de péripéties aussi bourrines que bad ass pourront sans regret passer leur chemin. Certes les scènes d’action sont nombreuses et emballées avec un certain talent (le tour de force du plan séquence de l’aéroport) mais elles ne constituent pas le cœur du film. Car entre celles-ci, Hanna offre maintes occasions de désarçonner. Son seul refus de rentrer dans le champ du jubilatoire (on voit rarement dans le cinéma d’action récent une violence si poussée et si sérieuse) le met en marge de la plupart de ses contemporains. Pour Wright, il s’agit de construire avant tout une œuvre sensitive autour de son personnage titre. Après avoir grandi isolée de tout, l’héroïne va découvrir le monde et ses habitants à travers un périple à la Jason Bourne l’emmenant du Maroc à l’Allemagne. Il y avait là un moyen de critiquer les comportements inhérents à la société actuelle par le regard de ce personnage pur (celle-ci est d’ailleurs logiquement introduite dans un univers blanc immaculé où aucune interférence comme la musique ne vient s’immiscer). Pourtant, Wright ne s’y aventure jamais ou alors désamorce toutes les tentatives qui s’y rapprocheraient (voir l’évolution de sa relation avec une adolescente de son âge). Lorsqu’Hanna se retrouve oppressée dans une chambre par les bruits, lumières et vibrations liés à une technologie du quotidien, Wright ne pose aucunement un regard critique sur un prétendu confort moderne et se concentre à nous faire partager l’expérience d’un personnage aucunement habitué à un tel environnement (en l’occurrence par l’emploi d’un montage ultra-cut et d’un mixage sonore ébouriffant).

En ce sens, le cinéaste se détache des notions de réalisme et désire revendiquer une orientation façon conte de fée. Wright parsème son film de références aux contes (jusqu’à établir un climax dans la gueule du loup) et tente de faire ressortir les correspondances de son histoire avec des contes comme Raiponce ou La Petite Sirène. En ce sens, il retranscrit un monde où ce qui compte est moins son fonctionnement que les sensations qu’il offre. Wright ne porte ainsi guère de considération aux explications de l’intrigue, liquidant son background en une courte scène sans guère de considération. Ce qui a conduit à la création d’Hanna et son anormalité n’a pas d’importance, c’est ce qu’elle vit qui est primordial. C’est d’ailleurs ce qui ressort à l’écoute de la brillante musique des Chemical Brothers dénotant un côté étrangement organique. En effet, les sonorités évoquent un cœur qui bat à tout rompre, une respiration haletante ou le bourdonnement qu’on a parfois dans les oreilles. Cette musique nous restitue parfaitement l’énergie qui traverse l’héroïne. Toutefois, on se heurte là à la limite du film. Car si on vit avec Hanna, le final nous amène à voir que nous ne la comprenons très probablement pas. Un constat qui ressort par l’idée de calquer la conclusion du film sur l’ouverture. Depuis le début, on nous annonce un objectif qui est désormais enfin atteint. Pour marquer le fait que cette résolution était inéluctable, le scénario ressort la première réplique d’Hanna. Celle-ci (« j’ai manqué ton cœur ») était déjà étrange à la base. L’héroïne y exprimait une forme de tristesse mais cela ne l’empêchait pas d’enchaîner avec une action exécutée sans pitié. Il y avait un paradoxe dans le comportement qui est maintenu dans la fin. Malgré tout le parcours vécu avec elle, nous n’avons aucunement saisi Hanna. Nous avons partagé les mêmes sensations mais finalement on ne sait quelles conclusions elle a retiré de ces expériences.

En quittant la salle, il y a forcément une perplexité qui demeure puisqu’aucune solution ne nous a été donnée. Nous avons redécouvert la beauté du monde et des architectures urbaines, nous nous sommes plongés dans des scènes d’action efficaces mais nous ne savons pas ce que ça nous a fondamentalement apporté. Y a-t-il donc quelque chose à retenir ou était-ce juste une formidable expérience à vivre ? Cette question, on se la pose régulièrement au cours de notre existence et elle est extrêmement frustrante. Sauf qu’à l’inverse de la vie, un film peut se revoir inlassablement pour en percer le mystère. Et nul doute qu’Hanna sera régulièrement revu pour en percer la portée.

2 Comments

  • J'ai tout comme toi aimé Hanna, mais je ne soulève pas forcément les mêmes arguments. J'ai tout d'abord été séduit par l'interprétation sans faille des comédiens et la superbe réalisation de Wright qui nous offre des plans séquences assez virtuoses. Les scènes de courses poursuites sont brillamment mises en scène, mais je les ai trouvé trop nombreuses ou trop étirées (cf. le final) ce qui réduit leur impact. Mais globalement, j'ai été séduit par cet univers, par cette jeune fille sans pitié qu'on ne comprendra jamais vraiment (comme tu le dis, avec sa réplique qui débute et termine le film). Par contre – et je crois être le seul – je n'ai pas été charmé par la musique que j'ai trouvé omniprésente et agaçante. L'absence totale de musique aurait été selon moi plus judicieux, après tout, même l'héroïne ignore ce que c'est. Mais c'est globalement une jolie réussite. Hanna est un thriller haletant et prenant, et surtout très attachant.

  • Jean-Alain Fauvel Says

    Je viens de voir ce film, peu de temps après le « Alice » de Tim Burton et j’ai trouvé dans le premier ce qui m’a manqué dans le deuxième.L’aptitude d’un film à mobiliser l’abandon.
    « Alice » est un conte fée? Non, c’est, à mon humble sens, une démo superficielle des formidables capacités d’une équipe technique et scénaristique parfaitement rodée.
    « Hanna » est un thriller? Non, c’est, à mon humble sens encore une fois, le conte de fée qu’aurait dû être « Alice ».
    Peu importent les (quelquefois nombreuses et frappantes, j’en conviens) invraissemblances d' »Hanna », l’important est de se laisser emmener. Qui se soucie de la plausibilité des contes? Qui est capable de comprendre, justifier, chaque minute de ses actes, réactions, sentiments?
    Pourquoi analyser chaque minute d’un film, chacune des réactions, actes, sentiments du personnage principal quand la façon de le scénariser et filmer nous laisse le libre choix de le suivre par les tripes ou par le cerveau. Emotionnellement par les tripes ou froidement par le cerveau.
    Je me suis laissé porter, peut-être parce que j’étais ce soir dans la bonne inclinaison, et j’ai trouvé ce transport très agréable, émotionellement fertible. Beaucoup plus fertile que le soir oû, alors que le « Alice » de Burton finissait, je n’avais pas eu la moindre envie de parcourir le net pour en lire les critiques, lire les sentiments que d’autres internautes en retiraient.
    Alors je sais que j’essaierai de revoir ce film, juste pour savoir si c’était l’émotion d’un soir ou si je suis capable de me laisser emporter encore une fois, juste pour savoir si l’effet « Tideland » (de Terry Gilliam) peut revenir encore une fois me prendre par la main…

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