L’Expert

REALISATION : Luis Llosa
PRODUCTION : Warner Bros, Iguana Producciones, Jerry Weintraub Productions
AVEC : Sylvester Stallone, Sharon Stone, James Woods, Rod Steiger, Eric Roberts, Steve Raulerson, Mario Ernesto Sanchez, Sergio Doré Jr
SCENARIO : Alexandra Seros
PHOTOGRAPHIE : Jeffrey L. Kimball
MONTAGE : Jack Hofstra
BANDE ORIGINALE : John Barry
ORIGINE : Etats-Unis
TITRE ORIGINAL : The Specialist
GENRE : Action, Thriller
DATE DE SORTIE : 9 novembre 1994
DUREE : 1h50
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Ray Quick, expert en explosifs, a quitté la CIA après une opération ratée menée par son ancien supérieur et qui a coûté la vie à une enfant innocente. Travaillant désormais en indépendant, il est contacté par une mystérieuse May Munroe qui lui demande de tuer les hommes qui ont assassiné ses parents dans son enfance…

Dans ce film hybride, Sylvester Stallone est un détonateur à mèche sous pression et Sharon Stone est une bombe. Le seul suspense, ici, consiste à essayer de deviner qui va allumer qui…

Bon, on se regarde quoi, cet été, en matière de nanars estivaux ? Après avoir fait l’an dernier la promo d’un Paradise Beach sacrément affligeant, l’envie de remonter le niveau se fait un peu sentir, histoire de ressortir du placard à DVD un cocktail guns, sex & sun qu’un tâcheron appliqué aurait bien agité pour le rendre un minimum digeste. Et comme la testostérone se marie très bien avec la taurine, c’est vers notre Sylvester Stallone adoré que l’on va se tourner. Retour en 1994, année de la sortie en salles de L’Expert, gros succès au box-office qui confirma le regain de la star de Rocky après le triomphe planétaire de Cliffhanger, en tout cas peu avant que le four cuisant de Judge Dredd ne vienne réinverser le sens de la courbe. Endossant un rôle prévu au départ pour Steven Seagal (ouf, on a échappé au pire !) dans un film prévu au départ pour David Fincher (aïe, ça aurait pu être mieux !), l’acteur donne ici la réplique à une Sharon Stone dont la carrière commençait elle aussi à sentir le roussi suite aux échecs de Sliver et d’Intersection. Réunir deux stars hollywoodiennes pour en exploiter à outrance l’image invariable (il crée des bombes qui font tout péter, elle est une bombe qui fait péter le mercure) suffit en l’état à justifier une formule de blockbuster aussi épaisse que du fil dentaire, ici limitée à relier deux genres alors à leur apogée (l’actionner explosif et le thriller érotique), via un petit imbroglio torché sans effort dans un Miami shooté comme un épisode des Dessous de Palm Beach. Pour résumer les choses, un expert en explosifs, démissionnaire de la CIA suite à une opération ratée en Colombie, accepte d’aider une (très) belle et (pas très) mystérieuse cliente dont les parents ont été autrefois occis par un trio de vilains truands. Ceux-là mêmes auxquels l’ancien salopard d’équipier de l’expert en explosifs propose désormais ses services après avoir été renvoyé de la CIA pour faute grave – vous avez deviné à cause de qui. Rien qu’avec ça, et sans même avoir vu un mètre de pellicule, le risque de se tordre les neurones façon bigoudi pour deviner où réside le pourquoi du comment de la manipulation avoisinera le niveau zéro.

Reconnaissons d’entrée les travers d’un film hybride qui, à bien des égards, tenait plus de l’astuce marketing que du cinéma à l’état pur. Réalisateur d’origine péruvienne, déjà remarqué à l’époque pour une série B basique avec Tom Berenger (Sniper) puis ridiculisé par une série Z pathétique avec Jennifer Lopez (Anaconda), Luis Llosa endosse ici la panoplie de la serpillière malléable d’un studio ayant flairé la bonne affaire, et se contente ainsi d’aligner les scènes comme autant de cases à cocher sur une liste d’impératifs. Vu qu’on imagine mal le studio se satisfaire de voir l’interprète de Rambo réduit pendant deux heures à bidouiller des bombinettes dans un hangar pouilleux ou à les faire péter en restant immobile dans un coin du décor, l’astuce pour enrichir le rayon action consiste ici à rajouter une scène totalement gratuite et parfaitement ridicule, où Stallone démolit une bande de loubards malpolis dans un bus – faire exploser des bombes ne le prive donc pas d’exploser des gueules – sous l’œil ravi des autres passagers. Au rayon sexe, le problème se pose aussi : comment donner dans le plan qui émoustille sans risquer la terrible sanction NC-17 ? C’est assez simple : on attend la seconde moitié du film pour que les deux stars d’affiche se rencontrent enfin, et avant ça, on patiente en laissant Stallone reluquer chastement Sharon Stone à distance et entendre son envoûtante voix de sirène au téléphone (ou au walkman en faisant torse nu ses exercices du matin). Au son, ça donne des trucs du style « J’aime votre voix – Moi aussi, j’aime votre voix » ou encore du genre « Vous me suivez toujours, n’est-ce pas ? C’est comme si je vous sentais – Ça fait partie du boulot ». On a déjà les zygos qui surchauffent plus vite que le fond du caleçon. Ceux qui préfèrent les messageries roses au coït lui-même seront comblés. Quant à la fameuse scène de sexe sous la douche, celle qui a fait la renommée du film, on notera que sa chorégraphie très hot est un peu gâchée par un trop-plein de vapeur dans cet espace humide en marbre vermillon (pas cool pour la visibilité !).

