REALISATION : Gareth Edwards
PRODUCTION : Warners Bros., Legendary Pictures, Toho company…
AVEC : Aaron Taylor-Johnson, Bryan Cranston, Elizabeth Olsen, Ken Watanabe, Juliette Binoche…
SCENARIO : Max Borenstein, Dave Callaham
PHOTOGRAPHIE : Seamus McGarvey
MONTAGE : Bob Ducsay
BANDE ORIGINALE : Alexandre Desplat
ORIGINE : Etats-Unis, Japon
GENRE : Fantastique, Kaïju eiga
DATE DE SORTIE : 14 mai 2014
DUREE : 2h03
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Godzilla tente de rétablir la paix sur Terre, tandis que les forces de la nature se déchaînent et que l’humanité semble impuissante…
Il y a soixante ans, une force indéterminée sème la terreur au Japon. Des bateaux et des villages sont détruits sans explication. Les autorités doivent gérer une population paniquée et tenter de prendre les mesures face à une menace aussi imprévisible qu’insurmontable. La situation les renvoie neuf ans plus tôt lors de la réception de deux cadeaux pas très amicaux de la part des américains. Les deux affaires seraient-elles liées ? Très sûrement puisque c’est bien la puissance nucléaire qui a réveillé ce monstre géant millénaire baptisé Godzilla. Depuis cette résurrection, le bestiau a parcouru son petit bonhomme de chemin en se montrant versatile. Telle une maîtrise de l’atome tout à la fois bénéfique et maléfique, Godzilla agira pour le mal ou le bien de l’humanité. Tantôt il passera pour un méchant colosse détruisant des villes entières, tantôt pour un gentil gaillard arrachant à Casimir son titre d’ami de tous les nenfants. Les étiquettes n’atteignent guère ce roi des monstres ne se pliant qu’à sa seule volonté (et celle de ses ayants droits évidemment). Après six décennies de travail et une trentaine d’apparitions filmiques, cette icône a donc bien toujours sa place dans le paysage cinématographique. Warner Bros l’aura d’ailleurs bien fait comprendre par le biais d’une promotion extrêmement performante. Quinze ans après la version réalisée par Roland Emmerich, cette nouvelle mouture américaine démontre l’aura persistante de Godzilla et de ses congénères.
Ce premier constat n’était déjà pas gagné en soit. D’abord justement à cause du souvenir du film sympathiquement débile d’Emmerich. Ensuite parce que le choix de son réalisateur ressemblait au genre d’associations d’idées précaires dont certains exécutifs se font les spécialistes. Au lieu d’aller débaucher un Michael Bay ou Zack Snyder pour assurer un spectacle plein de destructions massives, le studio jettera son dévolu sur Gareth Edwards. Après tout, il a fait un film appelé Monsters sur une invasion extraterrestre. Il saura bien gérer des histoires de monstres géants détruisant des villes. Sauf qu’il faut voir le long-métrage en question. Produit en total indépendance, Edwards y contait certes le périple d’un couple au travers d’une zone infectée de créatures extraterrestres. Toutefois, plutôt que d’inclure des personnes-clefs en charge de gérer cette invasion au long-terme, le réalisateur se focalisait sur des quidams voyant lointainement des évènements qui ont pourtant des conséquences immédiates sur leur quotidien. L’intérêt de son film tenait alors intégralement à un travail d’ambiance pour le moins captivant. Et c’est la qualité primordiale qu’Edwards incorpore à son Godzilla. Bien sûr, il s’incruste cette fois-ci dans les coulisses des forces militaires et scientifiques mais il ne se départage pas de sa vision du fantastique. Le cinéaste filme ainsi à hauteur d’hommes les évènements et les apparitions de ses monstres. Il fait régulièrement en sorte que son découpage se base sur le point de vue de personnages (principal comme simple figurant). Un choix favorisant l’immersion mais évitant pourtant une hystérie facile à embrasser. A contrario d’une shakycam vantant son pouvoir documentaire, Edwards incorpore une notion plus contemplative en n’hésitant souvent pas à faire durer une scène. Il laisse la fascination et la terreur s’écouler dans les veines du spectateur, le dispositif de mise en scène pouvant lui faire croire qu’il est effectivement témoin des faits.
