Éludons ce qui a déjà été dit un peu partout : la partie thriller fonctionne mal dans Erased. La faute à des intrigues beaucoup trop bancales et peu crédibles pour l’aficionado du genre. Et pourtant, c’est bien sur fond d’enquête policière que se brode l’anime, laissant une note déceptive au spectateur qui devine bien avant les personnages l’identité du meurtrier et qui observe le héros de 29 ans plonger dans les ennuis à la manière d’un enfant de dix ans. Des thrillers hollywoodiens aux séries TV policières (le mélange de mystère et de flash-back nostalgiques pourrait rappeler l’américaine Cold Case) on est bien habitués à ce type d’intrigue, ce qui nous laisse anticiper de nombreux rebondissements. Les incohérences narratives se dispersent tels des grains de sable à travers les rouages du scénario et nous rappellent régulièrement au réel. Il faudra consentir à la suspension de l’incrédulité car les sceptiques risqueront de s’y heurter. C’est donc ailleurs que l’intérêt réside : il faudra en effet voir en Erased une fable sur la construction de l’être au sein d’une société individualiste. L’emploi du fantastique ou du polar ne sont ainsi que des prétextes pour construire une morale et une atmosphère singulières. Le dessin et la voix-off s’unissent pour véhiculer un sentiment de nostalgie face au temps qui passe et les actions qui se répètent nous laissent, tant qu’au héros, une impression de déjà-vu, nous immergeant dans un état profond de mélancolie qui se décuplera lors des dernières minutes du final.
Les scènes d’exposition nous montrent que le personnage principal est extrêmement solitaire : perdu au milieu des tentacules urbaines, il tient sa mère pour principale relation sociale et pourtant, il tend à la fuir. C’est le portrait d’un adulescent taciturne qu’on nous peint, un adulescent plongé dans une inertie menaçante. Cela pourrait d’ailleurs faire écho à un mal tabou au Japon, celui des “évaporés” qui quittent leurs proches sans un mot pour fuir divers soucis du quotidien. L’histoire de ces âmes vagabondes est généralement tue, comme s’il fallait dissimuler les symptômes des temps post-modernes. Il est facile d’être seul au milieu de la foule nous disait George Sand, et c’est probablement la raison pour laquelle elle aimait tant étudier les moeurs campagnardes. Or, c’est précisément ce que prône Erased : un retour à la communauté sur un modèle séculaire. Ainsi, même le mangaka que l’imaginaire collectif construit comme un être isolé et dont le travail impose de longues heures face à lui-même, doit puiser ses histoires dans son entourage pour réussir (dans un premier temps Satoru ne vit pas de son art).
Ce que nous assure la série c’est donc qu’un électron libre sans nulle attache ne pourra produire un art ou une histoire et c’est peut-être aussi la définition du héros qu’on nous propose. Être artiste ne signifie pas observer les autres de sa tour d’ivoire mais se mêler au monde. De même, être un héros serait apprendre à faire confiance et à se construire à travers des interactions avec autrui, sans faux-semblant ni quelconque fuite. Si ces enseignements pourraient se faire trop didactiques, ils en sont préservés par l’univers de l’anime qui les rend plus sentimentaux. Par conséquent, la redéfinition du héros hors des calibres américains n’est pas si mal venue et se fait par l’unique prisme existentiel. Lors de sa première rediffusion, Satoru fait fausse route car il suit les enseignements des super-héros qu’il vénère (le topos du fan de comics apparaît maintes fois) et c’est seulement quand il s’écartera de ses fantasmes infantiles qu’il parviendra à changer la donne.
Le contraste est en effet saisissant entre l’enfance de Satoru nourrie de cabanes, de goûters d’écoliers dans des espaces rassurants (une petite ville entourée de nature) et l’environnement du héros adulte, plus sombre voire même plus dangereux. Ce sont les cocons familiaux et scolaires soit les premières expériences de sociabilisation qui sont regrettés. La série semble nous exhorter à entretenir le souvenir de cette période et à chérir les moments précieux passés avec les premiers de nos amis. Il s’agit de ne pas perdre de vue les fils qui nous unissent les uns aux autres et qui ont forgé nos personnalités. L’influence que les uns peuvent avoir sur les autres est explicitée à plusieurs reprises jusqu’au final où l’on apprend que chacun a trouvé sa voie grâce à Satoru. C’est un pari difficile dans une société où les amitiés se font et se défont au fil des années et où le nombre de connaissances excède celui qu’on pouvait avoir dans un village ou un petit quartier mais cela montre une certaine reconnaissance de la société dont on est issu.