Si expert il y avait là-dedans, ce n’était clairement pas le scénariste, lequel se révèle d’ailleurs être une femme – un détail bizarre pour un film à ce point surchargé en testostérone macho. Dans ce scénario de thriller d’action qui n’a pas inventé la poudre, le seul zeste d’originalité aura consisté à faire du poseur de bombes le gentil de l’histoire – c’est sûr que ça tranchait avec Speed et Blown Away, sortis la même année. Rien à sauver de cette « expertise », donc ? A vrai dire, si. Et cela tient en fait à très peu de choses. Si l’on choisit de regarder L’Expert non pas comme ce qu’il aurait dû être (un festival d’explosions zébré d’érotisme de série rose M6) mais pour ce qu’il est en fin de compte (un curieux squelette romanesque qui privilégie l’ambiance et les regards), le spectre du nanar mal assumé s’efface quelque peu et le résultat finit même par détonner sévère par rapport au tout-venant du produit hollywoodien. Llosa n’a certes pas opté pour un récit nerveux et acquis à la pure énergie du montage, mais plutôt pour un ensemble de scènes dialoguées et de filatures discrètes, filmées et découpées avec une rare élégance, le tout sur une magnifique bande originale signée John Barry. Fort d’un rythme aussi lancinant qu’une partition jazzy et d’une atmosphère sensuelle qui prend vite le dessus sur tout le reste (il faut remonter au Scarface de Brian De Palma pour retrouver cette retranscription d’un Miami solaire et intemporel), le film finit par trouver sa double identité : une love-story à distance entre deux êtres meurtris par un trauma passé, un champ d’action qui se rétrécit pour se focaliser sur la psychologie – aussi sommaire soit-elle – d’untel qui entame un jeu de fauves avec sa cible apparente. Des qualités pas négligeables pour un film qui, peut-être par accident, aura fini par troquer sa nature de produit calibré contre celle d’un thriller simple, élégant, sans prétention ni bout de gras, à apprécier en buvant un bon cocktail Miami Beach.

Pour autant, on en oublierait presque que L’Expert sait dilater le diaphragme par des ingrédients incongrus, pour le coup pas si éloignés des conventions du genre pulp. Comme pour épicer l’enjeu finalement très épuré et apaisé de son récit timbre-poste, Llosa tutoie aussi bien l’action nonsensique (un effondrement de chambre d’hôtel visuellement hideux) que le stade le plus grossier de la caractérisation (des truands latinos à fond dans la caricature burrito, avec un Rod Steiger assez méconnaissable en patriarche mafieux), le tout avec un art du dialogue macho qui vise à laisser tout un chacun balancer de la punchline de crâneur comme dans n’importe quel concours de bites à l’armée. A ce jeu-là, c’est peu dire que ce grand taré de James Woods met tout le monde échec et mat. Décidément indécrottable pour singer le bad guy hystérique et cartoonesque, l’acteur vole chaque scène où il apparaît, en particulier celle où il fabrique une bombe dans un commissariat pour se la péter face à des flics pas très coopératifs. C’est à lui seul que l’on doit le potentiel fendard d’un film qui semblait friser la carence en la matière. Parfait atout qui affine in fine le grand écart hybride de L’Expert, quelque part entre l’élégance du produit bien fait et l’outrance du nanar bien fait. Sur ce, on vous laisse avec la critique – tordante et non corrigée – du film, publiée par Les Inrockuptibles au moment de sa sortie en novembre 1994 et signée par un journaliste visiblement en très grande forme :

Yo Luis Llosa, realisador latino de Hollivod, moi expliquer tu : apré espéditiòn pounitive contra padrino colombiano, Rocky Droopy, espiòn macho dé la CIA, loui en a ras la casquéta. C’est là que lé boum boum pim vraiment commencé. Loui mucho bueno con los explosivòs et rencontré una bonita pouléta blonda, la Shéron Estoné, qué lé démanda dé toué el sàdico assassìno de su mama y papa. Droopy il aimé plous allé dans la doucha avéc la viciòsa Shéron : cé oun film muy macho pas pédé como el Basìco instìncto. Vavavoum !

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