Pourtant, Edwards ne brandit pas cette peinture d’une atmosphère apocalyptique comme une ambition masquant son mépris ou méconnaissance du genre. Se revendiquant fan des films de la Toho, il ne rechigne aucunement à satisfaire le cahier des charges en matière d’action. Porté par des effets spéciaux époustouflants, son spectacle respecte profondément les codes du genre et n’appose son identité que par l’orientation de sa mise en scène. Il en va ainsi du design de Godzilla qu’Edwards voulait le plus proche possible du costume original mais avec un rendu graphique d’un niveau photo-réaliste. En ce sens, le film évite le piège du clin d’œil en se référant plus à des mécanismes et principes fondamentaux qu’à de pures références artificielles. La musique d’Alexandre Desplat rejoint cette idée avec un thème principal très proche de l’esprit du thème original mais sans en être un quelconque décalque. Dans ses choix, Edwards fait preuve d’un amour du genre mais un amour qui n’a rien d’aveugle et comprenant les nécessités de faire fonctionner le film par delà le jeu des clins d’œil. En ce sens, le film évite assez miraculeusement les fautes de goût même si il en laissera échapper une monumentale lors d’une scène clef. Il s’agira rien moins que de la première apparition de son personnage-titre. Montré dans toute sa magnificence alors qu’il lâche son fameux cri, le montage propose une transition sur un enfant découvrant devant sa télévision le tant attendu combat. Un « gag » impromptu et d’autant plus incompréhensible qu’il s’agira de l’unique écart du long-métrage en la matière. Le film dévoilera cela dit plus de soucis que cette simple anicroche.
En fait, bien qu’Edwards soigne son film et traite le genre avec compréhension, il rejoint quelque peu la problématique du tout-venant. Il se situera certes un cran au-dessus par la qualité certaine de l’hommage mais au final, il lui manque quelque peu de densité. Peut-être intimidé de devoir s’emparer d’une telle figure mythique dès sa seconde réalisation, Edwards fait probablement trop profil bas et se contente de fignoler un bon film de monstre. Du coup, sa version ne semble pas offrir autre chose qu’un plaisir avéré mais ne prenant pas pour autant un essor exceptionnel. En ce sens, si Godzilla réitère les qualités de Monsters, il en reproduit également les défauts. Si la construction de l’ambiance fait passer son spectateur par de multiples strates émotionnelles, il manque ce surplus qui pouvait transcender le tableau d’ensemble. Un surplus qui aurait pu se trouver au niveau de l’histoire. Une histoire se basant sur un enjeu minimal (tuer les monstres) et ayant le mérite de ne pas se perdre en circonvolutions inutiles mais n’offrant aucun niveau de lectures multiples et donc de complexité émotionnelle. Il n’y a qu’à constater le traitement du personnage titre. Allant à l’encontre de la conception occidentale en faisant un monstre dangereux, Godzilla est ici présenté comme le héros (spoiler minime tant la bande-annonce dévoilant d’autres créatures établissait clairement cette hypothèse). Comme le dira le scientifique incarné par Ken Watanabe, Godzilla est le roi des monstres. En conséquence, il est avant tout le garant d’un équilibre entre son monde ancestral et le notre. Un choix plutôt pertinent et qui donne lieu au gré de certains moments à un jeu d’ambivalence pas bête (son arrivée triomphale à Hawaï provoquera un tsunami causant probablement un certain nombre de morts humaines) mais globalement totalement survolé par un récit sans grande exploration thématique (quid de la référence à Fukushima).
Une problématique se renforçant également par des personnages guère convaincants et traités de manière quelque peu fonctionnelle (comme sur Monsters donc). Les rares moments où ceux-ci se font attachants équivalent à des coups de coudes forcés au spectateur. Par exemple, lorsque les personnages retournent dans leur maison abandonnée en précipitation quinze ans plus tôt, ils prennent en pleine face un passé figé dans le temps. L’émotion de la scène ne fonctionne pas en raison de ce qu’elle soulève vis-à-vis du trauma des personnages et le sens qu’elle revêt dans leurs parcours. Elle marche quasi-intégralement par son pouvoir évocateur, par cette sensation connue de tout un chacun lorsqu’on retrouve un morceau intact de notre histoire jusqu’alors demeurée abstrait dans notre mémoire. Les personnages n’existent que par ces moments intermittents, liens tissés en désespoir de cause. Edwards a de toute évidence encore du travail à faire pour réussir à pleinement exploiter ses talents. Car au bout du compte, c’est bien le plus qui l’emporte sur le moins. En dépit d’une implication qui ne peut être totale faute de personnages suffisamment empathiques, Godzilla déploie suffisamment de visions fascinantes pour constituer un spectacle de premier choix.