Au début de l’anime, le personnage perçoit ses camarades comme des pions, des frêles silhouettes dont les noms s’effaceront de toute façon. On apprend qu’il raisonnait déjà ainsi en étant jeune, en ne faisant que jouer le rôle du bon camarade de classe sans savoir par quel moyen s’ouvrir aux autres. De nombreux gimmicks apparaîtront pour lui rappeler l’importance de cette cellule amicale, notamment à travers les paroles de sa collègue Airi Katagiri et ce, jusqu’à ce qu’il l’intègre définitivement. On comprend que les “rediffusions” servent avant tout à le construire en tant qu’homme plus qu’à arrêter un tueur en série, il s’agit de lui montrer la voie à suivre pour “combler le vide de son existence”, termes employés par l’instituteur. C’est à partir du moment où il respecte cet enseignement que les rediffusions cessent. Sa mère, dont l’intuition maternelle est si bien aiguisée que cela en devient une “private joke” confie d’ailleurs à son fils qu’elle a réalisé qu’il avait mûri en découvrant que sa voix avait mué. Cette phrase apparemment anecdotique semble nous donner une clé de lecture du final puisque le personnage ne s’était jamais adressé à son fils comme à un adulte y compris dans le pilote de l’anime qui le situait pourtant à l’approche de la trentaine.
Ces gimmicks martelés encore et encore se comporteront comme une morale à une fable contemporaine nous mettant tous en garde contre un mode de vie déraciné de valeurs communes. Ce n’est sûrement pas un hasard si Satoru est livreur de pizzas, symbole de nos nouveaux modes de vie. Le motif est appuyé lors du final : un plan s’attarde sur son ancien patron et fait coïncider son ancienne vie et le présent. Il le contemple longuement comme s’il scrutait l’ombre de son passé, le Satoru qui ne sait vivre ses rêves et observe sa propre vie sans jamais s’y impliquer, le jeune homme qui observe passivement la disparition de ses camarades ou qui constate qu’une collègue est amoureuse de lui sans rien y faire et enfin le Saturu qui prend la fuite, accusé du meurtre de sa mère.
Sous ce nouveau jour, les étranges agissements du héros sont moins saugrenus. On comprend pourquoi il ne sauve pas les futures victimes avec l’aide de la police ou en menant une enquête plus conventionnelle. Non, il les sauve d’un meurtrier psychopathe en leur donnant une famille ou un cercle d’amis, en brisant la solitude qui les étreint, ubuesques méthodes ! Et ce psychopathe bien caricatural (rire démoniaque, lueur rouge dans les yeux, etc) ne serait finalement que l’allégorie d’une solitude contemporaine. Sa fin est signée quand il comprend son isolement, “Je suis celui qui te connaît le mieux.” lui dira Satoru. L’ombre du psychopathe ne serait donc que l’ombre de la solitude qui plane sur la ville et quand le tueur voit en Satoru un alter-ego, échappant à son unicité, il perd totalement ses pulsions destructrices. Néanmoins, cette dichotomie entre le héros et le tueur qui forment deux faces d’une même pièce se révèle bien tardivement et l’on regrette que cette thématique n’ait pas véritablement animé les épisodes précédents. On ne sait en effet que peu de cet instituteur et le voile sur son enfance est levé tardivement. Il est encore plus ennuyeux que la voix-off nous dise, in fine, que l’instituteur est perçu comme un père par Satoru alors que cela n’est jamais apparu dans l’anime.
Mais mettons de côté ces maladresses et revenons sur le titre de l’anime. Finalement, à quoi réfère-t-il ? Si Satoru efface les meurtres perpétrés par l’instituteur, meurtres qui deviennent donc “erased”, on peut aussi dire qu’il le fait en effaçant sa propre vie. Alors, comment interpréter les quinze années effacées de son histoire ? Il le déclare, ce vide lui permet de mesurer la valeur du temps, c’est grâce à ce laps qu’il parvient à faire vibrer sa propre existence. Son réveil physique qui correspond à la sortie du coma rejoint donc son éveil spirituel. Rien n’est acquis semble nous dire le réalisateur qui nous montre un Satoru qui reprend possession de son propre corps et qui doit le modeler en salle de rééducation. Si l’on nous donne une enveloppe charnelle à la naissance qui évolue naturellement mesure que nos parents nous nourrissent, il est de notre devoir de nous l’approprier. C’est bien une seconde naissance qui est dépeinte à travers ce dernier volet de la fable qui, malgré son traitement plus diffus, n’est pas sans évoquer Colorful de Keiichi Hara. La morale est plus simple que son développement : hors des cases du comics ou du manga, le nouveau héros ne peut parvenir à changer le monde qu’en s’appuyant sur ses semblables et en exacerbant sa conscience de vivre.
STUDIO : A-1 Pictures
RÉALISATION : Tomohiko Itô
DIFFUSION : Wakanim
AVEC : Shinnosuke Mitsushima, Tao Tsuchiya, Aoi Yûki, Minami Takayama…
SCÉNARIO : Taku Kishimoto
BANDE ORIGINALE : Yuki Kajiura
DIRECTION ARTISTIQUE : Masaru Satô
CHARACTER DESIGN : Keigo Sasaki
TITRE ORIGINAL : Boku dake ga Inai Machi
ORIGINE : Japon
GENRE / MEDIUM : Thriller, Fantastique, Anime
NOMBRE D’ÉPISODES : 12
FORMAT : 25 minutes
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Mangaka raté et livreur de pizza par dépit, Satoru Fujinuma possède sans pouvoir l’expliquer la capacité exceptionnelle de pouvoir agir sur le temps. A chaque fois qu’un incident croise sa route, il se retrouve projeté quelques instants dans le passé, implicitement afin d’empêcher que l’inévitable ne se produise. D’un naturel effacé et peu sûr de lui, c’est avec une attitude résignée qu’il aborde son quotidien et son pouvoir qu’il vit comme une malédiction. De rencontres perturbantes en événements dramatiques, Satoru va replonger de plus en plus loin vers une enfance traumatisante qu’il avait fait le choix d’éloigner de sa mémoire…
1 Comment
Je crois que c’est pour le moment l’analyse la plus captivante/pertinente que j’ai pu voir d’ « Erased » pour le moment.
C’est plutot agréable à lire en plus, bravo.
Il est clair que cet anime a de nombreux défauts de maladresse comme il a été souligné ici et là. Celui qui m’a laissé le plus d’amertume étant le rapport du heros avec le professeur qui était limite non-existante et du coup les révélations de fin passent assez mal…Mais bon, tu te dis qu’avec seulement 12 épisodes c’est difficile de développer correctement autant de personnages (l’ami detective, la mère et Airi auraient mérité mieux aussi).
Mais force est d’avouer que le message transmis par l’anime est finalement ce qui a de plus logique à retenir et rien que pour ça l’anime mérite d’etre regardé (en plus la dynamique de l’intrigue est cool meme si on sait très vite ou ça va).
Enfin, l’évolution du « nouveau heros » dépeinte ici est vraiment interessante. C’est un peu ces heros du quotidien que l’on peut tous devenir (ou qu’on est déja), je trouve. Et c’est pas forcement pour des trucs aussi grave que dans « Erased ». Agir, dans une societé ou on nous demande juste d’etre conformiste, c’est déja dépasser sa propre condition et ça peut etre le début d’une forme d’héroisme à mon sens…Sans virer à l’anti-conformisme kikoocool « je-suis-trop-dark » bien-sur…(bon, j’ai pas l’impression d’etre clair avec cette phrase mais je laisse ça ici quand meme)
Bonne continuation en tous cas !